Chronique prémonitoire : Adonis et la peur d’un livre
Cette chronique de Mohamed Benchicou a paru dans El-Khabar Hebdo du jeudi 23 octobre, quatre jours avant le limogeage d'Amine Zaoui.
Adonis et la peur d’un livre
A quoi ressemble l'écrivain d'un pays qui a peur d'un livre ?
A Adonis.
Patient. Déterminé. Anxieux.
Révolté à près de 80 ans.
Révolté et résolu : « Je plaide pour une résistance radicale et globale », lançait-il l’autre jour dans sa conférence à la Bibliothèque nationale à Alger.
Sa résistance c’est celle de la Moumanaâ. Le Refus. Refus de systèmes politiques archaïques et honteux qui tyrannisent les sociétés arabes et musulmanes.
Et qui ont peur d’un livre.
Et qui le brûlent, au nom « de ce grand crime arabe, l’arriération ! »
Au nom du licite et de l’illicite.
« Ils ont adopté le langage et l’attitude religieux pour mieux régner. »
Il les désigne : Egypte, Syrie, Libye, Irak.
Il ne cite pas le pays hôte, l’Algérie. Par élégance. Et pourtant…Ici, aussi, « les résistants d’hier sont devenus des oppresseurs une fois arrivés au pouvoir. »
Ici aussi, « les mouvements révolutionnaires sont devenus des systèmes tyranniques qui usent de la violence pour se maintenir au pouvoir »
Ici aussi « leur pensée est basée sur le licite et l’illicite. Toute résistance n’est acceptée que si elle est menée de la manière qu’ils veulent. Autrement, tout résistant sera banni et persécuté » comme il l’a si bien expliqué.
Ici aussi, c’est le règne de « la soumission et à l’allégeance à laquelle personne n’échappe ».
Comme au temps des luttes fratricides entre Koreïchites et Ansar qui ont suivi la mort du Prophète, et les sentences mortelles contre les renégats à l’époque.
Comme au temps où l’on brûlait les livres.
***
A quoi ressemble un pays qui a peur d'un livre ?
A la patrie d’Adonis.
« Cette patrie qui considère que la Rose
Est un complot dirigé contre le régime,
Que le Poème est un tract clandestin »
Ainsi parle son compatriote Nizzar Kabbani de leur patrie « qui craint de regarder son corps dans un miroir pour ne pas le désirer ».
Là-bas, les livres brûlent et les prisons sont pleines d’écrivains.
Comme Michel Kilo, journaliste et écrivain qui ne retint de Nizzar Kabbani que l’appel à la vie et le rêve du poète :
« Je veux fuir la République de la Soif
Pour pénétrer dans celle du Magnolia »
Michel Kilo a signé un appel pour la démocratie en Syrie, avec une centaine des plus prestigieux intellectuelset artistes nationaux, dont les poètes Adonis, Chawqui Bagdadi et Nazih Abou Afch, les romanciers Mamdouh Azzam, Abdel Rahman Mounif
et Sadeq Jalal El Azm, les cinéastes Omar Amiralaï et Mohamad Malas.
Le texte demandait à la République de la Soif « l’abolition de l’État d’urgence
et de la loi martiale en vigueur depuis 1963, une amnistie générale des prisonniers
politiques, d’opinion et de conscience (...) et le retour de tous les exilés
politiques ». Et pour vivre l’ère de l’Eau, les signataires exigeaient « l’instauration
d’un État de droit, le respect des libertés, la reconnaissance du pluralisme
politique et de pensée, la liberté d’expression, la suppression de la censure…».
Puis le 11mai 2006,Michel Kilo, qui refusait toujours « la guerre de la pluie
déclarée par les nuages pour une très longue durée » récidive avec la déclaration
« Beyrouth-Damas-Beyrouth » appelant le régime syrien à se désengager
totalement du Liban, à ne plus y commettre d’attentats et à établir avec
ce pays, que la Syrie a occupé entre 1976 et 2005, des relations de confiance.
***
A quoi ressemble un pays qui a peur d'un livre ?
A la patrie d’Adonis.
Qui désespère Kabbani :
« Qu’est-ce donc cette patrie
Qui ouvre une fiche secrète
Pour chaque sein de femme ? »
Michel Kilo est emprisonné au pénitencier de Damas. Les autorités syriennes publient un communiqué à propos de la déclaration « Beyrouth-Damas,
Damas-Beyrouth » qu’elles qualifient « d’ingérence dans ses affaires intérieures
» et de « provocation ».
Il est toujours en prison aux côtés de Mahmoud Issa et d’Anouar Al-
Bounni, deux autres signataires de la déclaration « Beyrouth-Damas,
Damas-Beyrouth ».
Le poète avait prévenu.
Adonis avait prévenu.
Son pays a appris à avoir peur d’un livre et des écrivains. Peur d’un
mot, d’une lueur dans la nuit. Il reprenait à brûler les livres « impies »,
désignés au bûcher par les religieux. Comme le roman Palais de la pluie
de Mamdouh Azzam, un des signataires de la déclaration, un livre
envoyé au pilon parce que les fondamentalistes avaient protesté contre
son contenu. Ou comme le livre de l’écrivaine iranienne Shahdarot Jaffan,
Qu’on enlève le hidjab !, un récit frappant de l’expérience personnelle
de l’auteur avec le hidjab et voué aux gémonies par les intégristes.
