Diagnostic amer d’un système éducatif algérien mis en échec
Treize ans après la réforme, le diagnostic qu’on peut dresser sur l'école algérienne relève d’un échec total.
Nous avons assisté pendant cette période au démantèlement de l’enseignement technique, à une montée de violence jamais atteinte auparavant allant jusqu’aux agressions mortelles, à une très grande montée de la tricherie à tous les niveaux, à une corruption directe ou indirecte (directe "par les moyens ordinaire" ou indirecte à travers les cours particuliers), à l’atteinte à la crédibilité des examens à cause des tricherie ou des fuites de sujets, à la sortie de diplômés ne savent ni lire ni écrire, à des programmes lourds impossibles à terminer, à une improvisation des décisions prises sans consultation des hommes du terrain ni expérimentation sur un échantillon du monde de l’éducation avant sa généralisation, à une importation d’une réforme ayant échoué dans d’autres pays pour l’appliquer chez nous, à un marché des cours particuliers incontrôlable, pratiqué même par des médecin et dépassant tout le monde avec la complicité de tous y compris la tutelle et les parents d’élèves, à une précarité du métier d’enseignants par le début de la généralisation de la contractualisation, le tout couronné par le diktat d’interventions politico-idéologiques de personnes incompétentes et n’ayant aucun rapport avec l’éducation et souvent par des personnes n’ayant pas de diplômes complexant toutes décisions ou réformes.
70% des problèmes de l’éducation relève des maux de la société car l’école n’est qu’un reflet de notre société surtout au niveau de la violence, de la corruption, de la tricherie ainsi que la complicité des parents d’élèves pour le succès de leurs enfants quel que soit les moyens. Personne jusqu’à ce jour, n’a osé dire assez sauvons notre école à part certains syndicats connus et non entendus pour des raisons inconnus. On écoute ceux qui applaudissent les décisions et les cautionnent et non ceux qui les contredisent.
Même les médias sont complices et n’invitent sur leur plateau que les mêmes personnes qui comme tout le monde le sait ne rapporteront que ce qu’on leur dicte. Mais l’histoire est en train de rattraper tout le monde et tous les diagnostics qu’ont pourraient faire donneront le même verdict échec total de l’éducation. Les inégalités scolaires se creusent de plus en plus depuis une dizaine d’années car le système algérien est un système élitiste.
Le début flagrant de l’échec a bien commencé depuis longtemps mais il s’est accentué à partir de 2003. Et malgré l’euphorie financière de l’époque, nous annonçâmes une réforme de l’éducation préparée en 2000 lors de la conférence de Dakar de l’UNESCO pour une mondialisation du système éducatif par le FMI et la Banque Mondiale, dictée par les multinationales. Les réformes annoncées avaient beaucoup plus un objectif financier qu’un but éducatif.
De là commença l’improvisation algérienne, de cette réforme mondiale sans tenir compte de la réalité sociale et régionale de chaque pays. Et comme d’habitude, c’est sous l’ère de Benbouzid, où l’on a assisté aux premières grandes grèves dans l’éducation et aux premières grandes rébellions de l’enseignants surtout au niveau de l’enseignement secondaire. Profitant de ces premières revendications sociales, la réforme fut accepté plus au moins par une grande partie de la famille de l’éducation beaucoup plus occupée par une augmentation de salaire, une retraite à 25 ans et par l’élaboration d’un nouveau statut des travailleurs qu’à arrêter le massacre qui se préparer dans le monde de l’éducation.
Le premier massacre fut le démantèlement de l’enseignement technique accepté par la majorité des mouvements de l’époque sauf par le CLA (Conseil des lycées d’Alger) et la CNLTT. La décision fut prise, et des laboratoires techniques importés ou bien en voie d’importation ou fraîchement installés dans les lycées techniques furent délaissés ou oubliés ou perdus donc plusieurs millions de dollars partirent en miettes sans le moindre regret. Ces lycées techniques faisaient la fierté de l’Algérie et produisaient depuis toujours des futurs ingénieurs ou des ouvriers qualifiés donc au lieu de les encourager en augmentant le nombre de spécialités suivant la demande ou en créant d’autres enseignement dans le secondaire telle que celui de l’agriculture ou celui de la pêche la décisions fut de les démanteler. Et nous assistâmes impuissants à ce massacre. Le résultat ne se fit pas attendre car quelques années plus tard la dépendance de l’Algérie vers l’étranger augmenta car aujourd’hui nous importons des ouvriers qualifiés puisque leur formation ne se fait plus ici à cause de ce démantèlement. Et de là, nous avons compris le rôle des multinationales dans le démantèlement de l’enseignement technique.
