A comme Algérie (V)
"Aujourdhui, l’humanité (… l’ensemble des êtres humains) est en miettes, lacérée par les guerres et de nouvelles divisions provoquées par la volonté de conquête des uns, la fatalisme des autres, l’indifférence et le cynisme des dominants locaux et mondiaux." (1)
E comme échec
On ose le dire, ce n’est plus seulement quelques oiseaux du malheur hier qui croassaient par frustration : attention, on va droit au mur ! Que faire ? Se contenter de se lamenter et de maudire ? Peut-on refaire l’examen comme le recalé au bac qui espère plus de chance la prochaine fois ? Non, toute l’institution s’est écroulée sur la tête des acteurs et l’élève n’est que le dernier maillon c'est-à-dire le premier sacrifié. Le ver est dans le cœur de l’homme, affirmait Camus. Va-t-on leur arracher le cœur à condition qu’ils en possèdent un et nous une cervelle pour jouer au chirurgien-sorcier ? Le philosophe arabe Al Maâri affirmait que le monde se divise en deux. Ceux qui ont une tête et pas de ventre et ceux qui ont un ventre et pas de tête. Il a oublié ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre et qui pullulent de nos jours. Par exemple, les Américains pensent avoir trouvé la solution en votant Trump. Ce dernier, avant même de prendre les commandes, s’est débarrassé d’au moins 7 des promesses qu’il a faites à ses électeurs. Gageons qu’il serait mieux "démocrate" qu’une Clinton une fois sur le trône mondial.
Comme en France où le président élu au suffrage universel règne à droite s’il est de gauche et de gauche s’il est de droite. Poussant les Français qui votent à éliminer au lieu d’élire. Ils ne comprennent pas pourquoi ils se retrouvent cocufiés à tous les coups. Une jeune historienne s’est amusé à compter combien de jours devait travailler un Français pour payer ses impôts avant et après la Révolution qui lui a apporté la République avec sa trinité sacrée : Liberté-Fraternité-Egalité. Le roi se contentait d’enlever 17 jours de labeur à son sujet tandis que pour satisfaire le président de la République, il faut au citoyen sacrifier 208 jours. On voit pourquoi les révolutions restent l’arnaque numéro 1.
En Algérie, on connait bien les lendemains révolutionnaires. A la moindre goutte d’or noir qui tarde, la Régence, autoproclamée et en manque, se précipite pour déchiqueter les poches laminées de ses serfs. On ne trouverait pas un historien pour comparer les chiffres. C’est rebelote l’an 0 à chaque révolution. La masse algérienne est née en miettes. Une miette sans mémoire de son ensemble. L’émietter un peu plus, elle disparait. Que la presse américaine cesse de prédire le chaos en Algérie, elle qui n’a prédit ni la crise de 2008 ni l’élection de Trump encore moins le 11 septembre 2001. Au cimetière tout est tranquille, le chaos ne peut venir que du plus vivant du plus fort et du plus riche : la Régence. Pour la simple raison que le chaos notamment celui du 21eme siècle ne se déclenche qu’à l’aide du dollar puisque la technique n’est pas gratuite. On ne cueille pas dans un champ ou une décharge les sabres les kalachnikovs les bombes et le plan pour éliminer le maximum en un minimum de temps et avec zéro risque.
E comme elle
Je ne sais plus qui a dit que Dieu a quatre femmes : la sainte, la mère, la putain et la sorcière. A l’évidence leur somme est égale à 0. La sainte s’annule avec la sorcière et la mère avec la putain. Pour les Grecs, l’utérus des femmes leur tient de cerveau. L’homme dépourvu d’utérus a peur de l’égalité. "Les anthropologues le soulignent : la domination sociale s’ancre et se légitime dans le refus de l’altérité."(2) L’autre n’est pas moi. A la femme l’intérieur des murs et à l’homme l’extérieur. D’après l’histoire, on remarque cette spécialisation des rôles n’est pas le fruit de la barbarie, mais de la civilisation. A l’origine, il y avait la Déesse-mère et la science de nos jours a démontré que le fœtus est d’abord femelle avant de devenir mâle. Ce n’est pas le Moyen-âge qui a brûlé les sorcières, mais bien les Lumières. En Arabie saoudite imbibée de palais et de pétrodollars, la femme diplômée d’une université américaine délocalisée jouit-elle de plus de liberté que son aïeule Koraïchite analphabète et bédouine ?
