M’hand : une comète kabyle de la chanson tout en frissons !
"La chanson kabyle a encore de beaux jours devant elle : il suffit d'entendre Ulim ou Ay akal du magnifique et discret chanteur M’hand pour s'en convaincre. M’hand n'a produit qu'un seul album, il y a déjà plus de dix ans; c'est une œuvre impérissable. Mais qui connaît Mhand ? "
Telle fut la conclusion d’un article de Youcef Zirem(*) ! Un article publicitaire relatif à un concert du chanteur Allaoua qui devait avoir lieu le 24 Avril 2016 à Montréal. Concert qui n’a malheureusement pas eu lieu, faut-il le rappeler, alors que ses fans furent nombreux à se déplacer par monts et par vaux de divers coins des USA.
Que serions-nous, que deviendrions-nous donc si, en plus des drames qui nous chassent et nous pourchassent jusqu’aux refuges les plus sereins de la planète, la musique Kabyle ne se portait pas bien pour servir de ramifications vivifiantes à celles du terroir lointain?
Nourrissant une passion viscérale pour toutes les musiques du monde, celles de nos terroirs en primaires, il ne fallait pas moins que telle invite pour quérir et découvrir ce M’hand que je ne connaissais pas ! Mais que dire, après 2 mois d’écoute, quasiment quotidienne, qui puisse être à la hauteur des émotions et des frissons intenses que procure chaque titre de cet album best-of dont parle Youcef Zirem?
S’il y a des émotions faciles à reproduire et vous donnent de l’entrain pour ce faire ; s’Il y a celles qui laissent se mouvoir en vous moult coulées d’inspirations que des mots ajustés traduisent naturellement, en toute facilité ; à l’inverse, certains flots se transforment en frissons tellement intenses qu’ils vous tétanisent et inhibent en vous toute inspiration, tant la puissance des mots et des notes qui lui sont collées sont impossibles à surpasser, ou tout simplement décrire avec la précision qui leur est dû en usant d’expressions à la hauteur de celles que l’original véhicule!
Ce n'est plus de la simple musique kabyle, autour du ch’tih - r’dih habituel, qui émerge de cet océan de tourments et de mélancolie que hurlent les tripes et la voix de M’hand, mais des complaintes universelles que seule la Langue Kabyle sait en rugir les contours! M’hand est une météorite de musique et d’émotions qui propulse les rimes et les émois jusqu’aux profondeurs de la nature humaine, celle de l’humainement possible que puisse débiter la langue Kabyle ! Ecouter et décoder ces émotions ne peut qu’amplifier la fierté d’avoir été enfanté à l’intérieur de ces contours d’une Kabylie authentique qu’il est du devoir de chaque être humain (Kabyle ou pas) qui recèle encore en lui un tant soit peu d’humanisme universel, de préserver sans pour autant chercher à piétiner les fiertés des autres peuples du Monde ! Et après tout, n’est-ce pas cela la définition même de l’universalisme, savoir faire frissonner les siens et les mettre en résonance avec le monde qui l’entoure, en lui rendant hommage et le magnifiant à sa façon, à partir de son petit coin de terroir ?
Et à propos d’hommage, depuis ce jour funeste où le poète rebelle Matoub Lounes fut abattu sur les sentiers qui mènent à son domicile, que d’hommages, que de questionnements, que de tentatives de récupérations de son combat, ont suivi son assassinat? Mais quelque soient la sincérité des nombreuses dépositions portées à l’artiste assassiné, et si nobles fussent-elles, nulle autre ne peut se prétendre aussi profonde, aussi passionnée, aussi sincère que celle que lui exprime M’Hand !
Wali kan, wali kan !…..Regardes donc, intime-t-il au temps avec irritation ! Comment ne pas s’irriter face à ce sale temps qui ne comprend pas que nous inonder de neige blanche ou de soleil radieux est désormais inutile, maintenant que Matoub est sous terre ! Ay yakhal hadher adh’yekfou, ay yakhal hadher adh’yerkou, amer mazal dheks assefrou !
Oh terre ne le laisse pas s’abimer !
Oh terre ne le laisse pas putréfier !
Dans son corps un dernier couplet,
Peut-être à sauver et récupérer !
Au-delà d’une poésie rigoureuse et imparable, chaque note musicale est une complainte qui pénètre le cœur de toute âme torturée par le temps et inonde parfois le ciel d’espoirs avant d’y faire descendre une pluie de déceptions servies au menu quotidien de tout humain conscient de ce maudit temps, lequel survole les années qui se décomptent et se meurent à vive allure, en insaisissable assassin !
M’hand résume, avec des métaphores Kabyles puissantes, tout ce que vivre et souffrir veut dire, au sens poétique, au sens émotif, au sens lyrique. Des métaphores servies avec une vocalité plaintive et émotionnellement bouleversante dont l’écoute fait vibrer et lamenter toute fibre authentiquement Kabyle !
Oughaled ! Lahmoumime ghori zidhet ! Que tu me reviennes et tes maux me pénétrant, en saveurs se transformeront !
Chenou chenou a snitra mour thelid thiziri thghav !.....Ahlawadh, arzagadh ! Une ode à la guitare, unique instrument capable de transformer des instants de bonheur et de mélancolie en osmoses vivaces !
Oukhreghd i’watane tazmart ! Si matti its’ghalagh ! (J’ai puisé un peu de courage de mes chagrins, que mes larmes transforment en serments).
Ceux ne sont là que quelques tentatives de traductions d’un lyrisme profond, reprises à la volée d’une écoute bouleversante. Interprétations certainement bien en déca de la puissance que dégage l’écoute de l’œuvre de M’hand.
Certes, des années après son œuvre, notre chantre ne connaît pas encore une gloire à la mesure de son œuvre, mais l’on est d’ores et déjà en droit de se demander quelle étincelle, quelles étapes de la vie peuvent bien enclencher tels emportements lyrique et musical, sinon une déception amoureuse, à l’image de celle qu’a connue, bien avant lui, Cheikh El-Hasnaoui. C’est ce qui ressort de commentaires colportés çà et là par les réseaux sociaux. Mais qu’importe après tout ! L’essentiel n’est-il pas de se laisser pénétrer, à enivrement, de ces complaintes sublimes ? «Qu’importe le flocon, pourvu qu’on ait le Djurdjura ou l’Everest» pour reprendre urfane, un fidèle lecteur du matindz !
Kacem Madani
https://www.youtube.com/watch?v=ZO-4kE5ngY8
À écouter, à apprécier, à consommer sans modération, jusqu’au bout de nombreuses nuits, pour tout kabyle à l’âme torturée.
(*) Allaoua à l’affiche de l'Olympia de Montréal : la chanson kabyle et la haine de soi
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merci bien
merci bien