Lahoucine Bouyaakoubi : "Travaillons pour un contact permanent entre les différents groupes Amazighs"
Dans cet entretien, le professeur Lahoucine Bouyaakoubi sur les activités scientifiques et festives qui viennent d’avoir lieu, courant juillet, au cœur du pays amazigh dans le sud marocain à Agadir.
Le Matindz : Pouvez-vous nous résumer de façon courte vos activités de cet été et nous rappeler vos objectifs ?
Lahoucine Bouyaakoubi : Courant juillet, nous avons organisé deux grandes activités : la première est celle organisée par l’Université d’été d’Agadir (la 12e édition) du 13 au 16 Juillet 2016 à Agadir sur "l’amazighe en milieu urbain" et la seconde est organisée par l’association Tairi n wakal à Tiznit les 22 et 23 juillet sur "les Amazighes et la politique". L’objectif de la première rencontre est d’ouvrir un débat scientifique sur la situation et l’avenir de l’amazighe (langue et culture) dans le milieu urbain et d’orienter les chercheurs vers cet aspect de la réalité de notre culture pour ne plus se contenter du seul monde rural quand il s’agit de l’amazighité. Nous avons réuni des enseignants-chercheurs du Maroc bien sur mais aussi d’Algérie, du Niger, de France, des Pays-Bas, etc. Pour la seconde activité, l’objectif est de réunir les responsables politiques marocains de toutes tendances, ainsi que des acteurs politiques amazighs pour débattre et discuter de la situation de l’amazighe aujourd’hui en Afrique du Nord en général et au Maroc en particulier. Il fallait notamment faire une évaluation et entrevoir des perspectives suite à la reconnaissance de tamazight comme langue officielle au Maroc depuis 2011. Il est également important pour nous de pointer du doigt les obstacles qui empêchent la promulgation des lois organiques relatives à la mise en application de cette officialisation, des lois attendues depuis cinq ans !
Le Matindz : Justement, l’année 2001 a vu la création de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) et 2011, celle de l’officialisation de la langue amazighe dans la dernière constitution marocaine. Est-ce une avancée pour votre cause ou est-ce de la régulation sociale juste pour calmer les contestations ?
L.B. : Je ne peux que reconnaître que la reconnaissance constitutionnelle de tamazight comme langue officielle est une avancée, car c’était une revendication affichée dans tous les textes fondateurs du mouvement amazigh, de la Charte d’Agadir de 1991 au Manifeste amazighe de 2000, en passant par tous les communiqués et déclarations des associations amazighes. De ce point de vu, il s’agit d’un acquis réalisé après de longues années de lutte et de souffrance. En même temps, le fait que cette reconnaissance soit arrivée dans un contexte général marqué par la pression du "printemps démocratique" dans la rive sud de la Méditerranée avec sa version marocaine de 2011 le mouvement du 20 Février sans oublier le retard de cinq ans enregistré au sujet des lois organiques relatives à l’amazighité, laissent penser que cette reconnaissance n’était qu’une stratégie pour absorber la colère des militants et de la société.
Le Matindz : La loi organique pour l’officialisation de l’amazighe tarde donc à venir. A quoi vous vous attendez ? Du concret ou de la poudre aux yeux ?
L.B. : Il me semble que le fait de reconnaitre tamazight comme langue officielle dans la constitution est un engagement de l’Etat d’abord vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis de l’opinion publique nationale et internationale. Démocratiquement parlant, une constitution adoptée doit être respectée. La loi organique relative à la mise en application du statut officiel de tamazight ne doit pas aller à l’encontre du texte constitutionnel lui-même. Ainsi, toute loi organique qui légitimerait une discrimination contre l’amazighe ou qui marquerait une volonté de lui imposer un statut inférieure à la langue arabe qui était, elle, déjà officielle, ne peut être qu’une loi anticonstitutionnelle. Un tel choix ne peut qu’accroitre la déception des militants et semer les germes d’une autre colère dont on ne pourra pas mesurer les conséquences.
Le Matindz : Une néologie pan-berbère est-elle possible ? Est-elle en marche pour travailler à l’intercompréhension entre les différents groupes Imazighen ?
