Si Mohand Ou Mhand, l’amour voyageur : La terre et la femme (I)
La terre et la femme sont dans une dialectique fondatrice de la pensée et du dire clairvoyant de Si Mohand constituant toutes les deux la nourriture permanente de sa sensibilité.
Marcher pieds nus pour sentir la poussière, prolonger le contact et l’illusion de la réappropriation de la terre des ancêtres, le sentiment de lutter contre la dépossession, retissait dans le cœur du poète le lien avec les entrailles de notre mère la terre. Akal, la terre, notre provenance et notre dernière destination, était indissociable des ancêtres - Akal N lejdud- la terre des ancêtres ! -Pas d’ancestralité et de continuité culturelle et identitaire sans le lien à la terre - Et dans l’imaginaire kabyle habitant l’âme de Mohand, l’ancêtre mythique était une femme, Yemma-s n ddunit, la première mère du monde, notre première génitrice, celle qui fonda la société berbère matriarcale et matrilinéaire !
Si Mohand parlait à la terre comme on parlerait à un humain et la conjurait de garder intacte le visage de la bien-aimée. Son haut degré de respect de la terre qu’il déifiait comme le faisaient les ancêtres dans leur cosmogonie ancienne et de la femme qu’il vénérait et sans laquelle la vie ne valait surement pas d’être vécue, est illustré par ce poème associant la femme et la terre dans le rapport de Lanaya, un concept bien kabyle qui fantasme le refuge protecteur de la beauté éternelle.
Morte est mon aimée sans que nous nous soyons revus
La mort l’a choisie
Dieu aime nous contrarier
Terre, n’altère pas sa beauté
la fille aux yeux de faucon
Anges pardonnez lui ses écarts
Elle ne méprisait pas le fils de Bohème
la fille au grand cœur
n’ira jamais en enfer.
Temmut taɛzizt ur nemẓiṛ
Lmut att textiṛ
Rebbi iteddu di nneqwma
Ay akal ur ttettɣeyiṛ
M laɛyun n ṭṭiṛ
Taɛfumt as a lmuluka
D aẓawali ur teḥqiṛ
D yeli s n lxiṛ
Meḥṛumet si ǧahenama
Dans de nombreux autres poèmes, il réclamait carrément la liberté pour la femme notamment du choix de son époux. En appelant à l’ancêtre symbolique, donc à la conscience locale, il demande expressément que l’on laissât la femme choisir son amoureux.
Moi je n’ai que les mots
toi prends la décision
la fille épousera celui qu’elle aime
Nekwni nheddar d awalen
Keč č gzem-d imraren
Taqcict attaɣ win tebɣa
Réduire le sexisme ordinaire
Si Mohand célèbre la femme dans des centaines de poèmes. Dans certains il dénonce la piteuse condition d’exploitée dans laquelle elle était maintenue par des reflexes d’un autre temps. Comme ces deux femmes qui reviennent
De cette contrée impitoyable
Où elles étaient prisonnières sans délit
Ɣef snat a d iṛṛuḥen
I tmurt i waɛṛen
Tt imeḥbas mebla ssiya
Si Mohand jouait au médiateur et remplissait le rôle dévolu à l’agora, Tajmaat, interdite par l’administration française. Il réglait par sa poésie magique, par sa connaissance des ressorts profonds de sa société, son érudition, des conflits sourds qui minaient l’entente et la vie villageoise solidaire
De passage dans un village de haute montagne, il fut invité à donner son avis sur un conflit qui minait l’entente des hommes et des femmes de la cité ! Une jeune femme venait de donner naissance à un garçon, l’héritier tant attendu ! Durant ses neuf mois de grossesse, elle força la main au père pour promettre au mausolée du village un bélier aux cornes de sept empans, soit des cornes géantes d’un mètre et demi de longueur ! Une fois le garçon né, les villageois avaient attendu les sept jours imposés par la tradition puis réclamèrent le bélier aux cornes monstrueuses ! La viande importait peu, mais les cornes, on en ferait une vingtaine de blagues à tabac ! Et puis mettre le mari dans l’embarras c’était tellement excitant ! Le mari devait relever le défi ou répudier sa femme qui venait de lui donner son unique héritier. Et puis d’où sortirait-il un tel bélier ? Le pauvre homme pris entre deux feux avait fait tous les marchés en vain ! Il se rendit à l’évidence en se pliant aux caprices ruineux des villageois ! Chacun y allait de sa revendication. Si Mohand fut donc sollicité pour sauver le couple menacé de désunion et l’entente villageoise qui allait imploser tant les avis étaient contraires et exorbitants d’incurie ! Il déclama un poème qui calma les ardeurs et ramena la sérénité, en proposant une solution brillante et accessible.
Dieu, nous sommes tes enfants
On évoque ta miséricorde
Cette femme est sur le point d’être répudiée
Le mari comme possédé
par un mauvais esprit
A lancé un défi insurmontable
Prend ton bébé dans tes bras
Mesure avec sa main
Je prends sur moi l’offense du ciel
Allah nekwni d arraw ik
Nendeh s isem ik
Taqcict ɣef tizi inebran
Aqcic ikcem it uɛfrit
Llah inaɛl it
Yeger ed limin d amuqṛan
Eṭṭef mmi m s lekmal is
Qis as s ufus is
Ma yela ddnub a t nemɛawan
Le poète proposa donc que la mesure des cornes se fasse avec la main du nouveau-né ! L’idée géniale ramena la concorde dans le village et la mesure des cornes à la normale. Le mari offrit donc un bélier cornu au mausolée et les villageois se réconcilièrent autour du couscous convivial.
Vivant à la campagne près d’Alger, travaillant comme ouvrier agricole ; il était amoureux d’une femme qui avait de nombreux enfants ! Il entretenait la famille de son mieux en fulminant. Il n’arrivait plus à joindre les deux bouts malgré une multiple activité mais son attachement était plus fort.
Je n’arrive plus à nourrir ses gosses
Par boisseaux, par paniers
Achète encore et encore
Prend tes escarpins
Comme tes frères
A Alger il y a du boulot
Si tu n’en trouves pas
Va vite
Les rejoindre à Blida
Tenɣa ddrya n medden
Tiǧǧaw d immuden
Mi g fuk rnu d a xuya
Tenna yi ddem arkasen
Ttbaɛ atmaten
G lezzayer tela lxedma
M’ur tufiḍ ara dayen
Aɛjel iḍaren
Atten Leblida tella
Amoureux d’une belle sétifienne Si Mohand travaillait pour elle. Il se plaint mais s’en presse de la rejoindre en amoureux transi
Me voilà comme le buisson de la berge
qui s’agrippe péniblement
je brûle au su et au vu de Dieu
Je travaille en plein été
Bronzé comme un nègre
Au zénith les jours de canicule
Fatima reine de Sétif
Au pouvoir indiscutable
Cette nuit je rejoins ta couche
Aqlay am ṭṭejṛa bbwasif
Issegmen s lḥif
ḥeṛqaɣ Ṛebbi d lɛalem
Cbiɣ axeddam n ṣṣif
Sewdaɣ am llewṣif
Ger unebdu d smayem
Fatima leḥkum n Sṭif
Iḥekmen feli bessif
Iḍ agi lembat ɣuṛem
(A suivre)
Rachid Oulebsir
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Commentaires (10) | Réagir ?
merci bien
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