Incivilités et démission des autorités, plus de 40 000 enseignants partent en retraite
Les chiffres sont là devant nous et sans exagération et parlent d’eux-mêmes, sur les plus 40 000 départs en retraite officiels plus 90% n’ont atteint ni l’âge ni la durée maximum leur permettant de prendre leur pension totale.
Le ministère de l’Education ne s’est jamais inquiété sur la saignée que connaît son secteur, il est beaucoup plus préoccupé à garantir un enseignant pour 40 élèves qu’autres choses ; la qualité et les conditions favorables pour prendre en charge les générations avenirs ne l’intéresse pas. Le nombre de démissions d’enseignants titulaires dans l’éducation en Algérie ces dernières années a doublé et ne cessera d’augmenter avec la nouvelle loi de la retraite sans préoccuper la tutelle. Les facteurs ayant poussé les enseignants à quitter leur emploi sont des causes en lien avec les conditions d’exercice de leur profession. Notons en exemple :
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le manque de motivation
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la gestion de certaines classes devenus difficiles et ingérables.
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la précarité du travail avec de plus en plus de vacataires
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les relations avec les collègues
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la charge de travail
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le manque de soutien offert par la direction
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la faible valorisation de la profession
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l’ingratitude
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l’apport négatif des inspecteurs de matière
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le manque de considération
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le dictat des élèves et des parents
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l’autoritarisme des inspecteurs de matière
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le manque de considération
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l’insécurité de l’enseignant
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le phénomène de violence en courbe croissante.
Le gouvernement en général et le ministère de l’éducation en particulier devrait se poser la question qu’est-ce qui pousse les enseignants à quitter le métier alors qu’ils ont plus de vacances et moins d’heures de travail que tous autres fonctionnaires de la fonction publique. Et ceci reste entre parenthèse car nos études sur le nombre d’heures de travail et leur période de vacances ont démontré que ces enseignants ont dépassé le nombre d’heures de travail réglementé par la loi du travail en Algérie. Cette saignée depuis 2012 ne cesse d’augmenter aussi bien au sein des enseignants titulaires que chez les stagiaires où plus d’un sur cinq quittent l’enseignement dès le début de leur carrière.
En tant que professeur de mathématiques, je peux vous énumérer certaines :
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La "décrébilisation" du métier d’enseignant à travers leur statut particulier qui fait l’objet de beaucoup de critique et en responsabilisant ce dernier de la faiblesse du niveau des élèves ainsi que sa participation aux nombreuses grèves que connaît le secteur. Contrairement à ce que pensent certains, leur rémunération est faible ce qui les pousse à combler ce déficit par des cours particuliers à droite et à gauche.
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L’éducation nationale a réussi à faire dégoûter du métier les jeunes stagiaires ainsi que les titulaires non pas uniquement à cause de leur rémunération mais aussi par la non prise en charge sérieuse de la violence qui sévit le secteur car on a privé l’enseignant de toute son autorité pédagogique. A chaque remarque faite à un élève, il vous insulte avec des mots gravissimes dans le dos ou vous agresse et lorsque les parents sont prévenus, ils vous traitent de menteur et lorsque vous le faites passer en conseil de discipline vous devenez l’accusé ou bien la sanction proposée est refusée et ce dernier revient dans sa même classe pour défier son enseignant. Sans parler du changement sans arrêt de la méthode d’évaluation du livret de note, des fiches de préparation, des méthodes d’enseignement et du manque de formation tout ceci font que tout le monde en a marre. L’enseignant et l’élève sont devenus des cobayes pour le ministère qui chaque jour prend une décision à appliquer sans discussion pour se rendre compte après que celle-ci est inadaptée au système éducatif algérien.
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L’enseignant sent qu’on ne lui demande pas de prendre en charge une classe mais il est mis dans celle-ci et souvent pour certains celle où se trouve le plus d’élèves faibles ou violents car les meilleurs et les plus disciplinés sont confiés aux privilégiés avec tous les avantages emploi de temps et heures aménagées ce qui a amené beaucoup d’enseignants à avoir des dépressions ou des AVC ou suicides suite à ces inégalités.
