La France rattrapée par son histoire…

François Hollande sur le terrorisme : "Cette guerre, nous la gagnerons" !  Crédit photo : Ouest France.
François Hollande sur le terrorisme : "Cette guerre, nous la gagnerons" ! Crédit photo : Ouest France.

Redonnez-leur ce qui n’est plus présent en eux, Ils reverront le grain de la moisson s’enfermer dans l’épi Et s’agiter dans l’herbe. René Char.

On devrait écouter plus souvent les poètes pour lire le monde et le rendre moins aveugle pour résoudre ses problèmes… Hélas avec la succession des attentats, on entend moins cette France de René Char, grand résistant et sublime poète. L’hexagone est plus saturé du vacarme de cette France qui se croit éternelle et ne veut en aucun remettre en cause son histoire. Heureusement la France de René Char non officielle existe encore et rappelle les épisodes sombres de son passé, Pétain et la collaboration, la guerre d’Algérie etc… Aujourd’hui alors qu’elle fait face à une "guerre" d’un nouveau genre, on assiste au clivage. Mais celle qu’on entend battant tambour, c’est celle qui pour résoudre un problème, réclame plus de lois répressives et même scélérates (déchéance de la nationalité) etc…

Dans ces conditions comment gagner une bataille idéologique contre l’intégrisme qui recrute des enfants nés sur son sol ? Certainement pas en diffusant dans presque tous les médias des lieux communs et des mensonges sur les causes des problèmes du Moyen-Orient, étalant leur ignorance de l’islam ou stigmatisant les banlieues dont les populations ne pèsent pas lourd dans les préoccupations des politiques.

Comment alors gagner comme le dit le marketing politique "la bataille des cœurs" ? Certainement pas en laissant l’opinion publique patauger dans l’ignorance des enjeux mondiaux, l’abandonner aux délices des préjugés et caresser son égo national et sa fierté de ne pas appartenir au monde "barbare". Si l’on continue de se satisfaire des balivernes de ce paysage politico-idéologique, on risque de s’éreinter sans produire de résultats tant que l’on persiste à justifier la dévastation de la Libye ou de la Syrie au nom du droit d’ingérence pour sauver des peuples en danger. Les mensonges des bouffons, genre BHL, ne font plus rire et ces individus deviennent pour beaucoup un danger pour la paix dans le monde.

Pour comprendre les raisons de ce paysage miné par tant de contradictions, on doit se tourner vers l’histoire et se mettre à son école. Et que dit entre autres l’Histoire ?

Qu’il est difficile de se défaire des habitudes prises durant les entreprises coloniales quand l’Occident allait à la conquête de continents. Pour un pays comme la France encore nourrie des aventures de cette "belle époque" et confortée par sa puissance économique et militaire, l’idéologie dominante justifie ses aventures au nom d’un ersatz (imitation) de la mission civilisatrice d’antan. Aujourd’hui, on se contente des droits de l’homme. Mais là aussi, l’Occident pointe sans rougir sa politique de deux poids deux mesures. Il choisit les pays où il va "défendre" ces droits qui se révèlent n’être qu’une entreprise de conquête de matières premières et de parts de marché.

L’Irak ou la Syrie par exemple ne sont pas sur la même liste que des pays voisins gorgés de pétrole, pays où les droits les plus élémentaires sont bafoués à l’encontre des femmes et des émigrés dont la vie ne vaut pas un rial (monnaie de l'Arabie). A côté du vernis des droit de l’homme pour soulager les bonnes consciences, s’y ajoute la défense des "intérêts vitaux" du pays, facteur ô combien sensible dans des sociétés habituées à un certain confort.

Conquêtes coloniales puis jouissances des bienfaits de la démocratie liées à un mode de vie confortable, "notre" Occident ne ressentait pas jusque-là le besoin de mener frontalement une lutte idéologique (le spectre du communisme ne le tourmente plus). Les idées dominantes suffisaient à faire taire les benêts et à ridiculiser les révoltés, des "demeurés" en quelque sorte ou des adolescents attardés.

Mais aujourd’hui que la guerre n’est plus dans les lointaines contrées exotiques et "barbares" mais que la menace habite à l’intérieur du territoire, là ça ne rigole plus. Aussi pour contrer ce danger ("nous sommes en guerre" a dit le président de la république française), le pays sort alors la grosse artillerie des valeurs démocratiques et du mode de vie. Cet argument a un certain poids car on s’accorde grosso modo à reconnaître sa véracité. Argument qui a un certain poids d’autant qu’en face les intégristes "s’impatientent" de se faire hara kiri au milieu de mécréants pour gagner le paradis où les attendent 72 houris. Mais les enjeux sont trop sérieux pour réduire la lutte idéologique à ce genre images. Car la lutte idéologique comme son nom l’indique se déroule dans le champ des idées, de la vision philosophique du monde. Aussi il ne faut pas se contenter à défendre sa vision du monde mais porter la guerre sur le terrain de l’ennemi. Commencer par ne pas le sous-estimer car ce dernier s’alimente à sa conception religieuse du monde, certes étriquée et médiocre mais néanmoins productrices d’un imaginaire. Et comme dit Karl Marx une idée qui pénètre la conscience devient une force matérielle.

Dans la lutte idéologique, il ne suffit pas d’être convaincu de la supériorité de ses propres valeurs. La guerre idéologique a ses exigences. Les "soldats" de cette guerre atypique doivent manœuvrer habillement et éviter la facilité du mépris de l’adversaire. Comme tout général d’une armée classique, il faut se renseigner sur l’ennemi et ne pas sous-estimer ses capacités.

