Si Mohand Ou Mhand, l’amour voyageur : résister aux affres de l’exil (III)
Si Mohand traversait monts et vaux, il côtoyait les nouveaux ouvriers auprès desquels il séjournait de longues semaines ! Il était parfois retenu contre son gré.
Très sensible à la misère et à l’exploitation que subissaient les jeunes de son pays réduits souvent à travailler de longues journées pour un morceau de pain ! Il lançait pour la mémoire des poèmes qui témoigneront aujourd’hui encore de la férocité des colons, de l’inhumanité des occupants qu’il qualifiait de sauterelles s’attaquant à tout ce qui poussait sur notre terre nourricière.
Ils se présentent au seuil de chaque ferme
Kabyles comme Arabes
Les colons ricanent comme des sangliers
Kul lfirma veden as ɣer lbab
Aqvayli d Aɛṛab
Ṛwan lexnazar taḍṣa
Ils errent à la recherche du travail et du pain. Tous finissent par vendre leurs bras à vil prix, dormant dans des granges, sous les arbres et parfois dans les tavernes sordides où ils sombrent dans l’alcool et la déchéance !
Les voilà tous à Blida
Les enfants de l’exil
Errant dan les rues
Hatiten akw di Leblida
Tarrawt l-lɣerba l
Di zznaqi la ttḥewisen
Il semait sa poésie d’amour pour réparer les blessures apparentes et ses cris de révolte pour contenir la douleur profonde et la transformer en prise de conscience et en nécessité incontournable de la libération du joug colonial. Nos hommes sont écrasés et foulés à terre ! dira-t-il
Flétris comme des fruits mûrs
Brisés en deux
Les hommes sont foulés à terre
Bbwan yergazen am lexrif
Bḍan di ttnaṣif
La ttwarkaḍen di lqaɛa
Si Mohand séjournait chez les ouvriers dans les cafés et les dortoirs de fortune, dans les champs, les étables, les chantiers de construction. S’organisaient alors autour de lui, tous les soirs, des joutes poétiques, où il était question du pays lointain, de l’amour laissé là-bas, du temps des labours qu’on a raté, de la cueillette des figues à laquelle nous ne participons pas, de la fête du village que nous ratons, de l’air matinal de la haute montagne, des nuages porteurs d’eau s’en allant décorant le ciel hospitalier. L’exil est démonté par une poésie d’espérance, les mots doux du retour, les paroles de la victoire sur l’absence, sur la réclusion, sur la précarité, contre l’oppression, sur le rêve d’être humain.
L’oiseau est le messager de l’amour : tantôt c’est un aigle, tantôt un étourneau, souvent un pigeon, un ramier beau et rapide habitué aux vents du Djurdjura
Prend ton envol oiseau, plane
Vers Tachrayhit , vers Bushel
Repose-toi au zénith à Tleta
Salue tous ceux que j’aime
Petits et grands
Observe s’ils ne sont pas malades
Quant à nous, nous sommes englués
Les chaînes sont de fer
Nous patienterons que passe l’épreuve
A ttir deg ifeg ik ṛḥel
Tacṛayhit, Bushel
Aqegel ik di Ttleta
Sellem ɣef iden nḥemmel
Meẓẓi neɣ muqqer
Mender m ur hliken ara
D nukn’aqlaɣ nettekbel
Lqid imselsel
Anneṣbeṛ attɛeddi lmeḥna
Le moyen est souvent une lettre qu’emportera le faucon aux couleurs vives, l’aigle au bec crochu, l’hirondelle au ventre blanc neige. L’oiseau qui comprend délivrera le message, lira la lettre aux amis, aux voisins aux intimes, à ceux dont la présence nous manque, ceux dont l’amour était notre énergie
Ramier, mon frère, fais donc tes preuves
Bat de tes deux ailes
Vole vers le pays d’où je viens
De ta plume écris mes lettres
Porte-les là où sont mes amis
Ceux qui partagent mes soirées
S’il en est encore qui gardent la pudeur
Ils se souviendront de moi
J’ai le cœur en larmes et l’âme qui saigne
Ay itbir a gm’ak nissin
Huz leǧnaḥ i sin
Abrid ik ans ‘i d nekka
S leqlam aru tibratin
ɣer wanda ttilin
leḥbab akw d nettɣama
ma llan igad ittettsetḥin
ard ay d mmektin
yettru wul tejraḥ tassa
Mohand U Mhand parle au nom de tous, chacun se retrouve dans une image, une métaphore, une déclinaison verbale, un soupir, un geste, une posture, un rêve entretenu par les mots voyageurs du poète
Faucon écoute bien mes mots
Déploie des deux ailes
Tu seras mon frère intelligent
Franchis les cols de ma montagne
Emporte mes lettres
Et raconte à chaque ami
Que ceux qui ont encore le cœur tendre
Se souviennent de nous
Enfants prédestinés à l’exil
A lbaz di lheḍṛa ṭtḥeṣin
Huz afriwen i sin
Ar tiliḍ d gma lkayes
Ffel i wedrar akin
Awi tibratin
Mkul aḥbib ḥku yas
Ma llan at wul ḥnin
Ard aɣd ttmektin
Aqcic lɣerba tḥekm as
(A suivre)
Rachid Oulebsir
Lire la première partie: Si Mohand Ou Mhand, l’amour voyageur : La terre et la femme (I)
Lire la deuxième partie : Si Mohand Ou Mhand, l’amour voyageur : ouvrir la cité à la poésie interdite (II)
Commentaires (3) | Réagir ?
merci bien pour le site
merci bien pour les informations