Des Premières Nations en danger au Canada

Perry Bellegarde, le chef national de l'Assemblée des Premières Nations. Photo Radio Canada
Perry Bellegarde, le chef national de l'Assemblée des Premières Nations. Photo Radio Canada

La protection de la loi n’est qu’un mirage selon les dirigeants autochtones du Canada qui dénonçaient cette situation le 21 novembre dernier.

L'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et les femmes autochtones de la région de Val-d'Or affirmaient en conférence de presse le 21 novembre que le gouvernement de la province du Québec abdiquait ses responsabilités envers les Premières Nations. Cette prise de position faisait suite à la dernière décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Il a révélé le 18 novembre qu’il ne déposerait pas d'accusations dans la vaste majorité des dossiers portant sur de présumés actes criminels qu'auraient commis des policiers provinciaux à l'encontre de femmes autochtones. Sur les 37 dossiers soumis à la Couronne par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), seulement deux donneraient lieux à des accusations criminelles.

Ces enquêtes policières venaient des révélations faites à l’émission Enquête qui avait été diffusée à la télévision d’État le 22 octobre 2015. On pouvait y voir des femmes autochtones de la région de Val-d'Or qui affirmaient que plusieurs agents de la Sûreté du Québec (SQ) avaient posé des gestes dégradants à leur égard. Selon les dires des femmes interviewées dans cette émission, certains agents les emmenaient quand elles étaient en état d’ébriété dans des chemins de terre enneigés et les obligeaient à en revenir pieds nus. Encore plus choquants, certains des gestes commis par ces agents de la SQ auraient été à caractère sexuel explicite. Une des femmes autochtones âgées de 19 ans affirmait pendant cette émission qu’au moins sept de ces agents de la police provinciale auraient eu des contacts sexuels rémunérés avec elle. Certains des gestes sexuels reprochés aux policiers se seraient même passés sur la table de la salle d’interrogation du poste de police de Val-d’Or. D’autres auraient eu lieu dans des chemins de terre des environs. En réaction à cette émission d’Enquête, 41 policiers du poste de Val-d’Or de la SQ ont intenté une poursuite de 2,3 M$ contre la journaliste Josée Dupuis. Cette dernière a cependant remporté le 20 novembre avec le journaliste Emmanuel Marchand le grand prix Judith-Jasmin de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) pour ce reportage.

Le gouvernement du Québec a jusqu’à maintenant traité cette situation à la légère. À la suite de ces révélations en octobre 2015, le directeur général de la Sûreté du Québec, Martin Prud'homme, affirmait que ce n'était pas selon lui une crise de confiance envers son corps de police. C’est d’ailleurs ce qu’avaient pensé quelques mois auparavant, soit en mai, la ministre de la Sécurité publique du Québec de l’époque, Lise Thériault et le ministre provincial des Affaires autochtones, Geoffrey Kelley. Ces derniers avaient été mis au courant de ce qui se passait par la directrice générale du Centre d'amitié de Val-d'Or, Édith Cloutier, qui leur avait écrit une lettre à ce sujet. Cette dernière avait envoyé des informations troublantes au chef de police de la SQ, au ministère de la Justice, celui des Affaires autochtones et aux ministres de la Sécurité publique sans qu’aucune action publique soit prise. Aucune accusation n'a d’ailleurs été portée le 18 novembre contre les six agents de la paix qui avaient été visés dans le reportage télévisé d’octobre 2015. Le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard a très mal accueilli cette décision du DPCP en affirmant craindre qu’elle soit un frein pour d'autres victimes qui auraient été tentées de briser le silence. La présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, est encore plus sévère et considère que le système de justice protège une violence et un racisme systémique envers, entre autres, les femmes autochtones.

Un problème plus large

Bien qu’elle soit très grave en elle-même, cette situation n’est qu’un des symptômes d’un mal encore pire qui touche les Premières Nations au Canada. Dans une autre petite communauté au nord-est du Québec, à Sept-Îles, les autochtones forment 80 % des prévenus dans les cours de justice alors qu'ils ne sont que 20 % de la population. Des 30 000 enfants et adolescents placés en foyer d'accueil au Canada, 48 % seraient issues des communautés autochtones bien qu’elles ne forment que 4,3 % de la population. Au Québec, si on compare les proportions, ce sont cinq fois plus d’enfants autochtones que de non-autochtones qui sont confiés au Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ).

La différence de traitement par les différents paliers de l’État entre les autochtones et non-autochtones se voit à tous les niveaux. Actuellement, les sommes versés pour l’éducation des autochtones sont d'environ 6 000 dollars de moins par élève que celles pour les non-autochtones. Il n’y a donc pas lieu de se surprendre que le taux de décrochage scolaire dans ces communautés soit six fois supérieur à celui de la moyenne nationale. On estime que 41 % des membres de Premières Nations obtiennent un diplôme d'études secondaires, contre 77 % pour les autres Canadiens. À peine 32 % des autochtones ont terminé leur 5e secondaire. Des 160 000 ingénieurs canadiens, seulement 200 sont autochtones, alors qu'en proportion de la population ce devrait être 25 fois plus. Le taux de chômage de ce segment de la population est trois fois supérieur à la moyenne. Leur revenu moyen annuel n’est que la moitié de celui du reste de la population canadienne. La pauvreté touche chez eux un enfant sur deux. La mortalité infantile y est aussi deux fois plus élevée que la moyenne canadienne. Le taux de mortalité périnatale est de 80 % supérieur aux taux canadiens. Celui dû à la bronchite et à la pneumonie est en moyenne 12 fois supérieure au taux canadien. Pour ceux qui deviennent adultes, leur espérance de vie est de sept ans inférieurs à celle des autres Canadiens. Entre 1980 et 1984, le taux de suicide chez les adolescents était sept fois supérieur à celui de l'ensemble de la population canadienne et le taux d'hospitalisation d'infections intestinales pour les enfants de moins d'un an était de 47 fois supérieures. Des maladies comme la méningite, les otites, l’hépatite et la tuberculose les frappent de façon continue et disproportionnée quand elles sont comparées aux moyennes canadiennes.

