Le maltais, le parler algérien, une langue officielle transcrite en caractères latins (IV)

Le maltais, le parler algérien, une langue officielle transcrite en caractères latins (IV)

6. Le système grammatical et conjugal de la langue maltaise

La structure grammaticale et conjugale de la langue maltaise est presque la même que celle que l’arabe algérien, et celui des arabophones d’Afrique du nord en général, comme le montre les exemples illustrés dans les tableaux suivants :

Le manque d’espace alloué à cette analyse et le désir de ne pas encombrer le lecteur avec beaucoup d’exemples nous ont poussé à nous contenter de seulement quelques expressions et certains aspects de la grammaire et de la conjugaison de la langue maltaise.

Ce qui est largement suffisant pour montrer à quel point la ressemblance est frappante avec l’arabe algérien et en général celui des Nord-Africains, parmi ceux et celles qui ont perdu leur langue ancestrale, le tamazight, pour différentes raisons données par les historiens et les spécialistes.

IX. Précision sur le terme "parler algérien" versus "Darja"

Il est important de signaler que le terme "parler algérien", tel que reporté faussement dans le titre même de la présente analyse et certaines sections des trois premières parties, est inapproprié puisqu’il s’agit plus exactement de l’arabe algérien, appelé communément la "Darja". Ce terme est plus juste puisqu’il inclut aussi les autres parlers des arabophones d’Afrique du nord, dont la "Darija" du Maroc et celles de Tunisie et la Libye, sachant qu’il y a beaucoup de ressemblances entre elles.

D’un autre côté, le terme "parler algérien" est trompeur puisqu’il n’y a pas un seul parler en Algérie et en Afrique du nord en général. En effet plusieurs DARJAs côtoient plusieurs variantes de la langue tamazight (pour certains) ou plusieurs langues amazighes (pour d’autres).

Historiquement un autre terme est utilisé pour désigner la "Darja". C’était déjà en 1948. Il s’agit de BERBYA, une contraction de BERbère + arabYA, pour designer l’arabe parlé des Algériens arabophones. C’était dans le document "L'Algérie libre vivra" de 110 pages, intitulé aussi Idir El Watani. Il est rédigé au premier semestre de 1948 et présenté par cinq révolutionnaires et intellectuels kabyles, que sont Mabrouk Belhocine, Yahia Henine, Saïd Ali-Yahia, Sadek Hadjeres, et Saïd Oubouzar.

Le document en question traitait de “l’algérianité” de l’Algérie en opposition à la nation “arabe”, telle que formulée dans le mémorandum du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) que dirigeait Messali El Hadj qui l’avait adressé à l’ONU fin 1948. Ce qui a engendré la fameuse crise berbériste de 1949, non encore réglée.

Dans ce précieux document il est écrit ceci : «"Comme cela se passe dans nombre de pays opprimés qui s’éveillent et veulent se libérer, on assiste à un véritable renouveau des langues populaires : arabe parlé (berbya) et kabyle sont constamment utilisées pour des activités nouvelles : chansons artistiques et patriotiques, théâtre, discours, toutes ces utilisations nouvelles ouvrent le chemin d’une riche culture populaire, exprimant l’originalité profonde de notre peuple et favorisant l’épanouissement de sa pensée et de sa sensibilité".

X. L’alphabet latin de tamazight est plus propice pour transcrire la Darja

Sans être un linguiste, ce qui suit sont mes propres observations et conclusions quant au fait que le codage latin pour transcrire notre langue(s) amazighe(s) tel que proposé par l’écrivain Mouloud Mammeri est de loin plus efficace que celui des Maltais établi probablement à la hâte et dans l’urgence en 1923 par l'"Union des écrivains maltais" tel que relaté dans la section VI de la présente analyse. Ce qui rend la transcription de la "Darja" avec la convention mamérienne plus favorable. Ainsi par exemple :

1. La lettre amazighe Ɣ n’a pas d’équivalent en maltais. Ce qui fait que Għada (Demain) est prononcé Ɛada au lieu de Ɣada (Ɣedwa en algérien).

2. La lettre amazighe X n’a pas d’équivalent en maltais. Ce qui fait que Ħamsa (Cinq) est prononcé Ḥamsa au lieu de Xamsa.

