La liberté d’expression : un droit universel compromis en Algérie

La liberté d’expression : un droit universel compromis en Algérie

Environ une semaine après l'éditorial du New York Times (publié le 16 décembre) – qui qualifia au passage l'Algérie de "gouvernement dirigé par un petit cercle de généraux", suite à la mort en détention du journaliste Algérien, Mohamed Tamalt, à l’issue d’une grève de la faim – vint le tour de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) pour contester également la liberté de l'expression en Algérie dans un rapport publié jeudi 22 décembre et intitulé "Algérie : la main invisible du pouvoir sur les médias".

Théoriquement, le pluralisme médiatique existe en Algérie. Depuis les contestations de 2011 suivies des lois de 2012 et de 2014, le pays a connu une sorte d’ouverture : environ 150 titres concernant la presse écrite et une cinquantaine de chaînes privées "informent" preque chaque jour. Cependant, ces chiffres cachent une main lourde qui paralyse l'information. Aussi, au classement mondial de la liberté de la presse de RSF, l’Algérie n’a pu se trouver qu’à la 129e place sur 180, après avoir été classée 119e l’année précédente.

Il s’agit en fait – comme qualifié dans le rapport – d’un "pluralisme asphyxié". Selon le rapport de 30 pages, certains sujets "tels que la santé du président de la République, l’atteinte aux "valeurs et principes de la société" ou les "fondements de la Nation" sont considérés comme des "constantes" nationales et autant de pierres d’achoppement auxquelles peu de médias osent se heurter". Pour subsister, les 150 titres n’ont d’autre choix que de se faire une ligne éditoriale peu, voire pas du tout, critique envers les dirigeants. En outre, ils dépendent en grande partie de la publicité, dont sont privés les médias les plus critiques, tels les groupes El Khabar et El Watan. "Nous savons par exemple de source sûre que les autorités, notamment le ministre de la Communication et celui de l’Industrie et des Mines, n’hésitent pas à contacter les grands industriels pour nous priver de publicité", déplore le directeur d’El Khabar, Cherif Rezgui, en partageant le même avis du directeur d’El Watan, Omar Belhouchet, qui considère que "chaque acquis obtenu par la presse indépendante pendant les années 90, au prix de très lourds sacrifices, est en train d’être perdu dans un contexte de déréglementation où, sous couvert de pluralisme, des fonds occultes sont en train de s’emparer peu à peu des médias".

Concernant l’activité audiovisuelle, seuls cinq chaînes de télévision offshore – Dzair TV, Ennahar TV, El Djazair, Echourouk TV et Hogar TV – parmi la cinquantaine furent agréées en 2013. À noter que cet agrément n’a pas été renouvelé pour nombre d'entre elles, après la fin de cette même année. "Soumis au bon vouloir du gouvernement, ces chaînes peuvent voir leur matériel saisi ou leurs studios mis sous scellés du jour au lendemain", décrit le rapport tout en évoquant la fameuse fermeture autoritaire de la chaîne El Watan en 2015 pour les propos tenus par l’invité, Madani Merzag, qui n’a, pour sa part, "jamais été inquiété par les autorités". Là encore, ce sont certaines chaînes, véritables faux-nez du pouvoir qui ont les faveurs de la publicité et la primeur sur l'information officielle.

Après les révoltes de 2011 dans le monde arabe, les autorités algériennes furent obligées de consentir des réformes d’ouverture, d’où l’édition d’un nouveau code de l’information en 2012 qui prévoyait le remplacement des peines d’emprisonnement par des amendes, garantissant ainsi une sorte de liberté. Cela dans les textes seulement, car la réalité est tout autre. La liberté d'écrire et de publier est étouffée cependant par des exceptions trop larges et peu précises telles que "le respect de l’identité nationale, des valeurs culturelles de la société, des exigences de la sécurité et de la défense nationale, de l’ordre public, des intérêts économiques ou encore de la souveraineté et de l’unité nationale" (article 2). En février 2016, un projet de révision constitutionnelle est adopté, disposant que "la liberté de la presse écrite, audiovisuelle et sur les réseaux d'information est garantie. Elle n'est restreinte par aucune forme de censure préalable", en précisant que "le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté" (article 50). De plus, dans la révision du 6 mars, il est stipulé que "la liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables" (article 42).

Cependant, dans la pratique, de nombreux journalistes et citoyen-journalistes se sont retrouvés derrière les barreaux. En juin 2014, un certain Youcef Ouled Dada a été arrêté pour "publication de photos et de vidéos qui touchent à l'intérêt national" et "d’outrage à corps constitué» après avoir filmé trois policiers en flagrant délit de vols dans la commune d'El Guerrara à Ghardaïa. En octobre 2015, après avoir pénétré dans sa maison par force, la police arrête Hassan Bouras. Il est accusé d’"outrage à corps constitué", d’"attentats visant à renverser le régime" et d’"incitation au port d'arme contre l'Etat". En novembre, le caricaturiste Tahar Djehiche a été condamné en appel à six mois de prison ferme et une amende de 500.000 dinars pour "atteinte au président de la République" et "incitation à attroupement" après avoir publié dans les réseaux sociaux une caricature du président Bouteflika. Sans oublier le défunt Mohamed Tamalt qui était correspondant du journal El Khabar à Londres, mort en détention le 11 décembre 2016 après avoir été arrêté le 27 juin dernier et condamné le 4 juillet à une peine de deux ans de prison ferme et d’une amende de 200.000 dinars, pour "outrage à corps constitué" et "atteinte à la personne du Président", après avoir publié sur sa page Facebook des vidéos et un poème insultant le président de la République.

Sans doute, d’autres connaîtront le même sort et, malheureusement, on est susceptible d’en savoir à travers des sources étrangères plus qu’à travers nos médias "asphyxiés". Pourquoi ? Est-ce un autre enjeu de "mains étrangères" qui ne cherchent qu'à "déstabiliser la sécurité nationale et l'ordre public" ? Ou bien simplement un geste conscient venant d’au-delà des mers pour réclamer nos propres droits vis-à-vis de notre quiétisme concernant notre propre liberté de penser et de dire ?

Youcef Oussama Bounab

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