Les arrêtés anti-burkini déchirent le gouvernement et la gauche en France

Des policiers en train de verbaliser une femme sur une plage de Nice.
Des policiers en train de verbaliser une femme sur une plage de Nice.

La polémique sur le burkini a continué jeudi d'exacerber les tensions en France et divisé le gouvernement, dont plusieurs membres ont pris leurs distances avec la multiplication des arrêtés d'interdiction soutenus par Manuel Valls.

Sans trancher le débat, François Hollande a indirectement évoqué la question en marge d'une réunion de sociaux-démocrates européens dans les Yvelines, en appelant tous les citoyens à "se conformer aux règles", sans "provocation ni stigmatisation". Le débat enfle depuis fin juillet. Au nom de risques de troubles à l'ordre public, plusieurs dizaines de maires, la plupart de droite, ont pris des arrêtés interdisant cette tenue de bain couvrante, utilisée par des musulmanes pratiquantes.

Le Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative française, se prononcera vendredi à 15H00 (13H00 GMT) sur une demande de suspension en urgence de l'un de ces arrêtés, pris par la mairie de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes).

La prolifération des arrêtés anti-burkini "n'est pas bienvenue", a estimé sur Europe 1 la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem. "Jusqu'où va-t-on pour vérifier qu'une tenue est conforme aux bonnes mœurs ?" "Je pense qu'il y a une dérive qui est dangereuse, une dérive politique, puisque ces arrêtés ont été pris par des responsables politiques", a-t-elle ajouté, tout en déplorant que cela "libère la parole raciste".

Dans un texte publié sur son site internet, la ministre de la Santé Marisol Touraine a lancé pour sa part une mise en garde contre une "polémique de tous les dangers". "Faire comme si, en se baignant voilée ou en restant habillée sur une plage, on menaçait en soi l'ordre public et les valeurs de la République, c'est oublier que ces valeurs doivent précisément permettre à chacun de ne pas renier son identité", dit-elle. "La laïcité (...) ne doit pas devenir le fer de lance d'une stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays."

Le Premier ministre a pour sa part réaffirmé son soutien aux arrêtés anti-burkini : "Ils ont été pris à un moment donné, dans des plages du sud de la France, quelques jours après les attentats de Nice dans un contexte particulier", a dit Manuel Valls sur BFM TV, récusant le terme de "dérive".

Quant à la libération de la parole raciste évoquée par sa ministre de l'Education nationale, il a estimé que c'était "une mauvaise interprétation", car "ces arrêtés ont été pris au nom-même de l'ordre public". Une mise au point critiquée par le député socialiste "frondeur" Yann Galut qui l'a accusé sur Twitter de "diviser les Français, la gauche" et son propre gouvernement. Quant à la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, elle a déploré une "hystérie médiatique et politique qu'il faut arrêter".

Les arrêtés anti-burkini, largement soutenus à droite, nourrissent dans la communauté musulmane la crainte d'une stigmatisation. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) a ainsi été reçu mercredi à sa demande par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, qui lui a assuré que les principes de l'État de droit seraient respectés.

Précampagne présidentielle

Les arrêtés doivent être appliqués "avec discernement", a insisté Manuel Valls sur BFM TV : "On ne peut pas accepter le prosélytisme mais on ne peut pas accepter l'humiliation non plus. Tout ce qui peut apparaître comme une stigmatisation, une volonté de s'en prendre à l'islam est évidemment condamnable."

Diffusées sur internet, des photographies de policiers municipaux verbalisant une femme voilée sur une plage de Nice et semblant l'inviter à ôter sa tunique ont envenimé la polémique. Le procureur de Nice a ouvert une enquête préliminaire après que des menaces ont été proférées sur la toile à leur encontre.

La polémique s'est également invitée dans la pré-campagne pour l'élection présidentielle de 2017 A droite, Nicolas Sarkozy a ainsi salué les arrêtés d'interdiction et dit voir dans le port du burkini une "provocation" et un "recul de la République". Lors de son premier meeting de candidat à l'élection présidentielle de 2017, à Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), l'ex-chef de l'Etat a demandé une loi interdisant le burkini sur tout le territoire national.

A gauche, Cécile Duflot, candidate à la primaire d'Europe Ecologie-Les Verts a au contraire dénoncé un risque "de guerre de tous contre chacun", et le co-fondateur du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, a appelé à ne pas stigmatiser les musulmans. "Nous sommes face à une offensive politique de l'islamisme, nous ne sommes pas dupes", a-t-il dit sur France 2. Mais "ce qui ne va pas aujourd'hui, c'est qu'on a l'impression qu'on montre du doigt sans cesse l'islam."

Cette polémique est regardée avec consternation à l'étranger. "Personne ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent porter, un point c'est tout", a ainsi jugé le maire de Londres, Sadiq Khan, dans le quotidien Evening Standard. "Je ne dis pas que nous sommes parfaits, mais l'une des joies de Londres c'est que nous tolérons non seulement la différence, mais nous l'intégrons et nous la célébrons."

Reuters

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