Entre hier et aujourd'hui !
Etonnant comment les mots ont complètement changé de signification chez nous! Les gens d'autrefois disaient par exemple de tout homme intègre qu'il est "moul s'fa we n'ya" (celui qui a la pureté et la foi).
"N'ya" est perçu par toute la communauté comme le plus sublime des éloges qu'on puisse adresser à un paysan de la campagne afin de mettre en évidence sa simplicité, rectitude morale, générosité et disponibilité pour les siens et les autres. Ce dernier n'a, en effet, aucun autre souci que de se lever tôt le matin, aller aux champs, cultiver ses terres et en prendre sérieusement soin. Ce qui lui permet de subvenir aux besoins de ses enfants, les élever dans la dignité et maintenir en vie son foyer. D'ailleurs, un des dictons de Kabylie décrit si bien cette enviable gaîté qui le caractérise "i gue-henane siwa a-fellah dhe-mmis dh'win itefen i-mmis" (ne sont heureux que l'agriculteur et son fils ainsi que tous ceux qui se font discrets).
Rien à voir avec ce cliché péjoratif de nos contemporains où, curieusement, ce "n'ya" d'antan est devenu une personne peu estimée, sujette la plupart du temps à des critiques et des sarcasmes. On lui préfère "el-kaf'z" ou "sa'dji", c'est-à-dire cet homme qui sait se débrouiller partout, n'hésitant guère à baratiner son entourage, user de la ruse pour conclure rapidement des marchés parfois douteux, s'enrichir à tout prix même s'il fallait tricher, frauder, voler, etc. Hélas! La bonhomie de la paysannerie traditionnelle s'est rapidement altérée, sinon dissipée, laissant la place vacante à «un ensauvagement normalisé des comportements». Comme si la société aurait changé dans l'anarchie ses codes langagiers, ses normes, ses habitudes, ses coutumes, etc. De même celle-ci se complaît-elle entre un nombre impressionnant de miroirs trompeurs, lesquels ont fait pencher la balance de ses valeurs dans une direction négative.
Prenons maintenant un autre mot "aâmmi" (oncle ou cousin) pour l'examiner aussi de près à la lumière de cette métamorphose sociétale. Utilisé dans le passé dans le but d'exprimer le respect envers les personnes âgées, en insistant sur l'importance de la parenté familiale dans le resserrement des liens sociaux entre les individus de même quartier, rue, village ou ville, il s'est fait, comme par hasard, devancer actuellement par l'appellation "hadj"» (pèlerin) laquelle a une connotation purement religieuse, sécrétée par "une dévotion d'apparat", désormais ancrée dans nos mœurs collectives. Or, le problème, c'est que, appliquée indistinctement à toutes les catégories de gens, celle-ci aurait brouillé ces notions d'intégrité, de piété et de probité, lesquelles mettent dans l'apport individuel à la communauté la finalité du devoir religieux!
Pareil à ce qui s'est passé à ce titre de "Si Fe'lane". Lequel, désignant auparavant ces personnes au rang social considérable ayant contribué par leurs actes de bravoure, exploits, érudition ou engagement au bonheur de tous, s'utilise de nos jours pour tous ces nouveaux «faux riches» aux gros ventres, longs bras et...poches pleines. Et, effets amplificateurs de la vox populi aidant, ces derniers abusent et s'accordent exagérément l'estime des masses dans la rue, achètent le silence des responsables, soudoient... les autorités, etc. L'odeur de l'oseille aurait, paraît-il, trop infecté nos consciences, en polluant les ingrédients du conditionnement.
Kamal Guerroua
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