En Algérie indépendante, les moudjahidates constatent-elles que leurs filles et leurs petites-filles ont gagné au change avec le Code de la famille ? Sans parler de l’ingratitude des «frères» à leur égard. Qu’on se rassure, d’après Dominique Méda, l’habit craque de partout. D’après elle, il faut déspécialiser les rôles. Il faut partager les tâches ménagères pour que la femme puisse contribuer à faire cuire la marmite. Sans compter les inégalités dans les salaires et l’accès aux postes importants. Les femmes ne sont pas des travailleurs comme les autres. Et croire, comme dans nos sociétés conservatrices qu’il y aura toujours un homme pour assurer le pain d’une femme, ce n’est pas vrai même mathématiquement parlant. La société biactive a perdu de son bien-être en fatiguant doublement la femme, elle la rend nerveuse et rancunière. Le travail au lieu de libérer le sexe faible l’enchaine. A l’exception de quelques pays comme la Suède, la Norvège, le Danemark et la Finlande qui reconnaissent la valeur des tâches parentales et domestiques. En Suède, grâce au congé parental, les hommes les assurent à 40 %.
Les Suédoises sont représentées quasi à égalité partout comme députés, élus de communes et conseils généraux. Ces pays sont un exemple dans tous les domaines. Un politicien explique le succès par le fait qu’en s’impliquant lui aussi dans la maison, il est devenu plus conscient des problèmes des femmes des enfants et donc de la société entière. Ce qui lui permet d’être plus efficace en tant que politicien. D’où le classement honorable de ces pays dans tous les domaines. Pourtant dans les années 50, la France et la Suède étaient dans la même situation : les femmes avaient tendance à s’arrêter de travailler quand elles se mariaient. C’est dans les années 70 que s’instaure dans les deux pays le débat de l’égalité. Les féministes nordiques proposent de repenser les droits et les devoirs des hommes et des femmes en tant qu’êtres humains dans leur double rôle de parent et de travailleur. Ce débat n’a pas eu lieu en France. A la même époque en Algérie et dans le monde arabo musulman eu lieu aussi le débat sur la femme. Il a abouti à des résultats inverses avec l’islamisme et le terrorisme en prime. Pourquoi à cette époque ? La femme s’était-elle réveillée soudainement partout dans le monde et menacé de brûler la baraque si elle n’obtenait pas l’égalité avec l’homme ? On peut simplement remarquer que c’est à ce moment-là que le monde a cessé d’appartenir aux habitants de la planète, hommes et femmes, pour être le jouet exclusif de quelques uns. Avec l’indémodable sésame ouvre-toi : pour régner, il faut d’abord diviser.
