La question internationale dans la présidentielle française
La campagne présidentielle de 2012 avait été marquée par son quasi-silence sur les enjeux internationaux révélant la réalité d’un consensus entre les principaux candidats qui jugeaient inutile d’en discuter ou de s’opposer faussement. La suite a bien montré que la politique étrangère de la France ne soit pas débattue devait inquiéter. Le "mollétisme"de François Hollande s’inscrivait parfaitement dans le sillon tracé par Nicolas Sarkozy.
Le cap a été maintenu, marqué par la multiplication des interventions et expéditions guerrières, au point que c’est ce que l’on retiendra le plus du dernier quinquennat. Autant la diplomatie sarkozyste avait été stupéfiante d’inflexions, de retournements, de gages inutilement donnés et d’impréparations velléitaires riches de conséquences, au point que l’on a pu s’interroger s’il existait une vision d’ensemble cohérente du rôle de la France dans le monde. Autant celle de François Hollande a été d’une grande clarté : atlantisme effréné donnant dans la surenchère au point d’être plus jusqu’au-boutiste que celle des États-Unis sur l’Iran, la Syrie, la Russie, abaissée et docile dans sa relation à l’Union européenne, inexistante et illisible dans sa relation au monde en développement.
La campagne de 2017 s’annonce différemment. Marquée par un monde qui a beaucoup évolué, elle en porte les stigmates et révèle des postures nouvelles, parfois à front renversé par rapport aux positions habituelles. Elle traduit surtout un renouveau d’intérêt marqué pour ces questions qui apparaissent loin d’être un facteur extérieur secondaire ne faisant qu’apporter des corrections négligeables aux problèmes locaux, mais s’imposent comme une réalité omniprésente façonnant la vie des États et des individus. Bref, l’international et la politique étrangère font irruption dans la campagne, traduisant l’inquiétude tout à la fois sur la place de la France et sa capacité à peser sur l’évolution du monde et à s’en protéger. Car on sait que la France ne manque pas d’atouts et a su toujours s’appuyer sur son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, sa puissance militaire nucléaire, la francophonie, son poids dans le PIB mondial, sa maîtrise de la haute technologie, son réseau d’ambassades et de diplomates qualifiés, bref tout ce qui concourt au rayonnement d’un pays. Notre pays a toujours su en jouer en donnant à sa politique étrangère, grâce à son non-alignement, plus de poids qu’elle n’en avait réellement. L’irruption de cette thématique dans un monde troublé et chamboulé ne doit donc pas étonner. Les dossiers qui cristallisent les oppositions commencent à émerger entre les candidats, voire, fait plus surprenant, au sein même des primaires, à gauche comme à droite.
Le débat s’amorce et va probablement s’amplifier autour de différents sujets. On peut sans peine les identifier. Certains ont déjà marqué la présidentielle américaine ou le referendum britannique sur le Brexit. Ainsi en est-il du bilan de la mondialisation et de ses effets. L’opposition entre libre-échange et protectionnisme devient un enjeu largement débattu et nourrit le retour de l’appel à la démondialisation. De même, la montée des flux migratoires, dont les causes multiples ne sauraient se réduire à la seule mondialisation, donne naissance à de vives polémiques entre postures extrémistes et irresponsables de ceux qui rêvent d’un tout sécuritaire et d’expulsions massives et de ceux qui déclarent que désormais la liberté de s’installer devrait être acquise et que chacun pourrait à sa guise résider où bon lui semble et en viennent à penser que le nomadisme planétaire pourrait ainsi tenir lieu de politique de développement. La nature de l’Union européenne et surtout son rapport à celle-ci, si décisif pour crédibiliser l’application d’un programme, sont déjà au cœur des débats. L’atlantisme, surtout dans l’incertitude des orientations de la présidence de Trump, ne fait plus recette et aucun candidat ne s’en réclame, alors que c’était une figure quasi-imposée il y a encore peu. C’est le rapport à la Russie qui mobilise les échanges et révèle des postures nouvelles, souvent à front renversé. Enfin l’analyse de l’islamisme radical divise tout autant que la façon d’en contrarier les aspects terroristes.
