La dette publique en Algérie : un sujet qui fâche ! (II)
La façon dont la dette affecte la croissance peut dépendre de la qualité des institutions, de la dimension du secteur public, les raisons de l’accumulation de la dette et de la structure et la composition de la dette publique des pays.
III. Inflation et dette publique
Quant à l'inflation, un lien évident découle du fait que l'inflation non anticipée et élevée peut réduire le coût réel du service de la dette. Bien sûr, l'efficacité du canal de l’inflation est très sensible à la structure des échéances de la dette. Alors que la dette publique nominale à long terme est extrêmement vulnérable à l'inflation, à court terme elle l’est beaucoup moins.
Reinhart & Rogoff (2010) analysent l’accumulation de dette publique en connexion avec la croissance moyenne et à l'inflation qu’en résulte. Pour les deux auteurs, il n’y a aucune relation systématique entre les niveaux d'endettement élevés et l'inflation dans les économies avancées en tant que groupe (avec des exceptions à chaque pays y compris les États-Unis). En revanche, les taux d'inflation sont nettement plus élevés dans les pays émergents qui ont des niveaux élevés de dette publique.
S’il y a des hausses de la dette publique et si les agents économiques tiennent compte d'une plus grande probabilité de monétisation de la dette, les anticipations peuvent aller dans le sens d’une augmentation de l’inflation. Dans ce cas, il y aurait un impact négatif additionnel sur l'activité économique.
Cependant, il faut savoir que la monétisation de la dette dépend notamment des facteurs institutionnels. Ainsi, il ne sera pas possible si la loi interdit le financement monétaire des dépenses publiques ou des déficits, comme c'est le cas dans certains pays avancés. L'indépendance de la banque centrale et son mandat sont très importants pour prévenir le risque d'une forte hausse de la dette publique déclenchée par une inflation plus élevée.
Les États-Unis sont des maîtres en la matière. Ils monétisent leur dette publique parce qu’ils ont le pouvoir que leur offre le dollar, devise incontournable dans le système monétaire international. La planche à billet de la Réserve Fédérale n’a jamais cessé de fonctionner pour financer les déficits américains. Une affaire très étrange, quand on sait que cette Réserve Fédérale est détenue par des capitaux privés (Cf. Song, "La guerre des monnaies", 2013) !
Au cours de la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, un ratio d'endettement en hausse s'est accompagné d'une inflation plus élevée dans les pays en développement. En revanche, au cours de la même période, l'augmentation du ratio de la dette dans les pays avancés n'a pas causé de pressions inflationnistes. L'existence d'institutions gouvernementales indépendantes, pour décider de la politique monétaire, et le rôle de ces institutions dans le suivi de l'inflation étaient déterminants.
Quoi qu'il en soit, dans une situation de finances publiques insoutenables, il est beaucoup plus difficile de conduire la politique monétaire centrée sur la stabilité des prix. Car avec des anticipations d'inflation élevée, la banque centrale augmente les taux d'intérêt à court terme. Dans ce cas, des tensions pourraient apparaître entre la banque centrale et le gouvernement qui, ayant une dette publique considérable, est très sensible aux hausses de taux d'intérêt.
IV. La consolidation budgétaire
Dans l’optique de réduction des taux d’endettement, un gouvernement peut se trouver dans l’obligation de consolider son budget. Pour nos politiques, c’est la fameuse phrase «serrez votre ceinture». En réalité, il s’agit de dépenser dans le cadre des capacités disponibles. A cet effet, l’intervention du gouvernement peut concerner des dépenses d'investissement sur les infrastructures, l'éducation, la santé publique, le fonctionnement des institutions publiques, la sécurité... Le gouvernement peut intervenir également en réduisant les pressions fiscales afin de modérer leurs impacts sur la croissance économique. Cela dit, la consolidation budgétaire a des effets variables.
1- À court terme
L'ampleur à court terme d'un plan de consolidation sur l'activité économique change en fonction des mesures adoptées. Les mesures relatives à la consommation et à l'investissement public ont un impact relativement important sur l'activité économique, tandis que les mesures concernant les transferts - comme les taxes ou les avantages sociaux - ont un effet plus faible. La raison en est que ces derniers ont seulement un effet indirect en modifiant la consommation ou l'investissement, via un ajustement des revenus des ménages ou des entreprises. Par ailleurs, les mesures prises pour réduire les dépenses publiques sont susceptibles de ralentir la croissance économique. Parce que les multiplicateurs budgétaires (MB) sont positifs à court terme. Pour illustrer : disons que le MB est de 2. Si on a investi 1000 Da, alors le PIB va augmenter de 2000 Da (2 x 1000).
Les mesures d'assainissement des finances publiques peuvent éviter une hausse des taux d'intérêt qui risque de freiner l'investissement privé. En outre, elles peuvent conduire à une réduction du taux d'épargne suite à la baisse de l'épargne de précaution des ménages grâce au regain de confiance après une période de difficultés budgétaires.
L'impact de la consolidation budgétaire dépend également de l'environnement économique et monétaire. Lorsque la consolidation budgétaire s'effectue dans une petite économie ouverte, son impact à court terme est moindre que dans le cas de la consolidation simultanée dans un certain nombre de pays, ce qui aura un effet plus restrictif sur la demande mondiale. Ensuite, si les banques centrales sont en mesure d'adopter une politique accommodante, la consolidation est moins dommageable pour la croissance. Toutefois, si les taux d'intérêt sont proches de zéro, les banques centrales ont moins de possibilités pour compenser la baisse potentielle de la demande globale.
Enfin, la présence d'un taux de change fixe, comme le cas en Algérie, a tendance à renforcer l'impact négatif de la consolidation sur la croissance, par rapport à un système de taux de change flottant, qui joue généralement un rôle d’amortisseur important par le biais de la dévaluation monétaire pour l’amélioration de la compétitivité internationale.
