Zaoui et la malédiction d’El-Maâri
Avec Amin Zaoui se confirme l’éternelle défaite de l’écrivain.
A quel prix ressembler à son propre héros ?
Avec Zaoui s’en va l’ultime illusion du romancier d’être un jour son propre demi-dieu !
Pourtant Amin Zaoui, comme Koceila, le jeune personnage de «Festin de mensonges», son dernier roman, voulait aussi transgresser, à sa manière, les interdits arabes ou plus exactement le «triple tabou arabe» comme les désigne le penseur libanais laïc Sadeq Jalal Al Adm : le sexe, la religion et la politique. (1)
Amin Zaoui, comme Koceila, voulait juste ressusciter le poète maudit, Aboul Alaa El-Maari.
Koceila, dans ce village perdu de l’Algérie des années 60, adorait coucher avec les femmes matures et désacraliser la peur du tyran et de Lucifer.
Il le faisait au nom de la «religion véridique», celle qui « a été travestie », la religion des libres penseurs des siècles d’or de l’islam et pense ainsi pouvoir échapper à l’obsession du péché. Cette «religion véridique», il l’a découverte grâce au poète maudit, Aboul Alaa El-Maari, qui l’aida à transformer la foi en pure raison. Alors, pour Koceila, Dieu cessa d’être le père fouettard pour devenir, sous l’effet du soufisme et de l’enseignement d’El Maari, une icône de l’amour et de la liberté. Le Dieu des amants.
Et Koceila, fils d’une mère remariée à l’oncle en vertu d’une vieille coutume berbère, Koceila libéré du péché, s’abandonna au sexe auprès des femmes plus âgées que lui : Louloua, la tante incestueuse ; Douja, l’employée de l’internat; Mme Loriot, qui l’initie aux charmes de l’érotisme et de la culture occidentale; Zouina, la prostituée juive, qui lui enseigna l’amour…
Et voilà que l’auteur Zaoui, un demi-siècle après son héros Koceila, se mit en tête de réhabiliter à son tour, dans l’Algérie faussement puritaine du 21è siècle, le poète maudit, Aboul Alaa El-Maari, l’ennemi des régimes bigots et des faux dévots !
L’écrivain, après en avoir fait l’inspirateur du personnage de son roman, le fit entrer un matin dans la Bibliothèque nationale d’Alger !
Que faisait d’autre, Zaoui, en invitant Adonis, qu’inviter l’un des poètes légataires d’El-Maari, celui qui en a traduit, de l’arabe vers le français, en 1998, les plus virulents poèmes sous le titre Rêts d'éternité, chez Fayard, l’éditeur de Festin de mensonges ?
Qu’espérait-il d’autre, en invitant Adonis, que ressusciter secrètement El-Maari et redonner vie à la «religion véridique», la religion des libres penseurs des siècles d’or de l’islam ?
Et Adonis, au nom d’El-Maari, plaida alors, haut et fort, au cœur d’Alger pour une « résistance radicale et globale » face aux « systèmes politiques archaïques et honteux qui tyrannisent les sociétés arabes et musulmanes » et « qui ont adopté le langage et l’attitude religieux pour mieux régner. ».
C’en fut trop pour le ministre Ghoulamallah : « Adonis a outragé l’Islam ! »
C’en fut trop pour les « nouveaux oppresseurs » : il faut débarquer Zaoui !
***
Amin Zaoui n’ignorait pourtant rien d’ Aboul Alaa El-Maari.
Il se doutait que pour Ghoulamallah, El-Maari c’était le diable, et c’est ce diable-là, pourtant, qu’il avait introduit dans ce temple officiel du savoir d’une Algérie gagnée par la tentation de l’islamisme.
Zaoui l’écrivain, le directeur de la Bibliothèque nationale, savait qu’avant Sansal et Bachi, Aboul Alaa El-Maari avait été interdit d’exposition au Salon International du Livre d’Alger (SILA) sur ordonnance du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs Algérien, signée par Ghoulamallah ! C’était en novembre 2007. Le jour où ils prohibèrent Les geôles d’Alger !
El-Maari est le diable honni depuis cette féroce litote : « Les habitants de la terre se divisent en deux : ceux qui ont un cerveau mais pas de religion, et ceux qui ont une religion mais pas de cerveau. »
El-Maari devint un diable craint surtout depuis Risalat al-ghufran (2) recueil poétique jugé blasphématoire et dans lequel le poète visite le paradis et y croise des poètes païens qui ont trouvé clémence et pardon auprès de Dieu. Risalat al-ghufran a valu au poète El-Maari l’accusation suprême d’apostasie.
Aboul Alaa El-Maari récidiva dans l’irrévérence avec Al-Fusul wa al-ghayat ("Paragraphes et périodes"), un féroce chapelet d'homélies en prose rimée dans lequel les esprits de l’inquisition virent une parodie du Coran.
