De la cooptation des "seigneurs" à la légitimité populaire….
Sur cette terre qui a vu s'écouler le fleuve de l'histoire du pays, sur cette terre qui a vu tant et tant d'intrus rivalisant pour la conquérir, sur cette terre à qui on a donné tant de noms… sur cette terre donc, sont nés des hommes et des femmes qui ont toutes les raisons de cultiver l'insoumission. Ils vivent dans les montagnes et les plaines, dans le désert et la mer,… où qu’ils soient, ils résistent à l’injustice et leurs cris brisent le silence pour rappeler aux locataires indésirables qu’ils ne sont pas les bienvenus…
Hier comme aujourd'hui, les envahisseurs et autres prétendants aux Koursi, s’évertuent à masquer leurs forfaitures au prix de truquages de l'histoire. Hier comme aujourd’hui, ils utilisent la force brutale en s’aidant de mots mielleux pour vanter, chanter leurs propres illusions. En face d’eux, des hommes et des femmes victimes des ruses d’une certaine histoire avaient cerné le pourquoi de leurs comportements. Ils ‘’cultivaient’’ la patience de peur d'abandonner dans leur précipitation certaines armes de leur riposte. Ils se sont ainsi mis à l’école de l’intelligence pour démêler les fils savamment tissés par ceux qui veulent faire passer la colonisation pour de la civilisation, c’était hier. Quant aux acteurs d’aujourd’hui, ils veulent faire croire que la cooptation, parmi les soient disant ‘’élites’’, a les mêmes vertus que la légitimité populaire.
Hier comme aujourd’hui, ces mauvais élèves de l’école de l’histoire, oublient qu’ils ont eu des ‘’ancêtres’’ qui se sont fracassés contre la muraille de Chine de l'Histoire. Oui mauvais élèves, car l’Histoire n'est pas née de la dernière pluie mais plonge plutôt ses racines dans la nuit du temps. Durant tout ce temps, la vieille dame qui porte le nom d’Histoire a été l’objet de séduction. Mais cette princesse de la vérité ne se laisse pas conter des balivernes par le premier séducteur venu.
Elle sait tout de suite repérer le comédien qui voile de ses ténèbres les événements qui le dérangent. En dépit de son âge, de sa très longue expérience, des individus, utilisant des mots qui vomissent le mensonge, continuent à vouloir ruser avec cette princesse des lumières de la vérité.
Il en a fallu du temps, du sang et des larmes pour que Dame Histoire oppose le sceau de sa légitimité aux gouvernants d’un pays. Il est des peuples, en dépit des sacrifices consentis, qui attendent encore pour jouir de la générosité de la dite Dame. Pour l’heure, ils subissent la règle de la cooptation politique, cet enfant naturel né de la technique peu douce de la césarienne.
Il est des idéologues qui expliquent doctement que la cooptation est un passage obligé. Ils oublient, par ignorance ou machiavélisme, que les facteurs subjectifs, en l’occurrence l’intelligence des hommes aide à construire d’autres chemins moins escarpés et plus verdoyants.
S’ils avaient du respect pour Dame histoire, ces idéologues devraient l’écouter. Ils apprendront alors que la maîtrise des rapports entre facteurs objectifs et subjectifs, leur éviterait bien de problèmes. Car cette négligence/ignorance plonge leurs victimes dans le silence du néant, dans un désert qui assèche l’esprit de l’homme. Cet esprit orphelin de l’ivresse de la vie se voit livrer alors aux seuls tourments de l’angoisse existentielle.
Sous ce paysage labouré par la dureté de la vie et l’ignorance de seigneurs autoproclamés, sommeillent des phénomènes qui un jour ou l’autre disent Barakat, Basta, ras-le-bol de cette technique de la cooptation comme gouvernance politique. Dans la vie sociale, hier comme aujourd’hui, ici et là, la cooptation est un mode de recrutement, pas franche du collier sans pour autant être illégale. Mais en politique, ce mode de désignation qui tourne le dos à la souveraineté populaire, ouvre la voie à de dangereuses aventures. Car la politique est un jeu complexe de rapport de force dont les règles ont été codifiées lors des conquêtes des libertés. La grande politique ne joue pas dans des arrière-boutiques mais sur la grande scène de l’Histoire, théâtre des tragédies qui ont fait écrire à Shakespeare dans Hamlet "il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark".
La cooptation en politique avec ses règles ‘’particulières’’, n’est pas la mieux placée pour faire émerger une gouvernance apte à tenir le gouvernail du bateau nommé Etat. Et quand ce bateau tangue dans une mer démontée, le risque est grand de ne jamais voir le navire arriver à son port d’attache. La politique de cooptation croit pouvoir se contenter de gérer le présent. C’est mal connaître les forces qui s’agitent dans les entrailles d’une société. Car celle-ci renferme en elle le passé et exige que l’on anticipe le futur. Ignorer ces règles élémentaires des impératifs du politique, c’est abandonner la société aux pesanteurs du passé et faire faire du surplace au présent en l’amputant des utopies du futur qui finissent par devenir les réalités de demain.
