Quand la maison brûle, il faut changer les fondations...
Ce n’est un hasard si la démocratie est née à Athènes. Et heureusement qu’elle le fut dans un pays richement peuplé de philosophes. Ces derniers ont inventé un discours politique novateur pour gouverner, la démocratie qui veut dire pouvoir du peuple. Il faut être philosophe pour confier le pouvoir au peuple, une façon de surveiller tout pouvoir où germent en son sein les graines de la corruption.
Ils ont compris que le peuple était le seul détenteur d’un antidote pour dissoudre le poison du pouvoir. C’est pourquoi l’histoire et l’humanité ne cesse de tresser des lauriers à cette Grèce qui occupe une place particulière aussi bien dans la philosophie que dans toutes les formes de l’expression artistique. De nos jours le mot démocratie a été intégré tel quel dans toutes les langues. Dans le monde où ce concept n’est pas la tasse de thé des pouvoirs politiques, les habitant de ces pays jeunes expriment leur colère contre le maudit "destin" qui condamne leur société à subir à la fois la misère et le manque d’oxygène de la liberté. Ils ont beau savoir que le destin n’est pour rien car "le coupable" est plutôt cette satanée Histoire qui est à l’origine des épopées des peuples ou de leurs descentes aux enfers. Descente aux enfers quand par exemple les armes des conquérants finissent par avoir raison de la résistance de leurs pays. Plus humiliant quand des seigneurs autochtones fiers de leur culture féodale mixée à leur goût immodéré du pouvoir permettent uniquement à leurs peuples l’expression du silence des tombes. Hier comme aujourd’hui beaucoup de ces militants de ces pays rêvent toujours de se faire caresser de la lumière nommée démocratie.
Pour les habitants du vieux monde, la démocratie est devenue aussi "naturelle" que l’air que l’on respire. Pour se convaincre de cette naïve croyance, ils font appel à la célèbre phrase de Winston Churchill : "La démocratie est le pire du système à l’exception de tous les autres". Plus par conservatisme que par paresse intellectuelle ou ignorance, beaucoup dans ce monde-là ont "traduit" cette formule de Churchill par système politique indépassable. Cela rappelle l’idée saugrenue d’un sociologue américain Fukuyama qui a décrété, sans avoir froid aux yeux, que le triomphe de la démocratie signait la fin de l’histoire, pauvre Hegel (*) ! Ce monsieur, bercé par la musique d’une certaine sociologie a oublié que la démocratie n’est pas descendue du ciel pas plus qu’elle n’est éternelle. Il n’est donc pas étonnant que le ‘’vieux monde’’ n’ait pas vu venir aujourd’hui des vents mauvais sur la scène politique soufflant très forts dans maintes contrées.
Les peuples avaient beau voté NON lors des référendums contre une sorte de constitution d’une certaine union européenne, les pouvoirs préféraient prêter l’oreille à leur propre autisme. Et quand la Grande Bretagne prend le large et se replie sur son ile avec son Brexit et que les Etats-Unis élisent un président nostalgique de la toute puissance de son pays, la panique se répandit en Occident. Maintenant que la maison commence à brûler, on se décide à réfléchir sur comment éteindre l’incendie. On fait appel aux pompiers alors que la destruction de la maison est déjà assez avancée. Les vrais architectes auraient conseillé dans ce cas de figure de raser la maison et la reconstruire ensuite sur des fondations plus solides et avec des matériaux modernes qui ne prennent pas feu facilement. Pourquoi font-ils ce choix ? Disons que le confort dont ils jouissent leur a ramolli le cerveau et développé la toute puissance de leur ego. Ibn Khaldoun avait bien décrit ce phénomène faisant glisser un type de société repue vers la ‘’douce’’ pente de la décadence. Avant de cerner les raisons qui risquent de transformer les mauvais vents en tempêtes qui emporteraient la belle maison de la démocratie, il n’est pas inutile de dire quelques mots sur cette difficile conquête de l’humanité qui comme toute chose de la vie n’est jamais un acquis irréversible…
Elle est née donc à une époque précise et dans cette Grèce où cohabitaient une foule de philosophes rivalisant avec la multitude des dieux. Il n’est pas interdit de croire que ce sont ces philosophes qui ont fait faire à cette antique civilisation cette grande conquête politique. Les célèbres dieux de cette contrée étaient eux contents de leur statut ayant inspiré des mythes qui ont raconté la grandeur et la cruauté de l’humaine condition.