Quelques mois avant que Kilo n’entre en prison, le gouvernement syrien
en avait interdit la distribution et saisi tous les exemplaires encore disponibles
en librairie. Selon un opposant libéral syrien proche de Kilo,
cette initiative consacrait le « mariage légal » entre le pouvoir et les
islamistes.
A quoi ressemble l'écrivain d'un pays qui a peur d'un livre ?
A Anouar Benmalek.
Comment sortir de la nuit sans forcer les portes sacrées qui verrouillent les vieux tunnels noirs de nos peuples ? C'est le cri de Anouar Benmalek dans Ô Maria, cri étouffé par toutes sortes de vigiles qui veillent, dans mon pays, sur les portes sacrées du mensonge, de l'hypocrisie, de l'ignorance, de l'aliénation et de la servitude, ces portes massives, regardons bien, qui n'en finissent pas de se refermer sur nos enfants.
Plus que d'un blasphème envers le Créateur, on a en fait accusé Anouar Benmalek de sacrilège envers les impostures de ce bas monde. D'avoir tenté d'en ouvrir les portes sacrées par l'arme de la démesure, cette clé indomptable qu'offre la littérature aux courtisans de lumière. Je lisais, ce matin-là, dans les yeux d'Anouar, l'infinie perplexité des serruriers solitaires face aux obscurités qui se cachent derrière les portes du mensonge.
Et en l'écoutant parler, je laisse germer dans mon esprit une question traîtresse : à quoi pense un gouvernement qui a peur d'un livre ? Sans doute à faire, encore et toujours, la chasse à la lumière. A s'abandonner aux ténèbres. Et à l'abdication devant l'Inquisition. Derrière les autodafés se profilent toujours d'incroyables trahisons et d'inattendues capitulations devant les pyromanes. Il y a, dans cette dérive politique, comme une perversion naturelle qui guette tout régime pourchassant ses hommes de plume.
Un pacte inavouable semble lier les censeurs algériens de Ô Maria et les persécuteurs égyptiens de Awlâd hâratinâ (Les fils de la médina), critique implacable des nouveaux messies arabes, récit incisif sur la vie d’un quartier cairote où chacun des habitants représente un prophète de la Bible que Naguib Mahfouz décrit comme des individus médiocres et vaniteux, incapables d’améliorer la vie des habitants. Les deux romans, fictions allégoriques sur les désillusions arabes, furent tous les deux jugés blasphématoires par les courants intégristes, cerbères des portes de la nuit, avant que les gouvernements algérien et égyptien ne décident à leur tour de les interdire.
Mais alors, jusqu'où irait la conjuration des prophètes démystifiés par la plume, jusqu'où irait un gouvernement qui a peur d'un livre ?
Réponse de Naguib Mahfouz qui survécut miraculeusement à une mise à mort programmée et qui, s'il y perdit l'usage de sa main droite, ne perdit pas la foi de l'écrivain résolu : “L’écriture est maîtresse : elle agit sur la culture et sur les civilisations”.
C'est pourquoi les dictatures auront toujours peur d'un livre. C'est-à-dire d'une déraisonnable petite lumière qui viendrait à s'aventurer dans les opacités du pouvoir et que nous avons, à jamais, l'obligation d'agiter au coeur des ténèbres.
Mohamed Benchicou
Chronique parue dans El-Khabar Hebdo du jeudi 23 octobre 2008
Commentaires (10) | Réagir ?
je soutiens les idees rouani; car l'islam est en otage depuis l'an 40 de l'ere hegire; dans les mains des commerçant des fetwas et en plus ils ont mis des hadiths ; et interpretés le sain coran selon leurs interet. tout d'bord il faut liberer l'islam des mains de ses charlatans (salafistes ;freres musulmans;...) et le retour a l'islam tel comme il est vennu la religion de la tolerance;la diversite culturelle;la libre consience; la vraie choura ; et non a la dictature des omeyades qui survie a nos jours sous d'autres noms; car les islamistes de tous tendences leurs ancetres ont enterres la choura et l'islam verridiques en l'an 40 de lhegire ; il faut d'abord le retour aux sources de l'islam
Dans la mythologie grecque, Adonis est le dieu symbolisant la mort et le renouveau de la nature. Il est associé à la rose et au myrte, en Algérie il est malheureusement associé a la censure, à l’intolérance, à la démission, à l’incapacité à accepter l’autre dans sa et ses déférences, il est associé au non dialogue. Le dialogue n’a pas la même définition selon qu’on se trouve ailleurs, selon qu’on se trouve dans une bibliothèque, dans un commissariat, une arène ou une agora. Le pouvoir et ses acolytes ne connaisse qu’une seul définition du dialogue pas celle qui consiste a une discussion entre deux ou plusieurs personnes ou groupes de personnes visant à arriver a un accord ou un consensus, chez eux on attend d’abord l’accord du sultan et ensuite on applaudi très forts, on lèves les mains pour qu’on puisse être vues par celui dont l’intelligence dépasse sûrement l’intelligence collective. C’est dommage qu’on en arrive à cette situation. Cordialement. beausim