Bouteflika élu par 200 Tunisiens
Cela fait deux mandats que Bouteflika nous répète que nous sommes un pays qui a réussi à sourire et à faire sourire. 200 Tunisiens ont fini par le croire et ont débarqué avec femmes et enfants dans une commune de la wilaya de Tébessa. Ces 200 Tunisiens ne le savent pas, cela prouve seulement que le Bouteflikisme a mieux fonctionné chez eux comme effet d'optique que chez nous.
La chronique :
L'Algérie est-elle un pays de transit même pour les siens ou un pays de bonheur pour ceux qui n'y vivent pas ? Contrairement au mouvement vertical vers l'Europe d'en face, il y a des mouvements horizontaux qui démentent les évidences: pour protester contre l'Etat qui les nourrit mal, des Algériens ont bien tenté le coup du débarquement au Maroc il y a quelques années dans un village frontalier de l'Ouest. Pour fuir la misère du paradis tunisien, 200 Tunisiens ont tenté le débarquement dans l'Est algérien il y a deux jours, selon notre correspondant. L'Algérie officielle a bien réagi avec politesse et fermeté face à ces migrants clandestins, mais au fond elle doit avoir goûté au bonheur du compliment: mieux que les chiffres du plan de relance économique, le fait divers infirme la tendance pessimiste des trente-six millions de locataires qui y vivent en transit jusqu'à la mort et protestent même lorsqu'on leur mâche la nourriture. Ce n'est pas souvent que l'Algérie est vue, vécue et élue par des Maghrébins miséreux comme un pays cible, une terre de rechange et une vallée grasse. Cela fait même deux mandats que Bouteflika nous répète que nous sommes un pays qui a réussi à sourire et à faire sourire. 200 Tunisiens ont fini par le croire et ont débarqué avec femmes et enfants dans une commune de la wilaya de Tébessa pour partager notre aisance et se nourrir de nos gratuités en brandissant, comme nous le faisons tous d'une manière ou d'autre, le drapeau algérien en guise de ticket. Leurs raisons ? Selon notre correspondant, elles se résument à peu: leurs enfants sont obligés de faire des kilomètres à pied pour aller à l'école, ils ne disposent pas d'électricité, ni de gaz, ni d'eau courante. Si ce genre de chose existe encore chez nous comme misère basique et que ces 200 Tunisiens ne le savent pas, cela prouve seulement que le Bouteflikisme a mieux fonctionné chez eux comme effet d'optique que chez nous et que le Benalisme a moins réussi chez nous comme méthode de gouvernance que chez eux. Jouant sur les adversités narcissiques qui gonflent les vanités nationales du pays du Maghreb, ces Tunisiens comme ces Algériens de l'Ouest ont compris que le meilleur moyen de gêner leurs pouvoirs publics, c'est d'immigrer chez les voisins, en public et devant tout le monde. Sur l'échelle des insultes, le geste fait plus mal que d'émigrer sur des chaloupes vers la France car on sait ce que pensent l'Algérie du Maroc, le Maroc de la Tunisie, la Tunisie de l'Algérie, etc., dans le cadre de la «fraternité» fourbe.
Reste la question de fond: l'Algérie fait-elle tellement illusion au point d'être vue comme une Suisse par défaut ? Avons-nous finalement réussi quelque chose en Algérie que nous Algériens nous ne voulons pas voir et admettre ? Sommes-nous un pays heureux et européen mais situé au Maghreb ? Oui, seraient tentés de scander les Bouteflikistes convaincus que ce n'est pas pour rien que des Tunisiens viennent chez nous pour gagner de l'argent et que nous, nous allons chez eux pour en dépenser. Non, répond la raison kantienne: si 200 Tunisiens pauvres ont cédé à la pente et ont débarqué à Tébessa en scandant vive Bouteflika, ce n'est pas parce que nous sommes un pays meilleur que la Tunisie mais parce que chez nous le bus scolaire, l'eau, le gaz et l'électricité sont un peu plus gratuits. En Algérie la loterie est meilleure: on peut ne rien faire et avoir tout et on peut travailler dur et ne rien avoir. En Algérie, contrairement au pays voisin, l'emploi n'est pas garanti mais le salaire l'est. On peut avoir un couffin rien qu'en étant pauvre. C'est un pays où l'Etat ne développe pas l'économie mais la dépendance alimentaire. On peut y avoir son logement avant même d'y avoir un travail. Tout le monde est encore victime de la colonisation et tout le monde s'en sert. Une commune est développée par l'Etat non parce qu'elle est nécessaire et qu'elle fabrique des logiciels mais parce l'Etat a besoin qu'elle vote, ou qu'elle ne dise rien, ou qu'elle reste là où elle se trouve, ou parce qu'elle a un meilleur clan ou parce qu'elle se trouve sur une route ou parce qu'un ministre a besoin de cultiver des chiffres. Si 200 Tunisiens ont choisi la dissidence horizontale, ce n'est donc pas parce que l'Algérie est un pays meilleur mais parce que c'est un pays riche. On peut certes y vivre pauvre mais c'est seulement parce qu'on est idiot et parce qu'on ne sait pas discourir. Et si les 100 milliards de dollars de réserves de change ont cet effet aphrodisiaque sur les Occidentaux, pourquoi les Tunisiens doivent-ils y résister ? Le bénéfice étant à la fin pour le Maghreb: il pourra peut-être s'unir par ce mécanisme de rotation des populations pauvres qui protestent par déplacement et s'expriment par le drapeau d'à côté.
Kamel Daoud (Quotidien d’Oran)
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J'aimerais quand même savoir comment les autorités tunisiennes vont traiter ces 200 transfuges a leur retour en tunisie?
J'aimerais quand même savoir comment les autorités tunisiennes vont traiter ces 200 transfuges a leur retour en tunisie?