Le constat d’échec a été déjà constaté dans d’autres pays :
Au Canada, l’un des premier pays à avoir appliqué la réforme de l’éducation en 1997 par la ministre de l’époque Pauline Marois et selon un rapport, fait par des chercheurs de l’Université Laval, qui en venait à un constat que les enseignants font depuis des années : la réforme (renouveau pédagogique) serait un échec. Ces enseignants vivent le même désarroi qu’on vit chez nous et se sont posés les mêmes questions pour avoir les mêmes et selon eux d’après un article paru de Tania Longpré: «cette réforme de l’éducation intitulée «Prendre le virage du succès» visait trois objectifs : le succès, la qualité et l’efficacité. Pourtant, depuis son installation, on dirait que la réforme, ce n’est que ça, de l’improvisation. Est-ce que nos élèves ont été mis au centre de nos décisions et de nos priorités ? Non. Est-ce que réponses le succès est davantage au rendez-vous ? Non. A-t-on une meilleure qualité d’enseignement ? Non plus. Est-ce que les nouveaux finissants du secondaire sont plus efficaces ? Non plus. Trois objectifs, trois échecs». Et toujours selon eux, «Depuis des années, voire depuis que celle-ci a été annoncée, des enseignants, les syndicats d’enseignement et plusieurs figures publiques ont dénoncé cette réforme à tout vent. Pourtant, encore ces dernières heures, et après la parution de l’étude, le nouveau ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, en entrevue avec Paul Arcand niait pratiquement les problématiques des écoles du Québec et ne souhaitait pas apporter de changements majeurs. Comme s’il vivait dans une bulle. Il mentionnait qu’il visitait des écoles, je me suis esclaffée dans ma voiture : c’est clair que si le ministre annonce une visite dans une école, tout le monde va se mettre sur son 36, on ne mettra pas l’accent sur les problématiques, mais plutôt sur le protocolaire...
Pourtant, malgré ce que semble croire le docteur Bolduc, notre système d’éducation a besoin d’un remède de cheval, d’une réforme majeure : nous avons besoin d’un retour à l’enseignement systématique et l’abandon de méthodes pédagogiques souvent abracadabrantes qu’on suggère jusque dans les facultés d’éducation. Évidemment, certains s’époumoneraient en disant qu’on «retourne en arrière», mais parfois, il faut avouer l’évidence : la recette d’origine était meilleure que la nouvelle version. Il faut parfois que certains bonzes ministériels avouent leur erreur et cessent de faire en sorte que des cohortes d’élèves soient pratiquement des cobayes.
Pourtant, l’enseignement systématique n’est pas négatif ! Égide Royer a utilisé un excellent exemple cette semaine au micro de Paul Arcand en disant que «Lorsqu’on apprend à quelqu’un à tenir un bâton de hockey, on ne lance pas les bâtons sur la patinoire en disant : allez-y, apprenez à le tenir !» C’est aussi le cas en grammaire : c’est certain qu’on peut écrire «Le veuf sportif rencontra une veuve sportive» et demander à l’élève : que remarques-tu ? Qu’arrive-t-il aux mots qui se terminent en -f lorsqu’ils sont utilisés au féminin ? Mais on peut aussi enseigner la règle sans demander aux apprenants de déduire celles-ci et par la suite demander aux étudiants s’ils voient la règle dans la phrase, et non l’inverse. Enseigner, c’est ça : c’est de transmettre une connaissance. Certains semblent souvent l’oublier».
A la lecture de ce rapport et de cet article paru au Canada, nous assistons chez nous en Algérie, la même problématique avec la même réaction des ministres et des responsables. Et Égide Royer a bien résumé en un exemple la réforme actuelle et l’enseignement qu’on a simplement utilisé pendant des décennies et qui a toujours réussi et facilité la compréhension.
Ce constat d’échec de la réforme a aussi constaté dans tous les pays où celle-ci a été appliqué et tous s’entêtent à continuer à l’appliquer car son intérêt financier pour les multinationales est très important, aucun pays ne pourra faire marche arrière ou avouer son échec sans passer par le FMI et la Banque Mondiale.
Les conséquences de cet échec, la plupart des pays le vive aussi et particulièrement chez nous en Algérie :
- Cette réforme oblige l’état à affecter le deuxième budget de l’Etat à l’école. Et ce sont plusieurs centaines de milliards de dinars algériens qui seront consacrés à l’instruction chaque année pour un constat d’échec et de formation de grand diplômé sans vrai diplôme.
- Fin de l’enseignement technique et dépendance de plus en plus grande de l’étranger dans ce domaine en moyens humains importés aujourd’hui alors qu’auparavant ils étaient produits par les lycées techniques.