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L’évolution des cours particuliers qui poussent les élèves à ne plus suivre les cours théoriques en classe et leur impact sur la discipline générale. L’enseignant est livré à lui-même car le ministère a choisi de choisir la quantité de diplômés et non la qualité et pour cela c’est lui qui encourage de plus en plus ces cours à travers les sujets d’examens dont le niveau est à la portée des faibles et ceux qui se désintéressent des cours théoriques telle est la réalité. Le ministère cherche la paix sociale au niveau de son secteur quel que soit le résultat ; chacun gère sa carrière.
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Le métier est de moins en moins attractive et les établissements d’enseignement sont inégaux dans leur capacité et de plus en plus mal gérés par des incompétents mal formés et non aptes à avoir cette responsabilité. Aucun projet d’établissement n’est proposé c’est devenu un vrai pénitencier où enseignants, élèves et administration sont entassés pendant une journée puis une semaine et enfin un mois attendant les prochaines vacances ou la fin de l’année. Alors qu’auparavant l’enseignant était impatient de revoir ses collègues, ses élèves ou son établissement et prévoyait des sorties de loisirs avec ses élèves, des sorties culturelles ainsi que des matchs de gala soit entre collègues soit avec ses élèves ; c’était la joie dans les établissements où la violence était presque inexistante. La question qui se pose qu’est-ce qui a changé c’est les mêmes enseignants et la même structure. Oui la motivation a disparu c’est devenu un métier sans vie, on ne vient plus vers ce métier par amour et ceux qui y sont depuis longtemps sont déçu de l’ingratitude de la société ainsi que de leur propre tutelle qui les pousse vers la porte de sortie et de plus ils sont usés. Ce qui confirme les études des syndicats qui proposent un départ en retraite à partir de 25 ans.
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La précarité du métier est une autre raison où on retrouve de plus en plus de contractuels qui dès la première occasion quittent le métier même avec une rémunération moindre car la pénibilité du métier est flagrante et rien ne les lient à ce travail pendant longtemps donc ils préfèrent voir ailleurs.
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Le manque de considération des responsable et de la société vis-à-vis des enseignants est de plus en plus ressentis par ces derniers car les responsables préfèrent s’attirer la sympathie des parents d’élèves que ceux des travailleurs et sont blâmés ou lâchés ou sanctionnés ou incriminés par tout le monde au moindre pépin. Ils sont rendu responsables de tous les problèmes : baisse de niveau, indiscipline, notation des élèves.
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Le rôle des inspecteurs a beaucoup influé sur le rendement et la qualité de l’enseignant car c’est devenu beaucoup plus enquêteur de police que conseiller et formateur ; ils ont augmenté le stress vécu en classe et ont eux aussi poussé certains à quitter le secteur.
Le nombre d'enseignants qui veulent démissionner va croissant ainsi que le nombre de ceux qui souffrent de diverses pathologies. Les chiffres ne sont jamais dévoilés par la tutelle mais nous pouvons dire que chaque année plus de 10 000 démissions sont déposés parmi les enseignants et plus 20% débutants abandonnent après une courte expérience. Le stress est trop pesant et l’enseignant n’a plus le temps de penser, il a juste le temps d’enseigner, de garantir la discipline et de préparer ses cours car il est livré à lui-même sans aucune aide. Les dépressions parmi les enseignants dans le secteur ont doublé sans aucune prise en charge. Ce taux de désertion considérable montre si l’enseignement a de tout temps était considéré comme le plus beau métier du monde, aujourd’hui il faut cesser d’entretenir cette vision d’une profession facile avec seulement des enfants qui veulent apprendre, avec de nombreux jours de repos et de longues vacances.
Le ministère devrait réfléchir à arrêter cette saignée sans penser aux moyens pour garantir la qualité de l’enseignement et la sécurité aussi bien de l’enseignant que de l’élève que de toute la société et je sais de quoi je parle. Nous pouvons proposer les premières initiatives que devrait prendre le ministère :
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il est temps d’aménager l’horaire hebdomadaire d’un enseignant expérimenté en classe le chargeant beaucoup plus de la formation des jeunes enseignants fraichement débarqués dans le métier pour les accompagner dans les établissements de leur lieu de travail.
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ne plus obliger un enseignant à continuer d’enseigner en plus de ses capacités après un certain nombre d’années d’expérience et pourquoi pas comme le demandent les syndicats c’est-à-dire 25 ans d’expérience.