3. Les lettres emphatiques Ṣ, Ṛ, Ḍ, Ṭ et Ẓ n’existent pas en maltais. Si ces sons existent dans certains mots emprunts ou pas, ils sont représentés par des lettres normales S, R, D, T, et Ż, comme dans Tojlit (toilettes), ou des lettres doublées comme dans Qattus (Chat).

4. Comme vue dans le tableau précèdent, la lettre maltaise Ħ ou ħ possède deux variantes de prononciation. Soit Ḥ comme dans Il-ħad, aħmar (Dimanche/Rouge), ou X comme dans Ħamsa, aħdar (cinq/vert).

5. La règle d’or de Mouloud Mammeri 1 son = 1 lettre n’est pas respectée dans l’alphabet maltais avec les sons Għ (ɛ) et Ei (i prolongé).

6. Comme mentionné précédemment le son Għ (ɛ) devient apostrophe (‘) à la fin d’un mot maltais.

7. On remarque que les lettres P, V, O dans le maltais sont des lettres réservées souvent aux emprunts venant des langues comme l’anglais, l’italien et le français. Ce qui est normalement le cas avec la convention mamerienne (Comme Rizerva, Jappuni, Paris, Viktur, ...).

XI. Exemples de textes en "Darja" transcrits en alphabet latin de tamazight

Des extraits de chansons fredonnées en "Darja" par trois chanteurs célèbres ont été choisis ci-après pour montrer que la transcription, en suivant la convention mamerienne, est en effet plus efficace par rapport au codage de la langue maltaise.

Le fait que la structure grammaticale et conjugale de la Darja est très semblable à celle de Tamazight, a davantage facilité le procédé de sa transcription en ce qui est communément appelé Tamɛamrit.

Un autre argument de taille est que le lexique de la "Darja" est très riche en mots venant de Tamaziɣt comme Ɛeggun, Ɛajmi, Jenwi, Baɛuca, Baḥnuq, Bzima, Gnin, Berra, Berreḥ, Claɣem, Cmata, Dduḥ, Ddemar, Fakrun, Fermac, Grellu, Ɣemmem, Hidura, Bliɣa, Bellireǧ, Merqa, Muss, Ǧuɣlal, Karmus, Lussi/Lussa, Nnaqus, Qelleb, Seggem, Jaɛlula, Tata, Ččaqlala, Bḥira, Zɛaf, Yehder, Zher, Zrudiya, Zzerb, …. D’après les spécialistes, plus de la moitié des mots de la Darja proviennent de Tamazight. Le reste étant un mélange ou des emprunts à d'autres langues, celles des colonisateurs turc, arabe, français et espagnols.

XII. Conclusions

L’analyse donnée dans la présente contribution décortique la langue maltaise sur plusieurs aspects notamment historique et linguistique. Le but est de montrer qu’elle est l’exacte copie de la "Darja", en plus des emprunts à d'autres langues, dus essentiellement à la présence des italiens, français et anglais qui se sont défilés à travers les siècles sur l’archipel se trouvant au centre de la Méditerranée entre la Sicile et la côte nord-africaine.

J’ai toujours été impressionné par ce petit pays, 7538ème fois plus petit que l’Algérie, en me posant la question du comment il est classé 39ème au monde en termes de développement humain alors que l’Algérie est à la traine occupant la 93ème place. Pourtant, les deux pays ont eu leurs indépendances presque à la même période. L’un, riche en pétrole et autres ressources naturelles, s’est débarrassé du colonialisme français en 1962, alors que l’autre, sans aucune ressource naturelle, s’est libéré des Anglais deux ans plus tard, soit en 1964.

C’est bien beau de chercher toutes les raisons du monde, mais de mon point de vue la gestion cohérente de l’identité et l’aménagement sociolinguistique en tenant compte des réalités historiques du peuple, en est le secret qui a mis le petit pays Malte sur de bons rails vers la bonne gouvernance et la stabilité politique. A contrario, l’Algérie qui a accouché d’un grand mensonge en 1962, en nous arrimant au monde mythique dit arabe, souffre encore de ce pêché original qui explique sa crise multidimensionnelle actuelle.

