"Quel est le nom de votre mère?" Chronique d'une intimidation à l'aéroport d'Alger

Ahviv Mekdam
Ahviv Mekdam

C'est le jour de départ. Mon flair me dicte de ne pas dormir la nuit afin de ne pas me réveiller en retard et arriver plus tôt que prévu à l'aéroport algérien baptisé au nom d'un dictateur.

Il est quand même ahurissant de constater qu'Oran, ville de l'ouest et fief du pouvoir algérien, distante de 500 km d'Alger est plus proche, au volant, de la capitale algérienne que Tizi-Ouzou, distante d'à peine 100 km ! Dans le meilleur des cas, vous pouvez faire trois heures de route au lieu d'une normalement nécessaire. Vous imaginez les embouteillages fomentés par les check-points de gendarmerie et les interminables files causées par de grands camions et de tracteurs qu'on devrait supprimer de la circulation.

Je rentre dans la file pour l'enregistrement des bagages, vol 260 de la compagnie Aigle Azur en direction de Paris-Orly. "Avancez, Monsieur !" me demande sympathiquement la guichetière. "Est ce que vous pouvez mettre une étiquette "fragile" svp, j'ai une bouteille d'huile d'olive et je ne souhaite pas qu'on l'explose quand on balance les bagages" demandais-je poliment. La réponse est niet. "Vous deviez la congeler, monsieur", m'apostropha la jolie hôtesse. Ébahi par cette réponse, car du vin congelé de mon cadeau Saint-Augustin, je ne saurais savoir ce que sera le liquide après decongélation. Je me dirige pour finaliser la démarche au bureau 16 et avant d'embarquer, je profite d'un dernier café gluant avec mes deux compagnons de trajet. Il est clairement établi que cet aéroport international, même pas doté de toilettes propres et d'espace fumeur isolé, est fait pour la nomenklatura.

Air Algérie, compagnie aérienne la plus chère de la planète, occupe trois quarts de l'espace et les tarifs de boissons sont équivalents avec les tarifs d'aéroports français: 180 dinars le café au pays d'un salaire de 18000 dinars. Le moment décisif approche. 2h avant le décollage prévu, je me présente à l'embarquement, le hall était vide et le policier au bureau me fait signe. Je présente les documents de voyage en disant "bonjour" le policier prend le passeport et fait sa recherche sur son ordinateur. Devant la lenteur de la recherche qui ne finit pas, je demande s'il avait un souci et le policier me répliqua :"C'est quoi le nom de votre mère?". Je n'ai pas mesuré l'importance de la question de suite, et je réponds spontanément, en citant le nom de ma mère en kabyle, et l'interrogatoire s’enchaîne: "Le nom du père", "Vous êtes résident ?", "Vous faites quoi en France", "Vous travaillez pour quelle société"...et j'arrête mon interrogateur qui remplissait une fiche de police jaune devant mes yeux. "Vous pouvez me dire ce qui se passe" lui demandai-je avec un ton ferme. "Pas de problème khouya (frère en arabe ), al ijra-at bark (juste la procédure)".

Le policier appelle son collègue qui arrive lui chuchoter quelque chose que je n'ai pas saisi. 30 mn d'attente et mon passeport est tamponné. "Chokrane (merci)", me dis le guichetier et je reprends mes documents tout soulagé ! J'avance vers le deuxième barrage et le guet-apens se referme. Je présente encore une fois les documents de voyage et on me demande d'enlever la veste, la montre, la ceinture et la monnaie pour passer dans le portique de sécurité. Je traverse le fameux scanner qui n'indique rien du tout mais cela n'a pas empêché l'autre policier de me demander de repasser une deuxième fois, ce que je fais et le portique ne sonnera pas évidemment. Le policier s'approche et me demande de lever les mains pour permettre une fouille au corps, de la tête aux pieds, respectueusement certes mais avec insistance. Ma pochette de papiers et de clés est épiée au point où le policier a failli s'engouffrer dedans. Tout a été sorti et une batterie de secours de mon téléphone qui déconne a intrigué le pauvre policier au frontière. "Qu'est-ce que c'est ?", me demanda-t-il. "C'est une batterie de rechange", répondis-je. Je récupère ma sacoche et ma tablette cloîtrées pendant 20 mn sous le regard étonné des agents et au moment où je remets ma ceinture, les questions fusent : Quel est le nom de votre père, de votre mère, qu'est-ce que vous faites en France ....et devant le ridicule de la situation je réplique : "Tous les renseignements sont indiqués sur les documents et votre collègue vient de remplir une fiche avec ces mêmes questions", et l'agent de police appelle un collègue en me disant :"Vous avez deux bagages, vous allez nous suivre pour les vérifier".