Or les "généraux" de cette guerre que l’on voit parader dans les médias ne semble pas maîtriser toutes les composantes idéologiques, philosophiques et historiques qui s’enchevêtrent dans ce champ particulier. Dans la lutte idéologique menée sans relâche ces temps-ci, deux mots tiennent le haut du pavé : déradicaliser et djihad.

A-t-on bien saisi le sens étymologique et politique du mot radicaliser ? Bien sûr que non car dans le monde des bizounours (naïfs) dans lequel vivent ces "stratèges", la notion de radicalisme ne ferait pas partie du réel d’une société. Pour eux c’est presque une obscénité, la radicalité est une sorte de maladie honteuse que l’on attrape par contamination ou bêtise. Et pour guérir cette maladie, qui peut faire l’affaire en dehors de ces médecins des temps modernes sinon les psychologues et autres sociologues. Sauf que les concepts, radical et radicalisation ne relèvent pas d’une maladie mais du politico-philosophique. Les radicaux anarchistes du siècle passé et ceux des "gauchistes" de la bande à Baader ou d’Action Directe étaient tout sauf des êtres malades ou des idiots…

Quant à la notion de djihad (*) abondamment utilisée dans un sens péjoratif par nos "spécialistes", alors que cette appellation est pour les intégristes de toutes obédiences, un titre de gloire et une sorte de reconnaissance de la validité et légitimité de leur combat par leurs ennemis. Commencer la lutte idéologique ainsi en ne maitrisant pas les mots et les notions dans une lutte qui se mène précisément avec les outils du langage, des images, des symboles, c’est se priver des bonnes armes et des bonnes munitions pour emporter la bataille décisive. Celle-ci peut ne pas être emportée si les guerriers de cette bataille restent prisonniers des fameuses idées dominantes.

Aujourd’hui vendre la "déradicalisation" par le biais des médias qui ont perdu leur crédibilité depuis les mensonges des "armes de destruction massive" de l’Irak, n'est pas le plus court chemin vers la vérité. Faire passer pour des combattants de la liberté des "islamistes modérés", enfants chéris de royaumes féodaux et wahabistes, c’est mépriser l’opinion publique sous prétexte qu'elle ne comprend pas les grands enjeux de la géopolitique. Sauf que cette opinion publique n’est plus dépendante de la presse "Mainstreet"(**) mais va s’alimenter dans les réseaux sociaux pour se renseigner auprès de vrais spécialistes qui ne sont pas en odeur de sainteté pour la dite presse...

"Cette guerre, nous la gagnerons" a dit le président Hollande. Un autre président, George Bush a fanfaronné sur un porte-avions en se vantant que la guerre est finie en Irak. On connaît le bilan de cette fanfaronnade. Le président Hollande aurait dû ajouter nous la gagnerons en s’alliant avec les peuples de la région. Sauf qu’il a choisi les monarchies génitrices d’idéologies mortifères avec lesquelles la France entretient un commerce juteux où l’on s’échange pétrole contre avions-Rafales… La victoire n’est donc pour demain. C’est le contraire qui risque de se passer et le déficit de cette aventure ferait perdre des positions politiques à la France dans la région. Cette politique semble enterrée celle de de Gaulle sur le Vietnam, critiquant sévèrement l’agression américaine dans le sud-est asiatique qui valut à la France des gains politique dans le tiers-monde.

Le président français devrait s’entourer de savants de l’histoire et de la culture de cet Orient compliqué selon le général de Gaulle qui a lu un jeune et brillant général comme lui, Napoléon qui déclama en Egypte devant sa grande armée, "du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent". Et ce n’est pas la petite guéguerre entre professeurs "islamisant" (Olivier Roy et Gilles Kepel) relative aux notions de la "radicalisation de l’islam" contre "l’islamisation de la radicalité" qui va éclairer la lanterne du président la république française….

Comme la guerre se mène sur le territoire de la république, il serait plus utile d’ignorer ces guéguerres de "spécialistes" et de se pencher sur l’héritage des guerres coloniales et notamment l’Algérie qui produit encore aujourd'hui de sinistres effets. Parmi cet héritage, il y a les enfants nés français dont les parents viennent de cette Afrique que la France connaît si bien. Les abandonner à la solitude de la misère et au cancer du racisme ordinaire, c’est les pousser dans une impasse alors qu’au fond d’eux même ils attendent revoir la moisson s’enfermer dans l’épie (René Char), et non patauger dans les marécages de l’opium qui les maintient derrière les murailles de leurs ghettos. Immense chantier mais perspectives exaltantes qui éviteront à tout le monde de respirer les relents nauséabonds des monstres qui surgissent quand le vieux monde se meurt, que le nouveau monde tarde à apparaître. (Gramsci).

Ali Akika, cinéaste

Renvois

(*) A titre d’exemple, la notion de djihad dans la presse algérienne n’a jamais été associée aux intégristes algériens.

(**) Presse "mainstreet", grande presse qui domine les circuits de l’information.

Plus d'articles de : Débats

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
klouzazna klouzazna

Dans le but gonfler un bilan peu réjuissant en prévision de la prochaine débacle électorale monumentale, l'opération de récupération des bobo-socialistes de ces événements dramatiques est indécente et même abjectes !!! comme ils l'avaient déjà fait avec l'hommage ridicule rendu à Roccard en insistant surtout sur son usage abusif du 49-3... un miniscule détail dans la longue carrière du bonhomme. c'est simplement indécent !!!

avatar
klouzazna klouzazna

il est tout aussi judcieux d'intituler cette contribution "FAFA rattrapée par son hypocrésie"... ses politiques ambigues face à son immigration (en particulier l'africaine), face à certains régimes du golf et du moyen orient... face à ses voisins européens qui s'en méfient comme de la peste...

visualisation: 2 / 4