La notion de démocratie a hiberné ensuite pour renaitre des siècles après sous d’autres formes dans cette Europe où germait un système nouveau, le capitalisme qui renvoya le féodalisme dans les musées de l’histoire… Et que voyons- nous aujourd’hui dans cette Europe ? Ceux-là même qui croyaient en la force et en ‘’l’éternité’’ de revenant système démocratique sont pris de panique et habités par le doute face au populisme, un vieux mot du vocabulaire militant que se réapproprient ‘’nos’’ farouches adversaires du militantisme révolutionnaire. La peur fit ouvrir des débats pour comprendre les racines de ce phénomène pour mieux l’abattre. L’abattre pour se contenter ensuite de ravaler uniquement la façade d’un système montrant des signes de fatigue. Car leur souci n’est point de sauver le pays et l’humanité de l’hydre du populisme qui est la porte d’entrée du fascisme. Leur aveuglement idéologique leur a fait oublier que les recettes traditionnelles n’ont plus cours aujourd’hui pour affronter les crises économiques.
Jadis, ce monde faisait des guerres pour résoudre les dites crises en faisant payer la facture de leurs aventures aux autres. Puis quand les guerres comme celles de la première et la seconde guerre mondiale les ont épuisés, leurs économistes leur proposèrent des théories (teintées d’idéologie) qui expliquaient que l’économie suit des règles classiques : croissance puis crise entrainant une période de médication qui met fin à la dite crise. La période de ‘’médication’’ signifie une purge imposée aux travailleurs (chômage, stagnation des salaires et augmentation des impôts etc), pour que ça reparte comme en l’an quarante. Ainsi, ils peuvent ensuite chanter comme jadis les aristocrates, le roi est mort, vive le roi ! Sauf que la mondialisation n’obéit pas à ces recettes maigrichonnes. Le monde d’aujourd’hui ressemble plus à la béance historique ouverte par la chute de Rome (au 5e siècle) rongée par des contradictions internes et entourée de peuples qui n’acceptaient plus de nourrir les légions de l’Empire. (L’Algérie de l’époque était le grenier de Rome).
La profonde crise économique et sociale doublée de l’arrivée au pouvoir de forces conservatrices (dites populistes) a ébranlé les sociétés en Occident. Dans la foulée elle a aussi ébranlé les soubassements idéologiques de la démocratie dite libérale. Jusqu’à présent, on se rassurait en affirmant que le pouvoir était détenu par des au politiques élus. Puis, peu à peu on entendait une autre musique sur la perte de pouvoir de ces politiques. La victoire de Donald Trump a décapité l’illusion du pouvoir détenu par les politiques et a validé la réalité d’aujourd’hui à savoir que le pouvoir est dans les mains de la finance. François Hollande en France avait tenté de faire revivre l’illusion d’un pouvoir du politique en nommant la finance comme son principal ennemi. Il l’a fait pour bercer les gens le temps d’un meeting en attendant de berner tout un peuple pendant 5 ans. Une autre ‘’nouveauté’’ met à mal l’institution démocratie libérale qui vantait selon sa propre dialectique le couple démocratie égale développement économique. Depuis que la Chine où un parti unique contrôle d’une main de fer et l’économie et la société, ce pays s’étant hissé au rang des premières puissances économiques, la dialectique du développement du libéralisme bat de l’aile. Dorénavant les idéologues du libéralisme ne crie plus très fort les louanges du couple démocratie/développement. Leur légèreté provient de la buée sur leurs lunettes qui les empêchent de saisir les autres facteurs historiques d’un pays (héritage culturel et scientifique) et l’accumulation du capital qui permet le décollage économique.
