Assassinat de Matoub Lounès : à ce jour, aucune enquête sérieuse !
Le 24 janvier 1956, la Kabylie est en pleine guerre de décolonisation. Lorsque naît Lounès Matoub, son village natal Tawrirt n Musa, commune d’At Mahmud, a déjà donné de nombreux martyrs pour la libération du pays, pour que l’Algérien vive debout, digne et libre. Les youyous des femmes étaient contenus, étouffés. Le contexte ne permettait pas l’explosion de joie. Cet étranglement symptomatique d’un système colonial imposant la chape de plomb à un peuple depuis longtemps meurtri, va forger durablement l’âme rebelle de Lounès.
A peine a-t-il vu le jour que la joie comprimée des femmes va se muer en colère. Dès lors, Lounès empoigne le chaînon généalogique bouillonnant des ancêtres pour poursuivre leur lutte, celle des hommes libres. Tout se passe comme si le petit garçon avait reçu une mission, à la manière des prophètes. Le nom de son village en porte l’empreinte, Tawrirt n Musa, la colline de Moïse, personnage biblique libérateur de son peuple.
Alors, il se consacre, sa vie durant, à défendre l’amazighité, la liberté ; il s’emploie, sa vie durant, à porter la voix des sans voix; il parcourt le monde, sa vie durant, pour faire valoir les droits de son pays natal, tamurt.
La coresponsabilité de l’État algérien et de l’intégrisme, son avatar
En plein élan pour accompagner les énergies qui se libèrent, au faîte de sa gloire, au moment où sa maturité de combattant se consolide, des mains assassines lui barrent la route de son village et le criblent de balles sans ne lui laisser aucune chance de survie. Depuis ce jour fatal du 25 juin 1998, les criminels courent toujours comme c’est souvent le cas dans cette Algérie de toutes les transgressions.
Lounès Matoub tombe mais son peuple se lève et son œuvre se propage plus que jamais.
Aujourd’hui, presque 20 ans après le crime odieux qui a emporté Lounès, l’État algérien n’a diligenté aucune enquête sérieuse, n’a procédé à aucun examen des éléments probants du contexte comme l’expertise balistique, n’a fait aucun geste significatif envers sa famille ni envers le peuple kabyle qui le pleure
Ce 25 juin 2016, anniversaire du jour funeste d’il y a 18 ans, un peu partout, jeunes et moins jeunes lui rendent un vibrant hommage et réclament haut et fort la vérité sur son assassinat, cet acte odieux dont le pouvoir algérien et son avatar, l’intégrisme, portent, à l’évidence, une entière coresponsabilité.
Partout, des femmes, des hommes, rendent un hommage appuyé à cet homme dont le chant, le verbe, la mélodie ont généré des vibrations captées par tous les peuples amazighs d’Afrique et par tous les Kabyles poussés hors de leur terre natale. A l’évidence, les pensées de toutes et tous vont d’abord à sa famille : NNa Aldjia, sa mère, Nadya, son épouse, Malika, sa sœur, des femmes durement éprouvées et que cette tragédie a poussées, malgré elles, sur le devant de la scène.
Un germe d’insoumission
Avoir une pensée pour sa famille, ses admirateurs, ses soutiens et pour tous ceux qui ont à cœur son combat est un devoir de mémoire. Son apport à la culture berbère est considérable. L’onde de choc de son action a dépassé toutes les frontières et c’est pourquoi il s’est fait des ennemis : le pouvoir, les islamistes mais aussi quelques uns des siens. Ils voyaient en lui un frein à leurs funestes desseins, à leurs indignes compromissions. Il a été incontestablement un des moteurs du mouvement culturel berbère. Il avait une force, un dynamisme, et un esprit d’abnégation et de révolte qui ont fait de lui aujourd’hui un mentor pour la jeunesse kabyle. "A cette jeunesse, il lui parlait dans sa langue tant du point de vue du verbe que du point de vue du rythme et du ton. Une véritable synchronisation entre lui et la rue s’est nouée et se perpétue. C’est la raison pour laquelle ses chansons ont déteint sur la société. Il y a planté un germe d’insoumission" (1).
C’est pourquoi la Kabylie côté jeunes se mobilise et écoute son "Anza" qui, longtemps encore, empêchera les meurtriers de dormir tranquilles. L’"Anza" qui, dans la tradition kabyle, est le gémissement d’une victime que l’on entend resurgir à chaque anniversaire du crime.
Tout se passe comme si, n’ayant pas eu d’enfant, il est devenu, à l’image de Si Muhend U Mhend et de Slimane Azem, le dépositaire de la quête et de la transmission transgénérationnelles. C’est pourquoi les jeunes Kabyles battent le pavé chaque année et reprennent le flambeau comme ils peuvent. Et c’est pourquoi, un jour, ils finiront par désensevelir la vérité sur l’assassinat de leur mentor.
Hacène Hirèche
Universitaire et consultant (Paris)
(1) Quel avenir pour l’Algérie et quelle place pour la Kabylie, p. 128
Ed. Guraya DZ
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merci bien
merci bien pour le site