E comme expert
Dans ses Principes de la Nature, Leibniz s’était demandé : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" En ajoutant qu’au fond le rien serait plus simple et moins compliqué que quelque chose. Quelque chose qu’on doit expliquer, parole d’expert. Au XXe siècle, on a fini par résoudre le Problème de Leibniz en faisant du rien un quelque chose. Le dictionnaire définit l’expert comme celui qui a acquis par l’expérience une grande habilité dans un métier. Du monde des "sages", on a basculé à celui des "experts" dès le 18e. En ce temps-là, l’expert rimait avec savant reconnu par une Académie. A l’ère du numérique, Wikipedia a l’honnêteté de différencier le savant d’un expert tellement ce dernier est devenu courtisan du lobby qui le paie. La science et la politique ont fini par se brouiller et cette dernière a voulu former ses propres cerveaux. D’où l’école publique et obligatoire avec des élèves formatés au même programme. Les médias se sont développés à temps pour les sublimer avec les stars du foot du cinéma du petit écran…
En Occident, les experts qui commentaient la politique d’un Churchill ou d’un de Gaulle étaient formés autrement. Bien que dans ce domaine, les deux pays n’ont pas la même vision. Quand Mitterrand, invité par sa Gracieuse majesté, demanda à Thatcher une rencontre avec les intellectuels anglais, cette dernière lui répliqua qu’au Royaume-Uni, on pouvait trouver des écrivains des historiens des philosophes des artistes…sauf des intellectuels. En Algérie, c’est Boumediene, le premier qui a saisi la dangerosité des intellectuels algériens hérités de l’école coloniale qui refusaient de s’exiler. Il lui fallait à tout prix expédier leurs cadets en Arabie ou en Egypte pour mieux les arabiser. Ce n’est pas une question de langue, d’alphabet, mais de spécificité. Les textes arabes ne sont pas écrits par des Molière des Voltaire des Sartre des de Beauvoir des Marx des Freud des Einstein des Pasteur etc. C’est ainsi que rapidement l’école algérienne est devenue une khalouta à la Frankenstein, un puissant somnifère pour veiller sur la sieste du Rais. En Algérie, les experts ne font que confirmer l’expertise de la hiérarchie. Le Dey a réponse à tout et Dieu veille sur tous. Le succès précoce et phénoménal de la parabole en Algérie s’explique par la soif de connaitre les experts des autres. Quand on a compris le truc, on commence à s’ennuyer et à paniquer tellement ils ont fini par se ressembler sans vraiment se ressembler.
E comme énergie
Non seulement, nous sommes sans énergie, mais nous optons pour le laisser-faire, le laisser-aller, le laisser-mourir. Fatigue et désenchantement nous partagent. Même l’énergie spirituelle s’est éteinte laissant seulement les reflexes mécaniques de la grenouille morte et la crainte de déplaire au calife. Parce que ce dernier fait admirablement son boulot. Il veille sur la religion qui soumet la masse à son autorité quitte à concurrencer le ciel. Les deux plus grands empereurs de l’Inde n’étaient pas indous : le bouddhiste Ashora et Akbar le musulman. Trois siècles avant J.-C., le premier inonda son royaume de stèles de pierre où on pouvait lire : «Quiconque honore sa propre religion et condamne celle des autres, creuse la tombe de sa propre religion…»(3) On comprend pourquoi il est plus facile de détruire un pays musulman arabe qu’un pays musulman asiatique. Pour naitre, la religion dépend d’une culture. L’une finit par absorber l’autre ou elles font match nul : elles s’absorbent mutuellement. Au 19eme Renan écrit : «Le désert est monothéiste, il révèle à l’homme l’idée de l’infini, non le sentiment d’une vie incessamment créatrice.» En Algérie, même si on est convaincu que nos dirigeants sont corrompus, incompétents et loin du modèle du croyant, on ne peut s’empêcher de croire leurs imams. Notamment quand il s’agit des dates du Ramadan, des fêtes religieuses, du taux de la zakat, du pèlerinage, de prier derrière eux le jour de l’Aïd etc. Ils deviennent de facto les califes auréolés par la grâce divine, les vrais commandants des croyants. Ils le savent, en profitent et nous tiennent par la religion c'est-à-dire par l’essence même de l’énergie qui seule peut nous sauver d’eux.
