Brexit ou pas, Paris et Berlin face au défi d'une réponse commune
La France et l'Allemagne devront apporter une réponse commune à la décision des Britanniques sur leur maintien dans l'Union européenne, quelle qu'elle soit, un défi pour deux pays dont les positions sont loin d'être totalement alignées sur ce dossier.
Paris et Berlin, dont l'entente a toujours été indispensable en cas de crise, portent cette fois une responsabilité encore plus lourde à l'heure où l'euroscepticisme gagne aussi leurs opinions, avec des institutions européennes affaiblies et des tiraillements importants entre les Etats membres.
Dans le camp européiste, désormais minoritaire, certains ont l'espoir de transformer le plomb en or en profitant du vote pour entamer un grand bond en avant dans l'intégration. "L'Europe sera totalement différente après le 23 juin, que ce soit oui ou non", estime ainsi l'ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement européen. "Il faut profiter du Brexit pour refonder l'Europe. Les politiques ont le dos au mur, ils n'ont pas le choix."
Pas question, réplique-t-on de sources française et allemande à l'approche du référendum : la réponse ne sera pas d'aller dans ce sens, notamment pour la zone euro.
La méfiance actuelle des opinions publiques, les désaccords persistants sur le contenu des nouvelles étapes de l'intégration et le calendrier - on est à un an d'échéances électorales suprêmes en France et en Allemagne - ne le permettraient pas.
"Il ne faut ni un grand saut fédéral, ni chercher à amadouer les opposants les plus farouches en déconstruisant l'UE", explique un responsable français de haut niveau. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a récemment abondé dans le même sens dans Der Spiegel.
Concentration sur les défis immédiats
En cas de victoire des partisans du Brexit, "nous devrons comprendre qu'il s'agit d'un avertissement et d'un coup de semonce qui doit nous inciter à ne pas poursuivre sur le chemin que nous avons emprunté jusqu'à présent", a-t-il dit.
Que le résultat soit un "Brexit" ou un "Bremain", les propositions porteront donc sur les défis immédiats auxquels sont confrontés les Européens : arrivée massive de réfugiés, lutte contre le terrorisme et amélioration de l'économie.
"Quelle que soit la réponse que feront les Britanniques le 23 juin, la France fera des propositions pour que l'Europe aille plus loin pour sa sécurité, sa protection, sa défense", a confirmé François Hollande la semaine dernière.
Le renforcement des frontières extérieures par la création de gardes-frontières européens, l'idée d'une plus grande solidarité en matière de défense et des initiatives pour relancer les investissements font consensus à Paris et à Berlin.
En revanche, le traitement à réserver au Royaume-Uni après le 23 juin risque de provoquer des tensions entre les Etats membres, ainsi qu'entre la France et l'Allemagne. En apparence, pourtant, tout est prévu et les dirigeants européens ont adopté en février dernier un accord qui détermine avec beaucoup de précision ce qui se passerait.
Si le Brexit l'emporte, une période de deux ans maximum s'ouvrira pendant laquelle le Royaume-Uni et ses partenaires européens négocieront les modalités de leur divorce et le nouveau statut dont bénéficiera ensuite la Grande-Bretagne.
Risque de "cortège référendaire"
Mais les choses risquent d'être beaucoup plus confuses et le Conseil européen des 28 et 29 juin ne devrait pas être une simple chambre d'entérinement du résultat du référendum. Plusieurs pays, qui partagent le peu d'appétit des autorités britanniques pour le rêve originel des pères fondateurs de l'Europe, devraient insister pour que l'on ne ferme pas la porte à une autre solution qu'un départ.
Même si le Premier ministre britannique, David Cameron, s'est engagé à entamer la procédure de divorce, l'histoire de l'Union européenne est jalonnée de nouveaux votes après un référendum perdu, comme en France, au Danemark et en Irlande.