2. À long terme
Contrairement aux effets à court terme, la consolidation budgétaire est impérative pour assurer la viabilité des finances publiques à long terme. Les effets incluent une baisse des taux d'intérêt, en raison d'une contraction de l'offre de titres publics sur le marché et une réduction des primes de risque. En outre, la réduction des charges d'intérêts résultant de la consolidation libère davantage de ressources pour les dépenses publiques productives ou des réductions de de la fiscalité.
Selon une partie de la littérature économique, l'assainissement budgétaire basé sur des réductions de dépenses est plus efficace et a un effet plus favorable sur la croissance économique à long terme qu’une consolidation fondée sur une augmentation des recettes publiques (les impôts). Au fait, les consolidations peuvent favoriser la croissance et la récupération - en permettant notamment une politique monétaire plus souple. À condition que les réductions des dépenses dominent les hausses d'impôts (Cf. Andrew Lilico, Ed Holmes et Hiba Sameen, 2009).
C'est notamment le cas si la restriction budgétaire ne s'applique pas aux dépenses généralement considérées comme productives, telles que les dépenses d'investissement, l'éducation, la recherche et l'innovation. L'ampleur de l'impact de la consolidation sur l'activité économique dépendrait aussi de l'usage qui est fait des fonds économisés par l'austérité budgétaire.
Cependant, le personnel du FMI a fait valoir qu’un ajustement budgétaire d'environ 1 point de pourcentage en moyenne par an pour les économies avancées compromettrait la reprise. A cet effet, il serait essentiel de soutenir cet ajustement par des réformes structurelles appropriées (Cf. Blanchard et Cottarelli, 2010). On voit ici le FMI fidèle à ses plans d’ajustements, comme il vient de le demander à l’Egypte afin de lui prêter 12 milliards de dollars.
D’autres économistes, confirment les effets dépressifs des consolidations et constatent que les réductions des dépenses publiques sont bien plus dommageables à l’activité que les hausses d’impôts (Cf. Baini et al., 2012).
Pour le cas de l’Algérie, il faut préciser que l’existence d’une économie parallèle importante rend très difficiles les études sur la dette publique. En dépit de ses effets négatifs, que je ne peux citer ici, le marché informel joue le rôle d’une soupape en période de crise. Car les acteurs de cette économie ont un revenu, non imposable certes, qui leur permet de maintenir leur consommation, voire leurs investissements.
Même si l’administration fiscale perd des revenus à cause de l’informel, ces acteurs n’exercent pas réellement une pression négative sur le fonctionnement des stabilisateurs automatiques. Ces stabilisateurs concernent certaines réactions qui sont censées se produire spontanément, de manière endogène, sans discussion, sans choix discrétionnaire, sans adoption de nouveaux textes ; elles sont incorporées dans les structures institutionnelles existantes, à l’instar des allocations au chômage, de la protection sociale… (Cf. Solow, 2002).
Comme vous le constater en arrivant à ce paragraphe, la dette publique reste un sujet très difficile. Pour les prêteurs, elle est une affaire rentable (pour reprendre le titre du livre de Derudder et Holbecq, 2008). Mais souvent douloureuse pour ceux qui doivent la rembourser. Elle est sujette à des débats passionnants. Les hommes politiques qui veulent traiter cette question se heurtent souvent à des considérations qui les dépassent, où se mêlent des centres d’intérêts inconciliables et puissants.
Pour un État endetté, la prudence est nécessaire dès qu’il s’agit de la dette publique. Le gouvernement se trouve, en effet, dans une position peu confortable où différents acteurs revendiquent des intérêts contradictoires. D’un côté, il y a les prêteurs, avec le pouvoir de l’argent, qui ne comptent que le retour sur investissements. De l’autre, les citoyens avec le pouvoir des urnes, qui s’inquiètent de la détérioration de leur pouvoir d’achat, de leurs acquis sociaux…
Dans le cas de l’Algérie, c’était très clair qu’on ne pouvait pas dépenser sans compter pour longtemps, vu que les ressources dépendent uniquement des prix du pétrole ! Pas la peine d’avoir un doctorat en sciences économiques pour s’en rendre compte !
Mais il faut le dire sans hésitation : le gouvernement algérien a trop gaspillé, notamment depuis l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika. Afin d’acheter la paix sociale et financer sa politique clanique, il n’a jamais opéré dans une démarche économique rationnelle. Sans pensée critique, il ne peut opter que pour le répétitif lassant. Pour en finir, lisons Ferhat Abbas :
"Pour arrêter l’hémorragie financière, combler le manque à gagner et équilibrer le budget, faire face à la pénurie, le "pouvoir révolutionnaire" se tourne vers quatre sources d’économie et de profit : l’austérité, la fiscalité, les hydrocarbures et les emprunts internationaux.
"L’État fait des économies en réduisant au minimum les dépenses. Le blocage des traitements et des salaires se traduit ici par le mot austérité. Mais, comme je l’ai déjà dit, cette austérité ne frappe tout le monde […].
"L’État algérien est le plus mauvais patron des patrons. Tandis qu’il dépense sans compter pour sa politique de prestige, nos fonctionnaires ne savent pas comment terminer la fin de mois. C’est une absurdité. Lorsque le fonctionnaire est seul à faire des sacrifices, lorsqu’il est le témoin du gaspillage et des dépenses inutiles, son civisme se transforme en amertume." (Cf. "L’indépendance confisquée", 1984).
Nabil de S’Biha
Universitaire algérien
Lire la première partie : La dette publique en Algérie : un sujet qui fâche ! (I)
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