«Brexit» et immigration : ce qui va changer (Partie 1)
«Tous les votants pour le Brexit ne sont pas des racistes, pas du tout (…) mais hélas, probablement tous les racistes ont voté pour le Brexit» Par Fayçal Megherbi, avocat au barreau de Paris, et Bernard Schmid, docteur en droit et enseignant.
Il y a quinze jours, la population du Royaume Uni a voté, à 51,9%, en faveur du «Brexit» : pour la sortie britannique de l'Union européenne. Toutes les conséquences de cet événement, qui voit pour la première fois de l'Histoire un pays membre de l'Union lui tourner le dos, ne sont pas encore prévisibles.
Cela vaut notamment en matière économique. Les premiers jours suivant le vote, les bourses du Royaume Uni, mais aussi du continent avaient d'abord dégringolé ; leurs cours sont cependant remontés en partie. Le Premier ministre français, Manuel Valls, tente d'attirer les entreprises – notamment du secteur financier – qui choisiront de quitter Londres, et de les faire s'installer en région parisienne. Mercredi 06 juillet il a ainsi annoncé une série de mesures fiscales en faveur de telles entreprises. Mais le «chancelier de l'échiquier» (ministre des Finances) britannique, George Osborne, n'entend pas se laisser faire.
A son tour, il a annoncé en début de semaine qu'il entend baisser le taux d'imposition en matière de fiscalité des entreprises, une nouvelle fois, afin de rendre «attractif» le territoire britannique pour l'installation (ou le maintien) des sièges d'entreprises. Alors qu'à l'arrivée du gouvernement conservateur actuel, en 2010, l'impôt sur les sociétés était de 28%, Osborne l'avait fait baisser à 20%, et il était prévu qu'il atteigne les 17% à l'horizon 2020. Désormais, suite au référendum, le ministre envisage une nouvelle baisse afin de faire passer cet impôt à «moins de 15%». Aussi s'agit-il de concurrencer l'Irlande voisine, où ce taux n'est que de 12,5%.
Le moins qu'on puisse dire, c'est donc que la sortie britannique de l'Union européenne n'arrêtera aucunement la course au «dumping» fiscal, les Etats se livrant une concurrence acharnée au profit des entreprises, mais au détriment des finances publiques (en baissant les recettes fiscales) ou alors au détriment de standards sociaux. Autant il est certain qu'un certain nombre d'électeurs et électrices a voulu prendre ses distances avec l'Union européenne parce qu'elle était perçue comme «une machine néo-libérale» - libérant la concurrence -, autant il est fortement improbable que le «Brexit» vienne arrêter cette tendance. Etant précisé que certains leader de la campagne en faveur du départ britannique, à l'instar du conservateur Boris Johnson et du «souverainiste» de droite Nigel Farage, ne reprochent pas à l'Union européenne d'être trop libérale en matière économique... mais de ne pas l'être assez. Eux, en tout cas, reprochent à l'Union européenne d'avoir par exemple imposé une limitation du temps de travail hebdomadaire à 48 heures, par une directive de 1993 (alors que le Royaume Uni s'est toujours battu, avec succès, pour des exceptions à travers la procédure dite du «opt-out», lui permettant d'autoriser des semaines de travail jusqu'à 60 heures).
Il est évident que l'électorat qui a voté en faveur du «Brexit» est composite, et que les motivations qui ont conduit à ce résultat sont hétérogènes. Des motifs d'ordre social et économique – et de nature contraire, certains étant d'inspiration anti-libérale et d'autres, au contraire, ultralibéraux – sont venus nourrir ce vote. Mais la campagne en faveur du «Leave» (pour quitter l'Union européenne, donc) a aussi été, en partie, fondée sur le rejet de l'immigration, dont celle des ressortissants communautaires issus de l'Europe de l'Est. Ces motivations variées se sont doute mélangées dans la tête des uns, alors que les raisons du vote étaient plus exlusivement basées sur une thématique précise, dans la tête d'autres citoyen-ne-s britanniques.
Hausse de 57% des plaintes pour délits liés au racisme ou à la xénophobie
Un peu à l'instar des résultats du référendum français du 29 mai 2005 à propos du Traité constitutionnel européen (TCE), finalement rejeté par 54,7% des votants. A l'époque, de ce côté-ci de la Manche, on évoquait l'existence d'un «Non de gauche» et d'un «Non de droite», aux motivations différentes. Alors que le premier serait avant tout basé sur le refus de l'ultralibéralisme économique mais plutôt favorable à une «Europe sociale», le second serait davantage de nature nationaliste et xénophobe. Sans doute retrouve-t-on des phénomènes similaires derrière le vote britannique, même si le dosage des composantes n'est probablement pas le même, puisque ce sont les leaders du «non de droite» (Johnson, Farage) qui sont apparus plus hégémoniques dans le débat public qui a précédé le vote. Néanmoins 37% des électeurs et électrices du Labour party (Parti travailliste britannique, qui a connu une poussée à gauche au niveau de sa direction en 2015) auraient voté en faveur du «Brexit», alors que seuls 3% à 4% des député-e-s du parti se prononçaient dans le même sens. Il est probable, toutefois, que les motivations d'ordre «social» et celles liées à l'immigration ont pu se mélanger à l'intérieur même de cet électorat.