E comme enfant
En ce moment à Bruxelles, on est en train de réviser, pour cause d’irresponsabilité, le procès d’une femme condamnée à perpétuité pour avoir assassinée ses 5 enfants issus d’un mariage mixte. On se demande pour quelle vie, si un jour elle serait libérée ? Les enfants aussi savent assassiner. Ils le deviennent de plus en plus en temps de crise face à l’impuissance des adultes dont ils soupçonnent la lâcheté et les mensonges. En Europe, il n’est pas rare de rencontrer des gens qui déclarent ne pas vouloir enfanter car ils n’ont rien à offrir à leur progéniture vu l’impasse du monde actuel. En Algérie, les enfants vivent dans un environnement plus incertain. Même si l’Etat décrétait la politique de l’enfant unique comme en Chine, c’est déjà trop tard. Heureusement que 50 % des Algériennes n’ont pas trouvé de mari et faire un enfant en solo c’est bien risqué… Le terrorisme, c’est grosso-modo un émir-prédicateur-psychopathe maniant une armée de soldats à peine sortis de l’enfance programmés pour tuer. Les terribles janissaires de l’Empire ottoman qui ont fait trembler l’Europe chrétienne étaient des enfants chrétiens soumis à l’esclavage. Un enfant c’est une pâte fragile qui dépend des mains qui la façonne en bombe en baume ou en crachat. En Algérie, l’épreuve de la décennie noire nous oblige à surveiller de près nos enfants, filles et garçons. Eviter d’en faire des boucs émissaires, des gâtés. Il faut leur apprendre à avoir faim à avoir froid à se débrouiller seuls à s’arracher du petit écran à temps et à ne pas croire tout ce que raconte l’école. A les désenchanter avec doigté pour les préparer au triste avenir qui s’annonce…et leur demander humblement pardon comme on a pardonné à nos vieux.
E comme écologie
Dans le monde des élites, des experts, du pôle d’excellence, le rôle des cerveaux n’est pas d’inventer un bien pour l’humanité, mais de grossir le chiffre d’affaires du patron dont l’humanisme a été bouffé par l’argent. Le monde a vidé la grotte d’Ali Baba et envoyé à l’asile ses génies. On sait tout sur la planète Terre. On a calculé la circonférence et la surface de ses cercles en utilisant toutes les géométries existantes. On sait que les vilaines planètes de notre galaxie nous sont aussi hostiles qu’inaccessibles. On ne forme plus l’ingénieur pour une mécanique plus performante, mais pour le contraire. Etudier comment saboter la machine pour vite la jeter et la remplacer par une autre encore plus vicieuse. On ne répare plus, on se débarrasse de l’inutile que la nature refuse d’absorber et on pollue à l’infini. Pour vider ses poubelles encombrantes, l’Europe les envoie en Afrique avec l’aide de ses dirigeants qui ne se maintiennent que grâce à sa complicité. C’est la pollution générée par les bateaux étrangers qui venaient se soulager de leur marée noire au large de la Somalie que de paisibles pêcheurs se sont mués en pirates, les fameux Shebabs.
En Colombie, les trafiquants de drogue étaient des opposants politiques comme en Algérie qui a vu succéder aux jeunes de 88 les terroristes des années 90 puis les dealers des années 2000. A l’origine, les déchets de l’être humain étaient biodégradables, de nos jours grâce à la chimie, ils sont indestructibles. Nous avons de fortes chances de mourir étouffés par la pollution que desséchés par la faim et la soif. La responsabilité est partagée, il faut se l’avouer. Le jour où notre idiot d’aïeul a décidé de changer son kilo de miel avec un kilo de sucre, il a condamné ses descendants aux caries au cancer à l’incendie, l’abattage de sa forêt et la disparition de sa source d’eau cristalline.
De nos jours, les élus, pas bêtes du tout, ont raflé son mode de vie en accaparant ses vieux objets devenus antiques et en leur donnant le maximum de valeur : trésor inestimable garanti par l’Unesco. Pendant que les vêtements des bébés de la populace puent les pesticides. Il faudrait penser à apprendre à s’habiller et se nourrir différemment. Une poignée de fous cachés dans un bunker peuvent en un clin d’œil éliminer toute vie sur Terre. Il faudrait apprendre à ne pas céder au moindre caprice de la Bête. L’alimenter le moins possible. C'est-à-dire accepter de s’appauvrir pour éviter d’être écrasé par les impôts. Consommer moins de poisons pour sauvegarder un minimum de santé. Kafka disait : "Il faut briser en nous la mer gelée." Nombreux sont ceux qui doivent d’abord constituer goutte à goutte leur mer et veiller à ce qu’elle gèle le moins possible.
Mimi Massiva
Notes
(1) Au nom de l’humanité (Riccardo Petrella)
(2) Femmes de pouvoir (Sylvie Schweitzer)
(3) L’esprit des religions (Hesna Cailliau)
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