La crise du pétrole accouchera-t-elle d'une autre école algérienne ?
La population scolaire et estudiantine algérienne dépasse 10 millions d'élèves et étudiants. Ce qui fait déjà le quart de la population globale du pays, sans prendre en compte la formation professionnelle qui prend en charge un demi-million de stagiaires.
Ces jeunes, encore sur les bancs de l'école, d'un centre de formation ou de l'université, peuvent-ils, eux et leurs parents, se satisfaire des seuls chiffres débités à tout-va par l'administration et portant sur la logistique et l'intendance, à savoir : les nouvelles classes construites, la disponibilité des manuels scolaires, le système de restauration, l'installation de chauffage, le transport scolaire et universitaire,…? Ce sont là des bilans, des promesses et des discours étriqués qui reviennent à chaque réunion des responsables des départements ministériels concernés.
La réponse à la question posée plus haut vaut, réellement, réponse. C'est-à-dire, c'est un "non"; un "non" qui commence à avoir droit de cité; il est, en quelque sorte en formation. C'est que, depuis la fin des années 1980, l'école algérienne s'est progressivement dégradée au point de devenir, aux yeux de beaucoup d'analystes, une grande "crèche". Il semble même que le peu flatteur jugement d'"analphabète bilingue", que la gouaille populaire avait fait circuler sous le règne de Chadli Bendjedid, soit largement dépassé, pour se hisser à une forme d'absurdité qui nous fait douter de l'école algérienne et de sa raison d'être.
Le verdict de l'"école sinistrée"
Si, en 1992 déjà, le défunt président Boudiaf avait pu prononcer le verdict peu flatteur sur l'école, en affirmant que "l'école algérienne est sinistrée"; et si, à la même époque, toujours sous le règne de Boudiaf, l'ancien ministre de l'Intérieur, Mohamed Hardi, avait lancé son autre accusation :"l'école algérienne forme des terroristes" (il donnait alors les chiffres des émirs et autres activistes armés qui donnaient, quelques mois auparavant, des cours dans les classes), l'absurdité aujourd'hui est presque indicible. Elle n'a pas de nom. Il est vrai que la littérature journalistique a excellé dans les qualifications du genre : "l'école et l'université forment des chômeurs en puissance". Mais, cela ne semble pas rendre la totalité du drame qui frappe une grande partie de la jeunesse algérienne, et par ricochet, la société tout entière. Baisse vertigineuse de niveau, quasi-absence de capacité de communication du fait d'un monolinguisme stérilisant, et du fait aussi de méthodes didactiques "hors d'usage"; absence de passerelles entre l'école et la société, supposées travailler à la formation de l'esprit de citoyenneté; et, dernier avatar d'une "chute sans parachute", la justification économique et sociale de la formation, sous toutes ses formules, n'arrive plus à être appréhendée, concrétisée et promue.
L'échec de la symbiose entre le monde du travail et le système éducatif/universitaire est un symptôme d'une étrange déréliction dans laquelle se retrouvent deux grandes et nobles institutions: l'école et l'université. La formation professionnelle n'est pas mieux lotie. Le jugement sévère qui lui est adressé n'est pas fait par un opposant politique aigri ou par un "cerveau" qui aurait fui sont pays. Ce jugement provient de deux officiels qui assumaient leurs fonctions au moment de leurs déclarations. Le premier, n'est autre que l'ancien ministre de l'Enseignement et de la Formation professionnels, El Hadi Khaldi, qui fixa le sort de son propre secteur en ces termes: "Ce secteur offre à la société un produit périmé qui ne trouve pas d’acquéreur sur le marché du travail". Le second personnage officiel, n'est autre que Abdelaziz Belkhadem, qui, à l'époque (en 2007), était Premier ministre. Il dira, dans une "envolée" rhétorique que la formation professionnelle est un "simple réceptacle des exclus du système éducatif ".
Une seule question : "Pourquoi va-t-on à l'école ?"
Lorsqu'on juxtapose ces derniers jugements à ceux donnés plus haut sur l'école algérienne, on est en droit de se poser une question, la seule qui vaille, en dernière instance, d'être posée: pourquoi former? Pourquoi aller à l'école? Pourquoi dépenser des budgets astronomiques à trois secteurs qui n'arrivent pas à s'inscrire dans les horizons du développement du pays?
La rente pétrolière avait permis tous les errements et toutes les hérésies. Elle a pu dispenser l'économie algérienne, ou ce qui en fait office, de la recherche des compétences techniques et managériales. Une rente arrogante qui supplée à l'absence de niveau de formation par un surcroît d'importation. L'inculture placée au sommet du pouvoir finit par décréter: "pourquoi s'échiner à fabriquer ici ce que l'on peut importer par l'argent du pétrole"? On déclara, ex-cathedra, que personne n'est indispensable ! Chadli a pu le dire en direct à la télévision, un certain 19 septembre 1988, deux semaines avant l'explosion du 5 octobre, en étant plus explicite : "Que celui qui ne se retrouve plus dans notre pays prenne ses enfants et sa femme et fiche le camp"!
Ceux, parmi les étudiants sortis de l'Université, qui ont miraculeusement réussi leur cursus- sur le plan de la compétence et non des notes obtenues- ont été vite déçus par le système qui régente l'administration et l'économie. Ils ont fini par être marginalisés et poussés vers la porte de sortie. Il n'est pas étonnant de voir autant d'Algériens servir la santé, le créneau de l'informatique et la recherche scientifique dans des pays développés, desquels, ironie du sort, on attend un hypothétique un transfert de technologie.
L'heure du changement a-t-elle sonné ?
Les choses commencent peut-être à changer, et nos gouvernants n'y ont aucun mérite. Le changement, que l'on espérait venir de la société et de ce qui reste comme élite politique et culturelle marginalisée, est en train d'être accéléré et boosté par… l'imprévoyance des autorités politiques et l'aveuglement des gestionnaires de son économie. Depuis deux ans, des certitudes commencent à être ébranlées et fêlées par le recul des recettes pétrolières. Le début de la période des "vaches maigres" a jeté peur et panique, non pas chez la population, laquelle en a vu d'autres, mais chez les rentiers eux-mêmes qui ont peur pour leur position et leur fortune.
La recherche de solutions alternatives au tout-pétrole, aussi discutée et aussi étalée soit-elle, ne peut se passer de la seule richesse, celle de l'homme, qui puisse mobiliser les autres richesses que l'on dit en friche (agriculture, tourisme, agro-industrie, services, NTIC, etc…).
La ressource humaine, c'est avant tout la formation et la qualification. Sans que l'on ne s'en rende compte de façon explicite, cette vérité commence à pénétrer l'esprit des jeunes Algériens. C'est pourquoi l'on a parlé d'un "non" en voie de formation, celui qui refuse que l'école et l'université soient réduites au transport, à la cantine et à l'appareil de chauffage. Il s'agit maintenant de donner sens, continuité et pérennité à ce noble refus, en traçant un autre destin à toutes les instances de formation et d'enseignement dans notre pays.
Amar Naït Messaoud
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Merci
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