MECILI ET LES BONS DE CAISSES : 2. Quand Alger fabriquait des faux coupables
A la question de savoir si derrière cette affaire Hasseni ne se cachaient pas des pressions politiques exercées sur l’Algérie, Me Ksentini a déclaré lundi : «Sans aucun doute. C’est malheureux parce qu’il s’agit de la liberté d’un individu qui est étranger à cette affaire qu’il ne connaît ni de près ni de loin.»
Il sait de quoi il parle.
Le régime algérien est passé champion dans l'art de confisquer "la liberté d’un individu qui est étranger à une affaire qu’il ne connaît ni de près ni de loin.» En 2004, ils étaient les conspirateurs. En 2008, la victime c'est l'un des leurs.
Benchicou raconte :
Dans l’après-midi du samedi 23 août, une nouvelle tombe : les services douaniers refusent de se constituer partie civile et donc de déposer plainte contre moi. Sollicités par les plus hautes autorités du pays, les responsables des douanes, devant l’énormité du subterfuge, ont catégoriquement refusé de se prêter à une mascarade politicienne montée de toutes pièces en dehors du cadre légal et réglementaire. Les douaniers de l’aéroport, invités par leur ministre de tutelle Abdelatif Benachenhou à établir un rapport d’infraction sur la base de la fouille opérée par la police de Zerhouni, se révoltèrent et opposèrent un non catégorique. Et pour cause : je n’avais pas eu le temps d’avoir affaire à eux ! Les flics m’ont cueilli avant que je ne franchisse le seuil de l’espace douanier. Le gouvernement les conviait tout simplement à mentir et à fouler aux pieds les lois de la République !
Durant toute la journée du dimanche, les ministres de Bouteflika ainsi que la police de Zerhouni exercèrent une terrible pression sur le directeur général des douanes Sid Ali Lebib pour le contraindre à déposer plainte contre le directeur du Matin. Le chef de l’Etat chargea même le ministre Hamid Temmar de le faire changer d’avis « par tous les moyens », c'est-à-dire par la carotte ou par le bâton. Ce dernier, devant le chantage, prit alors l’initiative qui allait déstabiliser le clan Bouteflika. Après avoir réuni, dans la soirée du dimanche, l’état-major des douanes pour solliciter son avis sur « l’affaire Benchicou » et recueilli une réponse unanime – il n’y avait aucune raison pour les douanes de déposer plainte – Sid Ali Lebib va trancher définitivement dès le lundi 25 août, dans un message adressé au chef du gouvernement mais aussi au patron des services de renseignements, le général Toufik. Un message sans équivoques : « Benchicou Mohamed a été intercepté par les éléments de la police des frontières avant l’accomplissement des formalités légales auprès du service des douanes. Cette conduite ne permet pas d’asseoir une quelconque infraction dans la mesure où l’intéressé peut faire valoir ses droits seulement auprès des services des douanes à tout moment pour les objets et effets personnels,y compris les capitaux. Le législateur autorise un voyageur, une fois la marchandise déclarée, de la constituer en dépôt auprès du receveur et de la réexporter dans un délai de quatre mois ou de la dédouaner dans un cadre réglementaire. Présentement, les éléments de la PAF, même s’ils peuvent avoir un renseignement ou avoir découvert des devises dans les bagages du passager, ne pouvaient à aucun moment le poursuivre puisque l’infraction de changes ne peut être constatée qu’après l’accomplissement des formalités douanières. » C'est clair : la police des frontières qui m’a fouillé à l’aéroport n’ayant pas la qualité judiciaire pour constater un délit d’infraction, la procédure était nulle et non avenue et je ne pouvais être poursuivi aux yeux de la loi algérienne ! L’action était d’autant plus irrecevable que Zerhouni ne disposait d’aucune pièce à conviction : les bons de caisse, si tant est que leur transport relèverait d’un délit, n’ayant pas été saisis et m’ayant été restitués à l’aéroport, la police n’avait en sa possession aucun corps du « délit » à présenter au juge. Il n’y avait aucune preuve matérielle sur laquelle pouvait s’appuyer l’accusation en dehors des photocopies faites par précaution et qui ne pouvaient en aucun cas remplacer le corps du « délit ». Il n’existait pas, non plus, de procès-verbal établi à l’issue de la fouille. « Je ne savais pas qu’on était en face d’une infraction », avait avoué le commissaire durant le procès.
Yazid Zerhouni et les architectes du complot se trouvaient, du coup, sans plaignant et donc sans base légale pour m’inculper. Allaient-ils renoncer, devant tant d’impréparation, à leur funeste projet de m’incarcérer ? Ce serait mal connaître le régime algérien.
En moins de vingt-quatre heures, le duo Bouteflika-Zerhouni allait, au mépris total des lois de la République, commettre l’un des plus scandaleux abus de pouvoir jamais perpétré depuis l’indépendance.
Le refus des douanes de déposer plainte ne perturba pas bien longtemps le clan présidentiel. Ce lundi 25 août, à six heures du matin, un ordre enragé tombe sur le téléphone du ministre des Finances Abdelatif Benachenhou : « Je veux qu’une plainte soit déposée ce matin contre Benchicou, par qui vous voulez, et qu'il dorme en prison ce soir. Débrouillez-vous ! » Reculer devant les os juridiques n'était pas dans les coutumes du régime algérien. Après tout, c'est la justice qui sert le pouvoir et pas l'inverse. Pas de plaignant contre Benchicou ? Qu’à cela ne tienne. Il va falloir en trouver un.
Commença alors une incroyable course contre la montre pour monter, dans la journée, une sordide machination politico-judiciaire qui devrait conduire à l’incarcération d’un journaliste ! Il fallait, en quelques heures, dénicher un plaignant de secours, fabriquer un procès-verbal et, surtout, mettre la main sur le corps du « délit », les bons de caisse que le commissaire de la PAF m’avait restitués et qui étaient indispensables à la confection du dossier d’inculpation.
A 8 h 30, Benachenhou, sommé de trouver un plaignant de substitution aux douanes, convoque le directeur d’une institution financière parfaitement inconnue du public, l’Agence nationale du Trésor, et lui ordonne de déposer plainte contre le directeur du Matin pour « infraction à la réglementation douanière » ! Ce qui fut fait sur le champ auprès du procureur général Kaddour Berradja, un auxiliaire zélé du pouvoir. Une obscure institution financière que je ne connaissais pas venait de me poursuivre en justice, sur ordre de la Présidence de la République, pour un préjudice qu’elle n’a jamais subi et dont elle ignorait jusqu’à la nature !
Le syndicat des douanes s'insurge contre cette violation du Code des douanes et dénonce, en conférence de presse, la conspiration dont j'étais victime. Son secrétaire général paiera cher cette audace : il sera licencié quelques mois plus tard."
L.M.
A SUIVRE
Commentaires (2) | Réagir ?
En general les gens comme Sid Ali Lebib obeissent au doigt et l'oeil aux "hautes autorites"pour sauvegarder leurs privileges et la en l'occurence ce n'etait pas le cas alors la question est qu'est devenu mr Lebib depuis ?Est ce qu'il a ete puni pour sa desobeissance?S'il est encore dans le sillage du pouvoir c'est que je ne comprends plus rien a la boulitique algerienne
Demandez à LARBI BELKHIR, mourant il vous dira peut-être, plein de remords et en espérant le pardon céleste que c'est lui qui a commanditer le crime.