Ode à la Catalogne : "Si estimes el que tens, tens tot el que vols"
Si tu aimes ce que tu as, tu auras tout ce que tu voudras. Ce proverbe catalan résume à merveille le chemin que la Catalogne a pris et continue à prendre pour prendre en main son destin.
Ce n’est pas difficile de prendre son destin en main quand on l’a déjà pris en conscience. Je l’ai vu. Je l’ai vécu. Et, en Kabyle amoureux de la vie, j’ai des pincements de jalousie. Une jalousie positive, bien sûr. Sélectionné pour cette nouvelle résidence d’écriture à Olot (Faber), dans la Garrotxa, la fascination fut immédiate. Mon espagnol et mon français arrivent, tant bien que mal, à me sauver. Je comprends, més o menys, la langue catalane. "Molt bé!" (Très bien) m’encourage-t-on à chaque fois que j’apprends un mot ou deux.
Comme chaque être humain en voyage, je me laisse porter par le jeu de la comparaison. Un jeu parfois sérieux, d’autres marrant. La Catalogne, Tamurt (La Kabylie). Les Catalans, les Kabyles. Des contextes historiques et sociaux différents, certes, mais quand Anna Ballbona (auteure d’expression catalane) me raconte comment son grand-père a vécu, ça me rappelle comment le mien a vécu. Et les deux s’assirent autour d’un feu pour que leurs mères leur racontent des contes. Les deux apprirent la langue de leurs mères à travers le conte, le poème, les interactions de la vie de tous les jours, à travers un savoir gorgé d’expérience de la vie, pas dans les écoles et les instituts.
Plusieurs Catalans durant la dictature de Franco furent persécutés, tués ou chassés. Leur langue bannie. Ce qui me rappelle Boumediene. Cela me rappelle les années où la langue kabyle était interdite même dans les rues.
Depuis, l’Histoire a fait son chemin. Elle a gratifié les Catalans, très peu les Kabyles.
Je le vois ici à Olot et dans les villages autour. Je vois la fierté d’être catalan dans les yeux des gens dans les rues. Dans leur "Bon dia!”. Dans leurs librairies pleines de livres écrits dans leur propre langue. Je le constate dans les discussions littéraires, politiques, sociales. Je le constate dans leurs chaines de télévisions et radiophoniques prolifiques. Je le perçois dans leurs cinémas, dans leurs théâtres, dans leurs villes et villages propres et beaux. La Catalogne n’est pas folklorique. La Catalogne aime ses écrivains, ses artistes, ses chercheurs, ses créateurs, ses historiens… et elle leur réserve une place de choix. Un peu moins que les joueurs de Barça, vrai, mais ils ont leur place, leurs éditeurs, leurs critiques littéraires sur des magazines, des journaux en langue catalane.
Je m’émerveille à chaque fois que je suis devant la façade d’une librairie, devant un kiosk de journaux, devant les affiches de ciné ou de théâtre, devant une plaque de renseignements. Comme un gamin, je me mets à rêver. Je me vois en Kabylie devant une librairie oùles livres écrits en kabyle sont bien rangés, bien affichés, pas abandonnés dans l’arrière-boutique ou jetés dans un coin poussiéreux. Je me vois di Tmurt attablé dans un resto entrain de choisir dans un menu écrit en kabyle. Je m’imagine dans une bibliothèque à Fréha ou Tizi Ouzou entrain de feuilleter le dernier livre de Salem Zenia ‘Jo soc l’estranger’ (Nekk d ajentaḍ) que j’ai trouvé, en version bilingue (catalan et kabyle), dans une librairie à Olot.
Les Catalans ont conscience de ce qu’ils ont et ils savent comment le chérir. Riches ou pas riches, la majorité est versée dans la chose culturelle et littéraire. Plusieurs de leurs entrepreneurs investissent et sponsorisent l’art et la littérature, essence de tout un peuple. Tous et toutes, à part ceux qui s’abreuvent d’oralité seulement, lisent et écrivent dans leur langue.
A nous donc d’aimer ce que nous avons, ce que nous sommes, par nous-mêmes, entre nous-mêmes, pour nous-mêmes, avant que les "autres" viennent nous le "chanter", bien ou mal, sans repli sur nous-mêmes, sans adversité inutile, sans haine, sans folklorisation. C’est ainsi qu’on aura tout ce qu’on voudra. Adéu !
Noufel Bouzeboudja
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