Dans la campagne, ou plutôt : les campagnes parallèles, en faveur du «Brexit», l'immigration était un sujet fortement présent. Elle concernait, en premier lieu, plutôt l'immigration est-européenne, autrement dit : celle de travailleurs salariés issu de pays membres de l'Union, surtout situés à l'Est du continent (Pologne, Roumanie...). En effet, la situation des ressortissants indiens, pakistanais et d'autres pays tiers ou encore celle des demandeurs d'asile n'était pas directement concernée par l'objet du référendum, dont le résultat n'aura aucune conséquence immédiate pour les personnes concerné-e-s. Toujours est-il que l'une des principales affiches de campagne de Nigel Farage – à l'époque chef du parti «souverainiste» UKIP, qui a démissionné de ce poste le lundi 04 juillet dernier (serait-ce l'aveu qu'il s'attend à une situation plus compliquée et moins rose que prévu, suite au vote... ?) - montrait une foule de migrant-e-s visiblement issus du Proche et Moyen Orient. Intitulée «Breaking point» («point de non-retour»), elle portait aussi l'inscription suivante : «We must break free of the EU and take back control of our country» («Nous devons nous libérer en rompant avec l'UE et reprendre le contrôle de notre pays»). La photo avait été prise à la fin de l'été et au début de l'automne 2015, lorsqu'un nombre important de réfugié-e-s – notamment syriens et irakiens – avait emprunté la «route des Balkans», avant que la Hongrie et d'autres pays n'érigent des clôtures et barricadent ce trajet.
Certes, la Grande-Bretagne, même en étant membre de l'Union européenne, n'a jamais fait partie de l'espace Schengen. Ainsi elle a toujours pratiqué ses propres contrôles aux frontières extérieures du pays, celles-ci étant d'ailleurs renforcées par sa situation géographique... insulaire. Mais cela n'a pas empêché certains meneurs de campagne de jouer sur les peurs engendrées, dans une partie de l'opinion publique et alimentées par certains médias, par l'afflux de migrant-e-s sur le continent européen, courant 2015. Aussi se sont-ils opposés aux plans - en attendant modestes - de l'Union européenne pour une «répartition» des migrant-e-s et réfugié-e-s arrivant aux frontières extérieures, et qui sont pour le moment à la seule charge de la Grèce (et dans une moindre mesure de l'Italie). Des plans qui n'ont pour l'instant pas produits de résultats notables, le gouvernement de Slovaquie ayant par ailleurs saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour tenter de les faire annuler en totalité.
«Tous les votants pour le Brexit ne sont pas des racistes,mais probablement tous les racistes ont voté pour le Brexit»
Le fond de l'affaire, au Royaume Uni, concerne cependant bien davantage l'immigration intra-européenne, celle à l'intérieur des frontières de l'Union. La question n'est uniquement exagérée, elle ne relève pas uniquement de l'imagination xénophobe : le Royaume-Uni étant un pays aux protections sociales très faibles et doté d'un marché du travail extrêmement ouvert (il est facile de trouver un emploi... et de le perdre en subissant un licenciement), l'existence d'une concurrence sur le marché du travail est bien réelle. Et l'embauche de salarié-e-s à des conditions «aux rabais» étant parfaitement possible voire légalement encouragée, il est évident que des employeurs peuvent être tentés d'utiliser le recours aux travailleurs migrants à des fins de «dumping social». Bien qu'il soit tout aussi évident que la solution à un tel problème résiderait plutôt dans l'instauration de conditions plus égalitaires sur le marché du travail et de protections sociales fortes, telle n'est pas la teneur principale du débat public sur l'immigration, au Royaume Uni.
Le Premier ministre en exercice, David Cameron, a d'ailleurs négocié un «paquet» de régles dérogatoires pour le Royaume Uni, à la mi-février 2016 à Bruxelles, avant d'appeler finalement à voter en faveur de l'option «Remain» (pour rester dans l'Union européenne) au référendum qu'il avait lui-même annoncé et préparé. Fait partie de ce «statut spécial», ardemment négocié pendant trente heures à Bruxelles les 18 et 19 février, que la Grande-Bretagne aurait la possibilité d'exclure les ressortissants de l'Union européenne de certaines prestations sociales ou de limiter celles-ci, pendant une durée de sept années. L'idée qui se trouvait implicitement derrière étant que, peu ou prou, ces resortissants européens ne devaient pas se comporter en «parasites», en matière sociale. Or, si une personne se voit empêchée de bénéficier de prestations sociales, par exemple sous forme d'allocations de chômage, il est évident qu'elle sera ainsi contrainte d'accepter un emploi... y compris aux conditions les plus défavorables. Il devient ainsi tout aussi évident que, pour cette même personne, la protection contre le «dumping social» - à supposer qu'elle existe – deviendra moins efficace, du même mouvement.
Bien entendu, le vote britannique ne s'explique certainement pas que par l'impact du thème de l'immigration, martelé (de différents côtés) par la campagne ; et que les craintes liées par l'immigration, comme on l'a vu, ne sont pas uniquement liée à une idéologie xénophobe. Or, comme l'aura expliqué l'écrivaine britannique Laurie Penny dans un quotidien allemand (1) «tous les votants pour le Brexit ne sont pas des racistes, pas du tout (…) mais hélas, probablement tous les racistes ont voté pour le Brexit». Il ne faudra pas oublier, d'ailleurs, que selon les chiffres publiés par la police britannique (ici cités d'après «Le Monde» du 06 juillet), dans les quatre jours qui ont suivi le scrutin, une hausse de 57% des plaintes pour délits liés au racisme ou à la xénophobie a été enregistrée. Sur cette période de quatre jours, 85 plaintes de ce type furent relevées. Sur une semaine, la tendance s'est aggravée, avec 331 affaires signalées (contre 63 en moyenne hebdomadaire sur l'année).
Par Fayçal Megherbi, avocat au barreau de Paris, et Bernard Schmid, docteur en droit et enseignant
Lire la suite : Brexit et immigration : ce qui va changer (2)
[1] Voir http://www.taz.de/!5315304/
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