Se poser ces questions évite de faire tenir le chapeau à la seule et trop facile malédiction, injuste et imprévisible. Les malheurs dans une société ont toujours avoir avec la nature du pouvoir en place qui se montre incapable de faire face ni aux outrages de l’histoire ni aux difficultés du présent. Le cas de notre pays aurait dû retenir l’attention de tous. Car la colonisation fut longue et la guerre de libération atroce. C’est du reste cette double caractéristique de notre histoire contemporaine qui a fait le lit de la cooptation en politique. Cette machine a été fabriquée évidemment sans l’avis des citoyens mais aussi sans celle de quelques acteurs de la révolution. Leur opposition a signé l’acte de leur mise à l’écart. L’on sait aujourd’hui que ces perdants n’ont pas été battus par la force de la loi mais par celle de la loi de la force des gagnants. Ces derniers ont ‘’légitimé’’ leur victoire par la rhétorique de l’histoire officielle. Heureusement les faits historiques sont têtus. Ils finissent par avoir les secours du temps qui s’est écoulé. Ce temps offre alors à l’histoire des vérités pour dire sa sentence. Et celle-ci a été alimentée parfois par des acteurs politiques retrouvant leur liberté de parole une fois éjectés du sérail. Le cours sinueux et parfois tragique de la guerre de libération a favorisé le silence. Les rivalités politiques et les contradictions idéologiques ont été quelque peu mises sous le boisseau au nom de l’unité face à l’ennemi. Mais une fois l’indépendance se profilait à l’horizon, les rivalités et contradictions éclatèrent devant l’opinion nationale et internationale.
Le congrès de Tripoli est à cet égard symbolique. Il fut un champ de bataille où l’on s’est étripé sans qu’une direction incontestée et incontestable ne soit élue à l’issue de ce congrès. On quitta Tripoli pressés de regagner Alger, car la bataille décisive pour la conquête du pouvoir ne peut se dérouler que sur le sol national.
Une fois installé à Alger les gagnants, sûrs de leur force se permirent d’arrêter Boudiaf qui connaîtra l’humiliation de la prison. Hocine Aït Ahmed qui exprima son opposition à la politique des gagnants, délaissa son fauteuil de député pour lui préféra la tenue de maquisard. Enfin Ferhat Abbas, le premier président du GPRA refusant les conditions de la rédaction et du vote de la première constitution du pays se voit cloitrer en résidence surveillée.
La cohabitation entre les gagnants se lézardait au fil du temps pour être enterrée un certain 19 juin 1965. Le pouvoir échoit alors à un militaire, colonel de son état qui avait commencé sa longue marche vers le pouvoir à la base de l’Etat-major de l’ALN à Ghardhimaou. En bon militaire, il avait dû élaborer minutieusement sa stratégie et ses implications tactiques sur le long terme et ce, en bon lecteur sans doute des écrits du Prussien Karl Von Clausewitz pour qui ''la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens''.
Au regard de ce survol historique certes rapide, on voit que la cooptation est un de ces cailloux charriés par les torrents furieux de l’histoire. Dans notre pays, la fureur du torrent a été ‘’excitée’’ par la blessure coloniale qui a figé les structures sociales du pays. Si l’on ajoute les déchirures du mouvement national, les sourdes rivalités politiques des groupes et l'ego des individus assoiffés de pouvoir, nous nous trouvons devant une pièce de théâtre shakespearienne où tous les coups sont permis.
Que peut l’histoire devant ces notions (malédiction, passage obligé etc) devenant de lieux communs qui empêchent de réfléchir avec la tête pour préférer la soumission aux frissons de la peur …? L’histoire peut beaucoup si on se donne la peine de l’écouter, de la lire et de comprendre sa complexité.
Aujourd’hui, les mutations dans le monde d’aujourd’hui et leurs conséquences ont cloué le bec à ceux qui prédisait la fin de l’histoire. Toutes les rengaines des discours dominants qui squattent le champ idéologique en nous vantant les "nécessaires" et rugueuses cooptations politiques, héritage du tribalisme et du clanisme… Ailleurs la chanson de la société libérale avancée à la Giscard d’Estaing ou bien le social libéralisme à la sauce de Cohn-Bendit parait plus ‘’moderne’’. Toutes ces contorsions idéologiques ne font plus recette car l’Histoire continue sa marche en avant sans demander l’avis des naïfs ou des cyniques.
Ali Akika
Cinéaste
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