Mais alors, pourquoi le fonctionnaire Amin Zaoui qui n’ignorait rien d’ Aboul Alaa El-Maari, tint-il à le consacrer allant jusqu’à inviter Adonis ?
Parce que c’est le rêve secret de l’écrivain Amine Zaoui.
Un peu, je crois, parce qu’il en est un émule discret, qu’il en partage le pessimisme existentiel et cette fulgurante lucidité qui s’en dégage. Mais beaucoup parce qu’il espère trouver le salut, pour les hommes de son pays, dans le retour à la «religion véridique», celle des libres penseurs des siècles d’or de l’islam. L’écrivain Amine Zaoui sollicite Aboul Alaa El-Maari pour rétablir l’Algérien dans ces droits anciens que lui reconnaissait l’Islam avant qu’il ne se transforme en religion ritualisée et en idéologie communautaire écrasant toute expression individuelle.
L’écrivain Zaoui ne pensait pas embarrasser le fonctionnaire Zaoui.
Après tout, comme son personnage Koceila, il ne déclare la guerre ni à Dieu ni à ses apôtres. Il ne veut trancher en rien.
Ni entre le fonctionnaire et l’écrivain.
Ni entre la littérature et la religion.
Ni entre Bouteflika et El-Maari..
Comme son personnage Koceila, partagé entre les contraintes morales de la religion et l’appel pressant des plaisirs interdits, Amine Zaoui était tiraillé entre les servitudes du commis de l’Etat et l’impertinence du créateur.
Pourquoi a-t-il connu El-Maari pour n’en hériter que de la malédiction et de l’insoutenable impertinence du créateur ?
Je l’entends crier : « Pourquoi m’a-t-on limogé ? J’étais bien dans mon poste. Je suis un homme fait pour les livres et rien d’autre » Je l’entends s’indigner et c’est bien Koceila qui hurle dans « Festin de mensonges » : «Pourquoi est-ce que j’aime faire l’amour aux femmes beaucoup plus âgées que moi ?»
Le fonctionnaire Zaoui soutient qu’on « a menti à Bouteflika ».
Il fait de Bouteflika le dieu-arbitre alors que le chef de l’Etat n’est autre que l’architecte des menées inquisitrices. Qui d’autre veille sur ce qu’Adonis appelle « l’institutionnalisation de la religion » ?
Avec Amin Zaoui se confirme l’éternelle défaite de l’écrivain.
A quel prix ressembler à son propre héros ?
Avec Zaoui s’en va l’ultime illusion du romancier d’être un jour son propre demi-dieu !
Amin Zaoui n’est pas Koceila.
Dans le roman, Koceila avait choisi l’univers de la sexualité en divorçant d’avec l’insupportable dévotion religieuse d’une Algérie fraîchement indépendante.
L’auteur Zaoui n’a encore divorcé avec rien.
Il glorifie les libres penseurs des siècles d’or de l’islam sans vraiment s’attacher à en être un.
Le jour où il tranchera entre ses idées et le pouvoir qui les opprime, le jour où il choisira entre Bouteflika et El-Maari, Amin Zaoui entrera dans la « religion véridique. »
Celle d’Adonis.
M.B.
(1) Sadeq Jalal Al Adm, Auteur de Critique de la pensée religieuse (en arabe) ; Dar Attalia. Il s’est longtemps attelé à démystifier l’état d’esprit religieux dominant dans les sociétés arabes, afin d’en démontrer l’incompatibilité avec l’esprit rationnel et scientifique.
(2) Traduction anglaise de G. Brackenbury, Risalat ul Ghufran, a Divine Comedy, 1943),
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Commentaires (19) | Réagir ?
Amine Zaoui doit se rendre à l'évidence. Il a dérogé et dérangé les néotenants de l'intégrisme religieux en ouvrant les portes grandes ouvertes à Adonis. Khalida Toumi comme Boukerzeza a servi de prétexte. Ghoullam Allah, le Grand maitre de la Zaouia a frappé. Fakhamatou executa Zaoui pour laver les attaques d'Adonis contre les dictateurs arabes. A Zaoui de se déterminer: servir les maitres du moment ou servir la postérité. Les deux à la fois sous d'autres cieux, peut-etre... mais pas dans les régimes islamobaathistes. Ils se ressemblent tous.
l'erreur d'Amin Zaoui c'est peut-etre son reve d'une Algerie plurielle. dans son experience à la bibliothèque il a reussi a inviter autour de la meme table les intellectuelles Algeriens arabophones francophones berberophones sans angeliser les uns ni diaboliser les autres. c'est vrai que ses efforts et son travail réguliers et harmonieux ont presque excausé son reve, mais Amin zaoui a oublié peut-etre que son reve qui est celui des intellectuels Algeriens Democrates Derange DERANGE énormement