La vision des rédacteurs du document suscité "L'Algérie libre vivra" n’a malheureusement pas été prise en considération à l’indépendance puisque le premier président de la fausse république démocratique algérienne, Ahmed Ben Bella, dans son discours du 5 Juillet 1962, il énonce sa politique arabiste en entonnant : "L’arabisation est nécessaire, car il n’y a pas de socialisme sans arabisation..., il n’y a d’avenir pour ce pays que dans l’arabisation". Pire il avait égosillé à Tunis et devant le président tunisien Habib Bourguiba, au passage d’origine maltaise, ceci : "Nous sommes des Arabes, Nous sommes des Arabes, Nous sommes des Arabes". Et c’est le début de tous les dérapages en ramenant d’abord 650 instituteurs frères musulmans égyptiens pour investir le champ pédagogique de l’éducation nationale. Des bancs de l’école publique est née toute une génération de ratés et d’analphabètes multilingues.

A contrario le Malte, non seulement il a protégé son héritage linguistique imposé par une histoire douloureuse conséquence de plusieurs colons, des Arabes aux Anglais en passant par les Italiens et Français, mais aussi il a instauré le butin de secours, qu’est la langue anglaise décrétée officielle à côté de la "Darja" maltaise, ayant la supériorité institutionnel comme étant langue nationale et officielle. Ceci a fait des Maltais de parfaits bilingues, maitrisant la langue des ancêtres et celle de la technologie, des sciences et du commerce.

L’Algérie, en arabisant son peuple au sens de l’arabe classique du moyen orient, non seulement elle a tourné le dos à ses fortes variantes linguistiques et identitaires ancestrales, mais aussi à son butin de guerre, qu’est la langue française. Celle-ci pourrait être utilisée officiellement ne serait-ce que pour des raisons économiques, et ce au même titre que les langues ancestrales dont la Darja et la langue Tamazight. Certains préfèrent dire les langues amazighes, puisque Taqbaylit, Tacawit, Tamzabt, Tamacaght, Tacenwit, Tacelhit, … sont considérées comme des langues appartenant à la grande famille des langues amazighes.

Personnellement je partage ce dernier constat pour la raison suivante : Le pays Malte, étant donné sa superficie toute petite, ne gère que deux langues; la sienne, le maltais (la Darja des africains du nord) et l’anglais, comme butin du secours britannique contre napoléon Bonaparte entre 1800 et 1964.

L’Algérie, immense qu’il est et le plus grand pays d’Afrique (7538 fois le Malte), ne peut être fonctionnel avec une seule langue, deux, voire même plus. Par exemple l’Afrique du Sud, pourtant moitié de l’Algérie en superficie, possède 11 langues officielles dont l’anglais et afrikaans (néerlandais) comme butins du colonialisme. Les autres 9 langues (zoulou, xhosa, zwazi, ndebele, sesotho, sepedi, setswana, xitsonga, tshivenda), pour la plupart elles font partie des langues bantoues qui partagent plusieurs morphèmes, pronominaux, nominaux ou verbaux sur le plan grammaire et conjugaison. Tout comme elles partagent un vocabulaire commun et un certain nombre de classes de mots.

Le parallèle est facile à faire avec une Algérie idéale qui aurait comme langues officielles :

- le français comme butin du colonialisme,

- l’anglais comme langue de la technologie, science et commerce,

- Darja comme butin historique formée d’un mélange de Tamazight et autres langues des colons arabe, turc, espagnole et français et

- Taqbaylit, Tacawit, Tamzabt, Tamacaght, Tacenwit, Tawerglit, … comme langues ancestrales appartenant à la famille des langues amazighes qui partagent plusieurs morphèmes, pronominaux, nominaux ou verbaux, un vocabulaire commun et un certain nombre de classes de mots.

L’Algérie de Ben Bella à Bouteflika en passant par Boumediene et Benjedid aurait aménagé sa politique linguistique comme l’Afrique du Sud de l’historique Nelson Mandela, on ne parle pas aujourd’hui du risque de dislocation du pays qui se pointe à l’horizon. C’est exactement ce que j’avais dit en Libye en aout 2012 lorsque j’étais invité pour donner une conférence sur l’importance de régler la problématique linguistique tout de suite avant toute autre chose pour que la Libye post-Kadhafi, n’aura pas le mauvais sort que sa voisine Algérie. 50 ans après son indépendance, elle apparait comme un pays riche mais avec une misère et un malaise social au sein de sa population des plus apparents.

