Grève intersyndicale : à qui profitera un bras de fer ?
Grève cyclique ou continue, entêtement des uns et des autres ne va certainement pas contribuer à renflouer les caisses de la protection sociale dont la faillite est annoncée indépendamment de tout mécanisme d’une entente quelconque. Il n’y a rien à négocier parce que la rente ne permet plus de colmater les brèches pour l’accalmie sociale.
L’abrogation de l’ordonnance instituant les départs en retraite avant l’âge n’est qu’un effet ou une conséquence d’un dysfonctionnement économique, résultat d’un tripotage du modèle économique basé d’abord sur une dépendance effrénée et totale des hydrocarbures ensuite son utilisation chronique pour maintenir un deal social sous forme d’un ordre établi où chacun trouve son compte. Les pouvoirs publics pour leur tranquillité utilisent la rente pour calmer l’esprit et abrutir les citoyens en les faisant vivre au-dessus de leurs moyens : subvention à outrance voire même généralisée à toutes les couches de la société. De l’autre part, le citoyen profite de ces transferts sociaux pour se limiter au travail facile et la recherche du gain sans contrepartie de créativité.
Dans quel pays, un jeune se réveille à 10 heures du matin, choisit une parcelle de terrain s’octroie sa concession pour en faire un parc en gagnant sa journée mieux qu’un fonctionnaire qui reste astreint à un horaire peut être contraignant. La vente des devises est tolérée au vu et su des autorités etc. Ce système est entretenue depuis l’abandon de l’industrialisation comme modèle autocentré mais capable de permettre une diversification effective de l’économie nationale basée sur la compétitivité et partant la créativité. Quelle analyse peut-on faire de la situation initiale qui a généré cette conséquence ? Quel est l’impact de celle-ci sur les finances publiques ? Pourquoi doit-on impérativement se diriger vers une consolidation budgétaire ?
1- Circonscription précise de la démarche économique ces 15 dernières années
Bien avant l’amorce de ce qu’on pourrait appeler le contre-choc pétrolier de fin 2014, la démarche du gouvernement algérien était malheureusement à côté de la plaque pour au moins deux raisons. La première est que la baisse de la production des gisements pétroliers algériens est entamée depuis plus de deux ans, ce qui signifie qu’elle n’est pas en mesure de mettre sur le marché des quantités supplémentaires du brut pour combler le déficit sur le court terme. Par contre le gouvernement pense régler un problème immédiat avec une solution qui pourrait se réaliser à long terme : celle d’exploiter le gaz de schiste. L’avertissement donné par les résultats du quatrième appel d’offre ne semble pas le dissuader, à en croire les déclarations rassurantes du ministre des Finances et celui de l’Energie de l’époque. La deuxième raison est que malgré les rapports contenant des recommandations des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale, aucune plateforme consensuelle n’est mise en place par les différents partenaires sociaux et politiques pour entamer une nécessaire rationalisation du budget de l’Etat. Ce qui pourrait être sûr, c’est qu’une reprise économique mondiale reste possible. Pourquoi ? Parce que les principaux pays occidentaux y travaillent pour. Les coupes budgétaires opérées en France et en Allemagne en sont la preuve irréfutable.
Donc un redressement de la demande du pétrole dans le monde pourrait intervenir à moyen terme. Maintenant revenir à un baril à 140 dollars prendra certainement le temps du démarrage effectif de la croissance mondiale. Or, à en croire le rapport du FMI, le prix le plus bas pour un équilibre des dépense de l’Algérie se situe autour de 120 dollars, niveau impossible à atteindre d’ici 2020. C’est pour cela que les dépenses doivent correspondre aux moyens. Donc continuer de mentir à soi-même en gonflant le fonds de régulation des recettes et l’utiliser comme un amortisseur de choc n’était pas la solution. Désormais, le temps l’a prouvé puisque ce fonds vient d’être totalement épuisé et on est revenu à un prix du baril budgétaire à 50 dollars. Il faut donc dans l’immédiat réduire les importations dont le montant ne cesse de croître depuis une décennie. Revoir la structure des niches fiscales et avoir le courage de dire au peuple à qui profitent les subventions de l’Etat pour notamment celles sur les carburants et les produits de large consommation.
Les chiffres sont éloquents : tous les indicateurs conjoncturels affichent une nette détérioration, que ce soit la balance commerciale, le solde budgétaire ou les réserves de change. La situation actuelle est néanmoins différente de celle de 1986, dans la mesure où la dette extérieure est aujourd’hui quasiment nulle et les réserves de change permettent de couvrir deux années d’importations.
L’année 2016 va terminer avec des dépenses de fonctionnement qui avoisinent les 85 milliards de dollars, en augmentation de près de 30 % par rapport à 2015. Sa structure est effrayante, une part importante sert à payer des fonctionnaires et une autre pour subventionner les produits importés comme le lait, le blé, certains médicaments, le sucre, le café etc. Ce montant faramineux fait travailler plus les pays qui exportent que les nationaux. En dépit de ce sacrifice financier énorme, près d’un fonctionnaire sur cinq ne veut pas céder sa place aux jeunes. Cette situation bloque non seulement l’ascenseur social mais ne règle pas le chômage pour autant. Le déficit budgétaire évalué à près 30 milliards USD prévus pour 2016 va incontestablement s’accentuer en 2017 induisant des tensions sur la trésorerie et impliquant des restrictions drastiques, tant dans les importations, qu’en matière de projets, notamment les infrastructures comme le gel pour certains, différé pour d’autres etc.