Le quinquennat écoulé a vu grandir la défiance populaire à l’égard des institutions européennes. Maintes élections en ont porté témoignage. Le traitement réservé à la Grèce a choqué et dessillé beaucoup d’yeux. Le courage d’Alexis Tsipras, le premier chef d’État européen à avoir engagé un bras de fer avec les institutions de la Troïka a forcé l’admiration même si la solidarité lui a été trop ténue et le rapport de force au final insuffisant. Mais des leçons ont été retenues. D’abord devant le rouleau compresseur de Bruxelles, il faut gagner des alliés et ne pas rester isolé. Ensuite, l’Union européenne telle qu’elle s’est constituée, avec l’empilement de traités successifs, est devenue un instrument de verrouillage de tout changement social et progressiste. Sa fonction centrale au service des oligarchie l’a transformée en Sainte Alliance obligeant ses États membres à rester enfermés dans une politique du «cercle de la raison». Elle entend ainsi jouer le rôle de réducteur d’incertitude en limitant l’oscillation du balancier politique. Enfin, la crise grecque a montré que la recherche d’une autre Europe, souhaitable mais certainement très longue à obtenir, ne nous exonérait surtout pas de la question du «qu’est-ce qu’ont fait en attendant ?». Et surtout qu’il en allait de la crédibilité de tout programme non-eurocompatible de pouvoir répondre à cette question du rapport à l’Europe qui a ainsi pris le pas sur la nature de l’Europe désirable à laquelle la plupart des partis appellent à réfléchir après le Brexit britannique. Ainsi des propositions inimaginables il y a cinq ans s’invitent dans le débat. L’un propose d’aller «casser de la vaisselle à Bruxelles», d’autres invitent à renégocier les traités européens et en cas de refus suggèrent de recourir au peuple pour décider d’une éventuelle sortie de l’Union en expliquant que la France n’est pas la Grèce. Les interrogations sur les bienfaits ou la nécessité de l’euro se sont ravivées. L’adoption du Brexit a tétanisé les Commissaires européens et renforce la détermination des tenants d’un "bras de fer" ou d’une politique de "désobéissance". On est désormais bien loin des timidités de 2012.
L’analyse de la politique russe et de l’attitude qu’il convient de manifester à son égard s’est également invitée dans la campagne présidentielle. Comment la Russie voit-elle le monde ? Doit-elle être traitée comme adversaire, partenaire ou alliée ? La parenthèse post-guerre froide se referme-t-elle s’ouvrant sur une période multipolaire ? Ces interrogations sont en débat et ne laissent plus que les Verts et les socialistes comme tenants d’une politique d’affrontement du type de la guerre froide. Il leur faudra admettre que depuis 1999 la Russie de Poutine n’est plus celle de Boris Eltsine. La Russie était alors pour la communauté internationale un pays à démocratiser, à préparer au passage à l’économie de marché, à intégrer internationalement et à affaiblir militairement. Traduisons : à livrer aux oligarques mafieux et à piller ce qui pouvait l’être, à commencer par ses cerveaux qualifiés, et à mettre à genoux. Misère et humiliation entraînèrent un retour de manivelle avec l’ambition de reconstruire un pays dévasté et de lui redonner sa place sur la scène internationale. L’incertitude et le désengagement américain, ajoutés à la désunion et l’ingouvernance européennes ont conféré des marges de manœuvres à la Russie dont le rôle est apparu comme incontournable dans une région comme le Moyen-Orient. En six mois, son engagement contre le djihadisme en Syrie est apparu plus efficaces que trois années de coalition occidentale plus soucieuse de déboulonner le régime syrien que de combattre l’État islamique. Face à cet ennemi principal, beaucoup en viennent à penser qu’il convient de traiter autrement la Russie et notamment d’en faire un partenaire dans les questions européennes et un allié dans la reconstruction du Moyen-Orient dévasté. Sur le rapport à la Russie, l’Europe est divisée, certains pays lui demandant de l’en protéger, d’autres considérant qu’elle appartient au monde occidental et doit donc être traitée comme une alliée, notamment dans d’autres conflits jugés comme essentiels. Bref, ni adversaire ni ennemie, mais partenaire exigeante et indispensable. Sur des bases idéologiques différentes, trois candidats déjà déclarés à la présidentielle – Mélenchon, Fillon, Le Pen – représentant une large majorité d’électeurs, adhèrent à cette approche nouvelle qui sort d’une vieille posture de guerre froide. Panorama politique inimaginable en 2012.
Sur l’international la campagne présidentielle de 2017 ne va pas ronronner. Elle sera vive d’affrontements notamment autour du libre-échange, de l’intérêt de l’atlantisme, du rapport à la Russie et à l’Union européenne, de l’analyse de l’islamisme radical et de la façon de le combattre. Des postures nouvelles, des fissures inédites vont apparaître et laisseront leurs traces dans les recompositions politiques futures. Ces questions ne resteront pas mineures dans le débat qui s’ouvre.
Michel Rogalski
Directeur de la revue Recherches internationales
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
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merci pour les informations