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prévoir des postes aménagés à tout enseignant prédisposé à une dépression ou incapable de gérer une classe.
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rendre l’autorité pédagogique à l’enseignant par des lois facilitant la tâche de l’enseignant.
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empêcher les parents d’élèves de s’initier dans le travail pédagogique de l’enseignant.
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sécuriser le métier d’enseignant à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement.
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sévir lourdement le parent ou l’élève ou l’enseignant coupable de faute grave.
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ne plus permettre aucun dépassement à l’intérieur et aux alentours de l’établissement.
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mettre à la tête des établissements et des académies des personnes compétentes ayant prouvé leur capacité à gérer et ayant la couverture de la loi par rapport aux menaces de personnes externes à l’établissement ou utilisant leur haute fonction.
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remettre en cause le rôle des inspecteurs de matières.
Le ministère ne peut plus garantir à lui seul la qualité de l’enseignement tout en continuant à assurer la gestion des établissements, des élèves, des enseignants ainsi que l’évaluation de la qualité de l’enseignement. Aujourd’hui, l’administration fausse souvent les résultats d’examen en avantageant au maximum les barèmes de correction et en gonflant les notes des examens comme ceux du BEM ou du BACCALAUREAT pour ne pas montrer l’échec de la réforme ou l’incompétence des responsables. Aujourd’hui, on s’éloigne de l’objectif de l’éducation nationale chargée de transmettre le savoir pour permettre aux élèves d’aujourd’hui devenir les citoyens responsables de demain. Cette situation est mal vécu par la plupart des enseignant les amenant à vouloir quitter le secteur le plus tôt possible
Pour que le ministère allège sa part de responsabilité, il peut décentraliser la gestion totale en laissant celle de l’enseignement à quatre secrétariats indépendants régionaux : Alger, Oran, Constantine, Béchar qui auront l’autorité sur tous les établissements scolaires de la région ainsi que le corps enseignant et administratif ; Ils pourront décider librement de l’organisation pédagogique en rapport avec chaque établissement et chaque région, qui aménageront les parcours scolaires et le volume horaire en fonction des situations de la région.
Le ministère pourra s’occuper ainsi uniquement des grands objectifs éducatifs nationaux tels que le recrutement, les moyens à allouer à chaque région, la présélection des enseignants par concours, l’évaluation de la qualité du système d’éducatif par région, par l’organisation des examens nationaux et l’évaluation nationale ; encourager l’égalité de chances et renforcer l’enseignement public par beaucoup plus de filières d’excellence tel que les mathématiques, technique mathématiques dans chaque établissement et en créer d’autres filières inexistantes en Algérie qu’elles soient technologiques ou artisanales ou professionnelles ou culturelles ou sportives. Cette diversité de filières sera à l’initiative des établissements.
Et pourquoi ne pas créer des lycées sportifs, des lycées d’agriculture, des lycées techniques des lycées professionnels dans chaque région etc… qui seront des établissements publics d’excellence. Ils seront les lieux de prédilection de certains élèves qui pourront à chaque fois être réévaluer et réorienter suivant l’accord du corps enseignant.
Enfin, il est temps d’engager un plan d’urgence pour rétablir la sérénité dans les classes, les établissements rendre l’autorité pédagogique à l’enseignant ainsi que l’autorité de l’établissement scolaire. L’efficacité du système éducatif passe par l’apprentissage du respect de l’autre et de la maîtrise du soi qui nous amène à vivre ensemble en bon citoyen. Nous pouvons ensemble réussir à rendre la classe plus gérable avec moins de problème de discipline si l’élève et les parents acceptent l’autorité et la sanction, si la hiérarchie prête plus d’intérêt à tous les problèmes.
Chaque établissement doit se doter d’une cellule d’écoute et de soutien des enseignants face à l’incivilité. L’évaluation doit aussi porter sur les irrégularités constatées et sur le climat scolaire rapporté par les enseignants, les élèves et les parents.
A partir de là on pourra reconquérir la confiance dans le système scolaire et l’école publique qui poussera les enseignants à prolonger leur carrière.
Hakem Bachir,
Professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi d’Oran
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