L’incapacité d’entrepreunariat et de production dans des conditions compétitives en attirant les investissements directs étrangers est devenue flagrante et chronique aussi bien pour le secteur public que celui privé. Les experts situent le taux d’intégration moyen national tous secteur confondu à près de 15% pour des entreprises les plus performantes. Ceci à l’évidence conduit à externaliser une grande part de la valeur ajoutée indispensable, réduisant ainsi l’impact bénéfique normalement attendu de l’extraordinaire effort d’investissement public, et de redistributions diverses, soutien des prix, augmentation des salaires, emplois notamment dans l’administration etc. qui, dès lors profitent aux pays fournisseurs des biens et services.
2- Les alternatives envisagées ou mises en débat sont irréalisables dans les délais
Le gouvernement actuel voire même ceux qu’ils lui l'ont précédé ont trop perdu de temps dans la pédale à vide et le bricolage managérial. Les programmes des trois derniers mandats présidentiels s’ajustent au gré de la tension sociale sans pour autant avoir le courage d’aller vers des réformes audacieuses, peut être impopulaires mais fortement productives pour les génération futures. De nombreuses alternatives ont été envisagées mais soit ont échoué soit non entamé, on peut se limiter à quelques unes :
2 1- L’ouverture des capitaux des entreprises ou la privatisation
Il a été constaté désormais que les investisseurs, notamment étrangers, s’intéressent plus aux secteurs à forte croissance pour la partager avec les Algériens et leur laissent la prise en charge du coût social au risque d’enflammer le pays. Quant aux privés algériens, ils s’emparent des activités accessoires et y ancrent leurs ventouses dans le seul but de sucer la rente pétrolière. Selon l’Office National des Statistiques (ONS), organisme étatique en la matière, il a été recensé dans sa dernière édition près de 959 718 entités économiques en Algérie, dont plus de 853 370 unités soit 88,92% restent versées, soit dans le commerce soit dans les services, toujours est-il très éloignées de la production proprement dite.
2-2- Diversifier l’économie
Depuis pratiquement 1986, les experts n’arrêtent pas de lancer cette formule générique sans pour autant circonscrire les domaines dans lesquels l’Algérie pourrait exceller pour faire face au marché international. Que reste t-il de l’agriculture, de l’industrie, de l’éducation, des services, etc.. L’informel guide l’économie aujourd’hui. C’est un fait incontestable.
2-3- Ne plus vendre le pétrole
Le laisser dans le sous-sol ne garantirait pas le maintien de sa valeur dans le temps et surtout ne fructifierait pas son rendement, sauf si les cadres algériens sont réellement en panne d’idées.
2-4- Investir les fonds souverains à l’étranger
Si les cadres algériens n’ont pas réussi à utiliser ces fonds pour le développement national, comment pourraient-ils les redéployer à international face aux mastodontes des investissements ? Ce débat autour d’une stratégie alternative au pétrole dure dans le temps, mais l’objet autour duquel se situe cette discussion est tarissable. Alors, avons-nous assez de temps pour continuer ce débat ? Voilà donc les raisons de l’impasse dans lequel se trouve actuellement l’avancée des programmes économiques proposés.
3- La consolidation budgétaire était, certes la seule voie possible mais…
Selon les données fournies par la CNR, il y a près de 2 773 615 retraités dont 247 077 émargent dans le mécanisme de la retraite avant l’âge, soit près de 246 503 dans celui proportionnel. Ceci voudra dire que la majorité des bénéficiaires de ce dispositif durant la fin des années 1990 ont atteint l’âge de 60 ans, c'est-à-dire celui d’une retraite normale. Donc, les arguments avancés par les pouvoirs publics pour revenir sur la retraite avant l’âge ne sont pas crédibles. Pourtant, le système de la protection sociale, acquis considérable des travailleurs hérité de la colonisation est réellement menacé de faillite pour des raisons d’une mauvaises conduite prévisionnelles et bien d’autres qui n’ont rien avoir avec celles officiellement évoquées. Maintenant faudra t-il continuer de s’accuser mutuellement sur les raisons de cette faillite, solution qui non seulement ne mènera nulle part mais aussi accentue la crise. Ce bras de faire qui aboutira à des arrêts de travail sous leurs différentes formes va certainement coûter cher au peu qui reste de la marche de l’économie national : retarder les programmes scolaires, stress dans les collectivités locales, gêne dans le peu de productivité économique sans compter le doute qui s’installera chez les investisseurs privés. Il est très difficile selon les circonstances actuelles de revenir sur cette mesure et si tel sera le cas, elle ne sera pas d’ordre économique mais politique.