Devant la situation abracadabrantesque et à une trentaine de minutes de décollage, je n'avais d'autres choix que de suivre la sentinelle et revenir sur mes pas. J'arrive devant le bureau d'enregistrement des bagages, entouré comme un malfrat, d'un responsable de l'aéroport, du chef de vol et de quelques agents indiscrets. Le policier m'accompagnant demande de retirer mon bagages. Je ne sais pas ce qui s'est passé à l'intérieur mais une trentaine de minutes plus tard, le policier revient bredouille. Entretemps, le chef de vol me demande si j'ai ramené quelque chose d'illégal, ce à quoi je réponds par la négative et il conclut : "Est-ce que vous avez eu une bagarre pendant votre séjour, vous devez avoir un problème avec la police". "Non, monsieur, je ne suis pas venu empoisonner mon séjour par une altercation, je ne suis pas un terroriste et je ne suis pas un ministre voleur". Et le gars me glisse en kabyle : "Doucement cher ami, ça va aller". Retour à l'embarquement, et retour à la case départ, moi qui croyait les procédures administratives finies. Et bien non! Je repasse le portique et la fouille alors que le policier m'accompagnant a indiqué que ce n'était pas la peine puisque je suis déjà passé, ce à quoi son chef refuse d’obtempérer. Je reprends mes affaires et je demande mes papiers, le policier qui les a pris m'indique de les récupérer au bureau de la Douane situé juste derrière. La responsable m'accueille, m'invite à m'asseoir et le déluge de questions recommence. "Madame, j'ai déjà répondu à ces questions et tout est mentionné dans vos fiches, pouvez-vous me dire ce qui se passe ?", j'interpelle la grande dame habillée en gris et qui me répond correctement : "Je suis désolée, monsieur ! Nous n'avons pas de souci avec vous, c'est la police qui a un problème" et l'intrigue est résolue. Je récupère une dernière fois mes papiers et je me dirige vers la salle d'embarquement et un autre douanier qui voudrait apparemment avoir un rôle dans la répression me demanda sèchement :"vous avez quelque chose à déclarer?", "Non, vous collègues ont tout pris comme renseignement" et je me dirige droit vers l'avion que je devrais rater depuis une demi-heure. Heureusement pour moi que la compagnie fait des retards depuis son rachat par les Chinois, c'est ce qu'un agent de réservation m'as confirmé lors de la confirmation du vol, trois jours auparavant.

Au décollage, j'avais une pensée à ce pays détruit, à ces gens réprimés et à ces militants harcelés quotidiennement. J'avais la chance de tomber sur une vieille Kabyle, toute splendide dans sa robe et toute contente de retrouver son mari, ancien émigré qui a travaillé chez Renault et qui occupe aujourd'hui un HLM à Montrouge, au sud de Paris. Na Ghenima, c'était son nom, originaire de Ouaguenoun, tout près de Tizi-Ouzou, me racontait tout au long du vol son engagement pendant la guerre contre le colonialisme français. Le parallèle saute aux yeux avec ce que je viens de vivre en cette journée ensoleillée d'octobre.

Deux heures plus tard, l'Airbus A320 atterrit à Orly-sud. Je retrouve la fraîcheur parisienne et les "bonjours" et les "pardons" des agents aéroportuaires. Je prends mon cabas et mon sac-à-dos plein de figues, de gâteaux et d'huile d'olive et je me dirige à la sortie du voyage en enfer. Un douanier français me fait signe: "Par-là, s'il vous plaît. Nous devons vérifier votre bagage!".

Ahviv Mekdam

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Commentaires (5) | Réagir ?

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moh arwal

Les braves gens, za/ma c 'est pour les pauvres qu'ils te demandent du fric !!

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moh arwal

je témoigne d' une expérience vécue: Ils constituent même des associations de bienfaisance pour engranger les pots de vin (bakchiche) qu' ils se font verser pour nous délivrer des documents d' état civil.

Ils se présentent ainsi, comme des bienfaiteurs sociaux qui ramassent de

l 'argent pour les pauvres. Ils se spécialisent dans l'art de voler le peuple.

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