- Un niveau de plus en plus bas avec un taux de réussite beaucoup plus élevé chez les filles que chez les garçons, des diplômes sans valeurs et déperdition de plus de 50% d’élèves.
- Montée grave de la violence avec des agressions mortelles et de combat de bande à l’intérieur des établissements scolaires ce qui nous poussent à dire est ce que c’est l’école qui est le reflet de la société ou bien l’inverse car la violence constaté dans les stades est le fruit surtout de mineurs.
- La pratique des cours particuliers, nouvelle mode où près de 95% d’élèves dès le primaire sont concernés. Ces cours particuliers ne sont pas uniquement pratiqués par des enseignants mais aussi, par d’autres tels que médecins ou professeurs universitaires ou simples diplômés car le marché est énorme, cela concerne plus de 8 millions d’élèves. Certains professeurs prennent leur retraite précoce pour pouvoir rejoindre les deux bouts car malgré les augmentations constatées depuis 2003 dans ce secteur leur pouvoir d’achat a diminué de près de 60% et les voilà revenu à la case de départ de 2003. Sans oublier la complicité des parents d’élèves qui encouragent ces pratiques au lieu d’obliger leurs enfants à suivre les cours dispensés dans l’école sans tenir compte du niveau de l’enseignant.
- La corruption a fait son apparition comme partout dans la société, alors que l’éducation est lieu sacré c’est l’endroit où l’enfant doit apprendre les valeurs qu’il pratiquera dans la société. Mais ce phénomène n’est pas propre à l’école il concerne plus de la moitié de la société comme tout le monde le sait, notre école n’a pas été épargnée. Pour les parents, ne sont plus beaucoup préoccupés par l’éducation ni du niveau de leurs enfants car seule la réussite de ces derniers les concernent et quel que soit le prix à payer.
- La précarité du métier d’enseignant ne fait qu’augmenter, là aussi le problème financier et la mondialisation, ainsi que les directives du FMI et de la Banque Mondiale pour diminuer le nombre de fonctionnaires de la Fonction Publique font que l’état a fait recours à la contractualisation à grande échelle même dans l’éducation. Le nombre de contractuel dans l’éducation, ne cesse d’augmenter et les besoins de cette année 2016-2017 de postes budgétaires est de plus de 60 000 alors que seules 28 000 postes ont été ouverts. Seuls 50% d’enseignants parmi les 28 000 ont rejoints leur poste pour diverses raisons que tout le monde connaît (lieu de résidence, pénibilité du métier, emploi du temps, affectation, …). Aujourd’hui, nous avons réellement besoin de 50 000 nouveaux enseignants si on veut vraiment commencer à sauver l’éducation et arrêter la contractualisation du métier d’enseignant.
- Manque d’encadrement et de compétence administratif dans l’éducation. Dans la plupart des établissements, le manque d’adjoints d’éducation est énorme et les élèves sont livrés à eux-mêmes donc il ne faut pas s’étonner de la montée de la violence dans ces établissements. Le manque de compétence dans l’éducation et à tous les niveaux est l’autre mal qui ronge notre secteur et qui malheureusement n’a aucun remède.
- Les programmes scolaires sont très longs, l’élève a trop de matières à étudier, il sort le matin à 8h pour entrer chez lui vers 20h avec les cours particuliers dans toutes les matières. Dans le primaire, l’élève n’a pas assez de temps pour jouer, son programme est chargé et de plus cette enseignement a été amputé d’une année ce qui s’est répercuté sur son niveau, son rendement et sa façon de se tenir en classe dans l’enseignement moyen et secondaire.
- Le problème politico-idéologique, nous empoisonne la vie dans l’éducation car à chaque fois qu’une lueur de changement dans les programmes ou dans les matières enseignées apparaît et au lieu d’en discuter nous sommes emmenés dans un débat qui n’a aucun rapport ni avec l’intérêt de l’élève, ni avec celui de l’éducation. Souvent ce n’est pas les gens du terrain qui posent ces entraves mais des gens qui n’ont aucun rapport avec l’éducation ou bien c’est des gens sans diplômes analphabètes qui ne savent que parler ou critiquer sans donner une solution.
L’éducation algérienne aujourd’hui crie au secours, et a besoin d’une volonté et d’un grand courage pour la sauver alors arrêtons nos divergences politiques ou idéologiques et mettons-nous ensembles à une même table, prenons le temps qu’il faut, parlons la langue qu’on maîtrise le mieux pour faire passer le message nécessaire, ne nous insultons pas, ne faisons plus de fausses accusations, ne parlons plus de clanisme ni de régionalisme, parlons algérien de l’éducation et de l’avenir des générations ainsi ensemble nous trouverons le remède adéquat aux maux de l’école car impossible n’est pas algérien.
Hakem Bachir
Professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi d’Oran
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