Alors que les grandes cassures de l’histoire (chute de Rome, la Renaissance au 15e siècle en Europe, Première guerre mondiale) ont accouché de tremblements de terre qui ont ébranlé le monde, pourquoi la mondialisation n’accoucherait-elle pas de tels bouleversements ? La maison est en train de brûler et on se contente de proposer un simple replâtrage ? Quand on voit la faiblesse des propositions durant les campagnes électorales et les redondances des débats médiatisés, on est bien obligé de penser que le futur du monde ne peut se contenter des frontières des politiques actuelles. Il est vrai que les problèmes sont complexes et compliqués à résoudre d’autant plus que l’on ne veut pas changer les règles qui régissent le monde (productions et distributions des richesses, rapports internationaux). La guerre on ne veut pas ou on ne peut la faire, la révolution on n’en a peur, alors que faire ? …
Le refus ou l’incapacité de répondre au défi de la mondialisation ne fait qu’accumuler les risques d’explosions dans un monde qui pense trouver son salut dans les replis et les égoïsmes nationaux. On sait hélas où débouche ce genre de comportement. Ce sombre tableau devrait inciter à regarder le monde avec lucidité pour pouvoir anticiper le futur. On préfère ronronner et se complaire dans des fuites en avant. Ce monde qui a peur du spectre des changements se contente de plaquer sur la crise actuelle la notion de populisme qui est loin d’embrasser la totalité des problèmes. Ironie de l’histoire, le populisme est un enfant du lexique marxiste (que l’on pensait révolu, archaïque) définissant et critiquant les dérives démagogiques des groupes révolutionnaires.
Nous sommes partis de la naissance de la démocratie grecque, démocratie qui n’a jamais cessé d’évoluer et de se donner des formes nouvelles pour ne pas se couper des mouvements de la vie en constante évolution. On a l’impression que les fidèles de ‘’la fin de l’histoire’’ n’osent pas défier cette ‘’divine’’ vérité qui bloque leur imagination. Ils n’osent pas suggérer un saut qualitatif aux démocraties existantes dans le monde d’aujourd’hui. L’histoire témoigne pourtant que la fonction première de la démocratie est d’organiser l’équilibre entres les forces politiques dans une société.
Evidemment, de nos jours cet équilibre penche au profit des catégories sociales au pouvoir et des pays riches qui imposent leurs exigences au pays pauvres. La chose est visible si on se donnait la peine de bien observer la vie. On le voit dans les pays où le pouvoir est aux mains des deux cents familles (*), d’une oligarchie dans les pays latino-américains ou tout simplement comme dit l’adage populaire, quand le pouvoir est dominé par l’argent. Chez nous on appelle ce pouvoir celui de la chkara, on a le sens de l’image. L’humanité est aujourd’hui à la recherche d’un autre contenu et d’autres formes de la démocratie. A l’évidence les pouvoirs politiques dominants qui ne veulent rien toucher à leurs privilèges finiront par se heurter de plus en plus à un autre mur plus puissant que celui de l’argent, celui que les philosophes grecs ont désigné comme la seule source de la légitimité en politique.
Ali Akika, cinéaste
Notes
(*) La fin de l’histoire selon Hegel. Karl Marx a critiqué en ironisant sur cette conception idéaliste de Hegel car avait-il dit, sa dialectique marche sur sa tête qu’il faut remettre sur ses pieds. Avec Fukuyama la dialectique rampe carrément au degré zéro de l’idéalisme.
(**) Les deux cents familles, expression des années 1930 quand deux centaines de familles françaises contrôlaient l’économie d’un pays de plus de 40 millions d’habitants.
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merci
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