J’avais dit en citant les exemples du Canada (2 langues officielles), Belgique (3), Suisse (4) et l’Afrique du Sud (11) qu’une Nation peut bien se développer alors que ses habitants parlent des langues différentes. A contrario, aucun pays n’est stable, ni politiquement, ni économiquement si une seule de ses langues n’est pas considérée et respectée institutionnellement.

L’analyse que je viens de faire sur le pragmatisme linguistique du pays Malte n’a nullement pour objectif, comme le penseraient certains, de promouvoir l'idée d'un seul parler algérien, la Darja, et du coup donner l’occasion aux ennemies de Tamazight (ou les langues amazighes) pour imposer l’enseignement du seul arabe algérien sous le pseudo de la langue maternelle.

Pour éviter tout amalgame, et pour ne citer que quelques exemples de langues amazighes, la langue maternelle en Kabylie est bel et bien Taqbaylit. Tout comme pour le pays chawi, c’est Tacawit, dans la vallée du Mzab, c’est Tamzabit, et enfin chez les Touarègues, la langue maternelle sera Tamacaɣt. Cependant la Darja sera la langue maternelle pour les poches d’Arabophones entre les ensembles amazighes.

Les caractères latins adoptés par les maltais pour leur "Darja", ont permis à la langue d’avancer et occuper une bonne place parmi les langues respectables d’Europe et du monde, y compris dans le Google Translate. L’exemple du pays maltais, dont la langue est considérée en Algérie, Maroc, Tunisie et Libye comme dialecte (la haine de soi oblige), montre qu’aucune langue ne peut se développer s’il n’y pas un état derrière. Une langue sans état est comme un SDF sans foyer. C’est exactement le cas pour Tamazight ou les langues amazighes, dont Taqbaylit. Pourtant elles possèdent des caractéristiques et des capacités extraordinaires à s’adapter au monde moderne, aux technologies et les sciences, exactement comme la "Darja" maltaise.

Pour finir et au vu de ce qui vient d’être décrit, je suggère aux algériens, mais aussi tunisiens, marocains et libyens, qui ont perdu la langue de leurs ancêtres amazighs, et qui se reconnaissent plus dans la Darja, de commencer sérieusement à prendre exemple de leurs arrières petits-enfants maltais, en faisant passer leur Darja du stade vernaculaire au véhiculaire. Ceci commence par l’écrit en adoptant, et c’est ma suggestion et mon souhait, les caractères latins déjà prêts pour Tamazight grâce au colossal travail du père spirituel de l’amazighité Mouloud Mammeri.

En faisant ainsi, vous aurez le mérite de sauvegarder votre riche patrimoine, ne serait-ce que pour mettre sur support écrit les belles chansons de Dahmane El Herrachi, Hachemi Guerouabi, Amar Ezzahi, El Hadj M’hamed El Anka, Hadj Ghafour, Tahar Fergani, Ahmed Wahbi, Blaoui Lhouari, Hamdi Bennani pour ne citer que quelques ténors du chaabi, l’Andalous, le Malouf et l’Oranais, sans oublier les anciens poètes arabophones d’Afrique du nord qui ont laissé un extraordinaire héritage au même titre que les nombreux Imedyazen (poètes) amazighs dont Slimane Azem, Cherifa, Ait Menguellet, Si Muh U Mhand, Yucef Uqasi,… en Kabylie, Aissa El Djarmouni et Zoulikha au pays chawi, ou encore Sidi Hmmou Utaleb, Mohamed Albansir, Mohamed Rouicha, ... au Maroc.

N’est-ce pas grâce à la transcription latine proposée encore une fois par Mouloud Mammeri pour tamazight que leurs poésies sont sauvées de l’oubli et sauvegardées à jamais dans les livres, les ordinateurs et les nombreux sites internet et réseaux sociaux. N’est-ce pas sans l’énorme travail de Dda Lmulud, nous n’aurions jamais pris connaissance des poèmes kabyles anciens.

Racid At Ali uQasi

Ottawa, 28 septembre 2016

Plus d'articles de : Débats

Commentaires (21) | Réagir ?

avatar
arine arma

merci pour le partage

avatar
arine arma

merci pour le partage

visualisation: 2 / 18