L.B. : Au début des années 1990, un certain nombre de mots de l’amawal réalisé par Mouloud Mammeri utilisés en kabylie sont aussi adoptés sans résistance par les militants amazighs marocains. C’est le cas de tutlayt (langue), azul (salut), tanemmirt (merci), taghiwant (Mairie)…. Mais après la création de l’IRCAM (Institut Royal de la Culture Amazighe) au Maroc et du HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité) en Algérie, sans oublier le travail important de l’INALCO (Institut National des Langues et Cultures Orientales) à Paris, il me semble qu’il faut trouver une stratégie de coordination entre ces institutions officielles pour se mettre d’accord sur les néologismes et penser aux moyens de leur circulation. De plus en plus ce sont les choix nationaux qui s’imposent à la place des choix pan-amazighs. J’ai constaté que dernièrement, le mot "taghiwant (issu du mot touareg aghiwen /campement" qui a été employé pendant les années 1990 en Kabylie et au Maroc aussi pour désigner la mairie ou la municipalité est remplacé aujourd’hui au Maroc par "Tagrawt" et "taghiwant" pour désigner "la faculté".
L’intercompréhension entre tous les Amazighs nécessite des conditions où se conjuguent le politique, le culturel et l’économique. Elle nécessite également le contact progressif et permanent entre les différents groupes amazighophones via les séjours linguistiques, l’échange des produits culturels, l’utilisation des télévisions et tous les moyens de communication notamment les réseaux sociaux. Nous pouvons et nous devons y arriver.
Le Matindz : Les Imazighen ont été jusque-là écartés par les pouvoirs. Que faut-il pour avoir leur place dans les institutions sans devoir se renier ?
L.B. : Il faut d’abord préciser que les Amazighs ont toujours été présents dans les différentes institutions étatiques (armées, parlements, grands établissements…), mais leur langue n’était pas reconnue et eux-mêmes ne la revendiquaient guère. Leur ascension sociale était en quelque sorte liée au reniement de leur identité amazighe, victime de certaines représentations qui en ont fait "une identité négative" et même "une identité à combattre". Aujourd’hui le contexte change. Les mouvements amazighs gagnent du terrain, de la sympathie et, profitant du contexte mondial, influent relativement dans les décisions de leurs Etats respectifs. Certes, la situation des Amazighs n’est pas la même partout. Elle diffère selon les pays de l’Afrique du nord et du Sahel. C’est pour cela que les revendications, même si elles partagent l’amazighité, n’ont pas toutes la même teneur. La reconnaissance de tamazight dans les constitutions (Maroc, Algérie, Niger,) aidera les Amazighes à ne plus renier leur identité au sein des institutions étatiques. Ça commence déjà, restons vigilants.
Le Matindz : Quelle image avez-vous de la Kabylie et de ses luttes dans le Souss et au Maroc en général ?
L.B. : Il faut signaler que pendant nos travaux avait lieu parallèlement le festival Timitar. Idir, le chanteur kabyle bien connu ici au Maroc, s’y est produit et a eu un succès retentissant. Le festival n’est pas de notre ressort mais nous avons eu une action commune qui a généré une synergie d’ensemble avec les activités estivales de la région. De nombreux Kabyles étaient de la fête.
Pour le mouvement amazigh, la Kabylie est l’avant-garde de la lutte pour l’amazighité. Les événements de 1980 ou de 2001 ont un impact sur l’évolution de la revendication amazighe au Maroc. Depuis les années 1990, les figures emblématiques de la revendication amazighe en Kabylie (Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Kamel Amzal, Matoub Lounès ou Massinissa Guermah,…) sont aussi adoptées par les militants amazighs du Maroc. Dans le sud-est marocain surtout, la Kabylie est prise comme modèle de lutte (la radio et la musique kabyles sont écoutées, les livres et revues circulent entre les militants,…). Il est clair que les fruits des sacrifices Kabyles sont récoltés loin de la Kabylie, notamment au Maroc. Une étude comparative des deux pays au sujet de la question amazighe peut nous éclairer sur ce constat. Comme vous voyez, beaucoup de travail reste à faire, nous devons donc nous y atteler et unir nos efforts.
Entretien réalisé par Hacène Hirèche pour Le Matin
Eléments biographiques
Lahoucine Bouyaakoubi est né à Tarrast à Inezgane (10 km d’Agadir) où il a fait ses études primaires, secondaires et du lycée. Après le bac, il obtient sa licence à l’Université Ibn Zohr d’Agadir avant de rejoindre la France pour des études supérieures (université de Paris 8, INALCO et EHESS). Après l’obtention d’un doctorat en anthropologie en 2012, il retourne au Maroc pour enseigner l’anthropologie à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines d’Agadir. Il est l’auteur d’un roman en amazighe "Igdad n Wihran" (les oiseaux d’Oran, 2009) et d’une biographie de Mohamed Chafik, figure emblématique de la revendication amazighe au Maroc (2010). Il a également coordonné un livre collectif sur "les Amazighes en/de France : l’apport des Marocains dans une identité franco-berbère en construction" (2012). Actuellement, il est vice-président de l’association "Université d’été d’Agadir" et coordonnateur scientifique des activités de l’association Tairi n wakal.
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merci bien pour le site
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