Les révélations faites ces dernières années sur les avantages salariaux des députés et les placements que font les responsables à l’étranger ne leur accordent plus une position crédible aux yeux de la population. Ils seront emmenés probablement à résister au vote automatique de la loi abrogeant le départ avant l’âge pour se faire une virginité surtout que l’échéance législative approche à grand pas. Dans cet éventualité, l’intersyndicale sortira vainqueur dans son égo mais affrontera seule les restrictions budgétaires à partir de 2017 pendant que les membres de l’exécutif et ceux du législatif se la coulent douce. Dans le fond, le départ avant l’âge de 60 ans n’est certainement pas une préoccupation majeure du citoyen lambda, tandis que la détérioration de son pouvoir d’achat l’est assurément. Peut-être qu’il comprend parfaitement que la démarche entreprise jusqu’à maintenant, cette vache engraissée par la rente a malheureusement maigri et ce qu’il arrive est un aboutissement logique mais le sera-t-elle pour tout le monde ou uniquement sous forme de mesures d’austérité infligées aux seuls citoyens ? C’est dans ce cadre et uniquement dans ce cadre que l’intersyndicale gagnera dans ses revendications car elles ne seront entachées d’entêtement mais interpelle à l’intégrité et la justice sociale. D’abord et avant tout la transparence budgétaire, comment un budget 2017 qui s'établit des prévisions de 4591 milliards de dinars réserve près du quart soit 1118 milliards de dinars pour la défense nationale. Sommes-nous en guerre et avec qui ? L’état d’urgence n’est-il pas définitivement levé ? Apparemment et au vu du projet de loi de finances pour 2017, le gouvernement préfère augmenter la taxe sur la valeur ajoutée, qui pèse déjà lourdement sur le pouvoir d’achat des citoyens, alors qu’il n’évoque nullement de réduire les dépenses farfelues des institutions de l’Etat.
Dans le chapitre consacré aux budgets alloués aux différents secteurs d’activité, il est mentionné que la Présidence de la République maintiendra le même budget de fonctionnement de 7,8 milliards de dinars contre 7,9 milliards en 2016. Plus encore, il est question de l’allocation de sommes faramineuses à des dépenses pas tout à fait indispensables. Alors que 2017 sera bien difficile pour le reste des Algériens, la Présidence prévoit l’acquisition, à la faveur du programme 2017, d’une soixantaine de véhicules pour un montant de 190 millions de dinars. La même institution lance une étude pour l’aménagement des résidences officielles, maisons d’hôtes et divers équipements pour la coquette somme de 391 millions de dinars.
Le Premier ministère n’est pas en reste puisqu’il prévoit un programme de subvention de travaux d’entretien, d’équipement, d’ameublement et de décoration au profit de la résidence d’Etat du Sahel pour un montant de 1300 millions de dinars. Des travaux d’entretien et d’équipement concerneront aussi 123 villas pour un coût de 160 millions de dinars. Quelques exemples parmi tant d’autres qui montrent la légèreté avec laquelle le gouvernement puise dans la taxation des petits salaires et "oublie" de toucher aux privilèges des institutions et hauts responsables de l’Etat. S’il est normal de chercher à renflouer les caisses de l’Etat par toutes les mesures possibles afin de sauver l’économie du pays, il est toutefois inconcevable de faire payer les plus faibles et de maintenir un niveau de vie bien au-dessus de la normale pour les hauts responsables de l’Etat. Les pays qui ont été touchés par la baisse des recettes pétrolières à l’instar du Venezuela, ont commencé par réduire les rémunérations du président et ses ministres ainsi que celles des députés pour donner l’exemple avant d’entamer leur consolidation budgétaire.
Même si le départ avant l’âge de retraite va faire mal à certaines catégories socioprofessionnelles qui l’utilisent comme artifice pour compléter leurs maigres revenus, une harmonisation des salaires le compensera largement en adhérant pour un processus logique né d’un progrès de la santé publique qui a fait avancer l’espérance de vie. En effet, au nom de quelle rentabilité, les entreprises publiques qui appartiennent entièrement à l’état paient mieux parfois beaucoup mieux que la fonction publique. Si ceci est valable ailleurs et dans d’autres pays, c’est parce que le secteur économique fournit une forte valeur ajoutée dans un cadre de forte compétitivité. Ce n’est pas le cas en Algérie. Les responsables ne sont pas du tout comptables de leurs échecs, alors pourquoi toucheraient ils mieux ? L’unification des caisses de retraites est devenue dans ce contexte une nécessité absolue.
Le Fonds spécial de retraite (FSR) ou d’autres caisses secrètes si elles existent, ne sont plus justifiés dans un tel contexte qui demande un effort d’austérité à tout le monde. En quoi un wali, ministre ou un député voire même un officier supérieur d’un corps constitué quelconque aurait plus de mérite qu’un fonctionnaire à l’école, au lycée, à l’université ou ailleurs dans les fonctions étatiques. Maintenant, les entreprises du secteur privés et notamment celles étrangères d’entre elles jugent les salaires en fonction d’un rendement réel. Est-ce le cas pour Sonatrach par exemple qui note son personnel une fois toute les décennies si ce n’est plus ?
Rabah Reghis, consultant et économiste pétrolier
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