"C'est un sujet, on en discute", reconnaît un diplomate. Le risque - mortel pour l'Union européenne - que le départ du Royaume-Uni donne des idées à certains pays qui lui sont proches, comme les Pays-Bas, est dans toutes les têtes.
"Ce référendum britannique aura changé beaucoup de choses parce qu'on a levé un tabou", a récemment déclaré à des journalistes le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. "Si d'autres mettent le pied dans la porte en s'inspirant du modèle britannique, nous assisterions à un cortège référendaire qui enlèverait vers l'extérieur toute crédibilité à la démarche européenne."
Entre Paris et Berlin, au-delà des déclarations officielles, les positions ne sont pas exactement les mêmes sur la manière dont il faudra traiter le Royaume-Uni s'il veut partir. "En Allemagne, c'est consubstantiel à la construction européenne. Du jour où l'on a créé l'Europe, les Allemands ont fait pression pour que le Royaume-Uni rentre", dit un diplomate. Ce qu'un ministre français confirme en privé.
"Il y a ceux qui disent qu'un Brexit ne serait pas si grave : on ouvre les négociations de sortie et donc de maintien de certaines activités avec bienveillance, c'est le cas de l'Allemagne", a-t-il dit. "Pour nous, la bonne attitude, si les Britanniques votent pour la sortie de l'Union, sera celle de la grande fermeté, sujet par sujet."
La France entend donc maintenir un cordon sanitaire pour éviter la contagion de l'exemple britannique à d'autres pays qui seraient tentés d'obtenir les mêmes avantages que Londres après avoir cédé aux sirènes d'une sortie de l'UE. "Si on veut préserver l'Europe, on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre", dit un diplomate français.
Passeport européen
Le Royaume-Uni continuera ainsi à avoir accès au marché intérieur de l'UE, ce qu'il souhaite, s'il respecte toutes les directives européennes et s'il contribue au budget de l'Union, comme la Norvège, ce qui n'a pas que des avantages. Londres se verra ainsi imposer des législations sans avoir son mot à dire dans la négociation qui les définit.
L'élément crucial des tractations sera le "passeport européen" pour les opérateurs financiers britanniques, dont les banques, qui permet à la City de Londres de rivaliser avec New York pour la place de premier centre financier mondial. Cet instrument donne un accès au marché européen, par exemple pour ouvrir des filiales, sans devoir négocier avec les autorités de chaque Etat membre, Paris et Francfort lorgnant déjà la place de Londres en cas de Brexit.
"Ce sera comme pour la Suisse, pas de passeport ou alors ça se négocie et il y a des contreparties", déclare Michel Sapin. Les choses seront plus aisées en cas de maintien du Royaume-Uni, grâce à l'accord de février, mais des pièges existent.
Outre le fait de ne pas être membres de l'euro ou de l'espace de libre-circulation de Schengen, l'accord prévoit par exemple que Londres pourra limiter l'accès à ses prestations sociales pour les ressortissants d'autres pays de l'UE. Mais un membre du gouvernement français craint que, fort d'une victoire lors du référendum, David Cameron ne se sente conforté et demande un changement de traité pour détricoter les instruments de solidarité, comme la Politique agricole commune. En réponse, estime un responsable français, Paris et Berlin pourraient proposer un renforcement de l'intégration de la zone euro lorsque les échéances électorales de 2017 seront passées.
Même si la méfiance persiste entre les deux partenaires - l'Allemagne estime que la France est loin d'être un parangon de vertu budgétaire et Paris souhaite que Berlin cesse de multiplier les excédents -, une base existe.
Dans les deux contributions franco-allemandes qui ont été adoptées sur le renforcement de la gouvernance de l'euro, l'essentiel est dit, comme la nécessité d'une politique économique et d'une convergence fiscale et sociale, notamment. "Le corpus est très fort, il n'a pas été vraiment mis en oeuvre à cause d'autres crises", estime ce responsable.
Reuters
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mercii
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