Ce problème vient de loin. La Commission royale Érasmus-Dussault sur les peuples autochtones a montré en 1996 qu’ils sont 90 fois plus susceptibles que les autres Canadiens de vivre sans eau courante. Les autochtones canadiens se classent au 60e rang au palmarès du développement humain préparé par les Nations unies, dans lequel le Canada arrive parmi les premiers. En 1996, alors que le taux de chômage moyen de la population canadienne dans son ensemble était de 10,1 %, celui des Indiens vivant dans les réserves atteignait 28,7 %. En juin 2011, la vérificatrice générale du Canada Sheila Fraser affirmait juste avant de prendre sa retraite que le gouvernement fédéral avait échouée à mettre des mesures en place pour améliorer les conditions de vie des autochtones. Plus de la moitié des réseaux d’aqueducs dans les réserves pose un risque pour leur santé. Selon elle, un nombre disproportionné de membres de Premières Nations n'a toujours pas accès au même titre que le reste de la population canadienne aux services les plus élémentaires.

Après cinq ans de travail et 7 000 témoignages, la Commission de vérité et réconciliation publiait en juin 2016 son rapport dans lequel il concluait que le Canada a participé à un génocide culturel en mettant de force 150 000 jeunes autochtones dans des pensionnats pour «sortir l'Indien» d'eux.

Des crimes sans coupables

En fait, les autochtones ont des indices pires que la moyenne des Canadiens dans tous les secteurs. La situation est dramatique au niveau de la violence qu’ils subissent. Les femmes autochtones sont trois à quatre fois plus susceptibles que les autres femmes du Canada de subir de la violence physique ou sexuelle ou même d'être assassinées. Il a été révélé en 2014 que 1181 femmes autochtones ont été assassinées ou portées disparues entre 1980 et 2012, selon la première évaluation faite par la Gendarmerie royale canadienne (GRC) sur cet enjeu. Un an et quelques enquêtes plus tard, 32 autres cas d’assassinats et 11 disparitions s’ajoutaient aux chiffres officiels. Les meurtres de femmes autochtones représentent actuellement 23 % de tous les cas au pays.

Humant Rights Watch (HRW) révélait pour sa part en février 2013 que des femmes autochtones du Nord de la Colombie-Britannique avaient été agressées et violentées par des agents de la GRC et que leurs plaintes n’avaient pas été traitées avec sérieux. Le rapporteur officiel de l'ONU sur les autochtones, James Anaya, avait même constaté en 2014 que l'écart entre le bien-être des autochtones et non autochtones n'a pas diminué depuis 2004 et que plusieurs d’entre eux vivaient dans des conditions socioéconomiques semblables a celles du ties-monde.

En arrivant au pouvoir, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau avait annoncé la création de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparue et assassinée. Pour leur part, le grand chef du gouvernement de la Nation Crie, Dr. Matthew Coon Come et le chef de l'APNQL Ghislain Picard s'opposent au rôle que le gouvernement provincial fait jouer à cette enquête, en l'utilisant comme prétexte à sa propre inaction.

Le 22 novembre, la Coalition pour les droits des peuples autochtones au Québec donnait son appui aux demandes de Femmes autochtones du Québec, de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et du Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec. Ils veulent que les femmes autochtones soient protégées contre ce qu’ils considèrent être un racisme et une discrimination systémique. Ils rappelaient aussi au Québec qu’il était assujetti au droit international et au respect des droits humains en pointant le rapport des Nations unies du Comité pour l'élimination de la discrimination envers les femmes publié le vendredi 18 novembre. Ce dernier recommandait à l'enquête nationale d’étudier les relations des femmes autochtones avec la police, ce qui selon eux confirmait ainsi une nécessité d'action.

Il n’est donc pas surprenant que le rapport de l'observatrice civile indépendante Fannie Lafontaine mandatée par le gouvernement du Québec pour évaluer l'enquête du SPVM affirme que toutes les informations qu’elle avait amassées pointaient vers une direction : les autochtones canadiens sont victimes d’un racisme systémique à tous les niveaux au Canada.

Michel Gourd

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Commentaires (1) | Réagir ?

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klouzazna klouzazna

Rien de nouveau à l'horizon, c'est le prévilège que s'est toujours octroyé tout maitre blanc sur ses esclaves non-blancs !!! la primauté de l'homme blanche !!!

La vraie liberté ne s'apprécie qu'une fois perdue !!! c"est ce que découvrent souvent trop tard les vaincus et les colonisés !!!