Les langues parlées… de l’oralité à l’écriture
L’officialisation de la langue amazigh a relancé la discussion sur l’alphabet qui ‘’conviendrait’’ à cette langue (*).
Personnellement, je n’ai lu sur cette question que des propos d’ordre idéologique ou bien "d’efficacité". Or l’alphabet qui fait passer une langue de l’oralité à l’écrit a forcément des incidences sur la forme et les caractéristiques d’une langue. Une forme produit du sens, influe donc sur le fond lui-même. Le "mariage" entre le fond et la forme est l’essence même de l’art. Or la langue elle-même est un art. D’autres langues de pays comme la Turquie et le Vietnam ont changé d’alphabet et opté pour le latin. L’étude de ces expériences peuvent nous fournir des indications sur les bienfaits ou non de l’adoption d’un alphabet étranger jusque-là à la langue du pays. Ces expériences peuvent nous armer pour préserver et consolider nos langues populaires dans un monde qui a déjà englouti tant et tant de langues. Face au choix difficile d’un alphabet, seul l’intérêt de la langue et de son devenir sont à prendre en considération. Une langue, ne l’oublions pas, est un organe vivant. Quand bien même les racines d’une langue "habitent" les entrailles de l’histoire, son génie et sa beauté ne peuvent continuer à se manifester que si elle épouse son époque permettant ainsi à une société de résoudre les problèmes qui se posent à elle. Produit d’un long processus de l’histoire, elle est une ‘’énigme’’ que l’histoire et les règles de la philosophie des sciences nous aident à dévoiler ses secrets.
La parole, c’est une sonorité parmi les sons de la nature que le cerveau du bébé capte déjà dans le ventre de sa mère. Quant à l’écriture, née dans la Mésopotamie il y a quelque 6000 ans, c’est un apprentissage visuel de symboles graphiques qui a permis la naissance de la Pensée structurée. Ce n’est pas un hasard si les textes fondateurs des trois religions monothéistes ont leurs racines dans cette fabuleuse contrée des Mille et une nuits. Beaucoup de trésors scientifiques, littéraires (Gilgamesh) et religieux auraient été emportés par la fureur des torrents de la vie en l’absence de l’écrit. Que serait devenu le Coran si des plumes n’avaient pas mis leurs immenses talents de poètes pour donner une forme écrite à la parole reçue et entendue par le prophète selon les croyants ? Les grands poètes se ‘’méfient’’ du passage mécanique de l’oralité à l’écriture. Ils nous mettent en garde contre la perte des substances poétiques et musicales propres à ces deux formes d’expression. Dans cette délicate opération, il faut préserver la truculence, les jeux de mots et l’imaginaire véhiculés par les langues parlées. De même la littérature écrite enrichit ces langues parlées qui peuvent ‘’souffrir’’ de l’érosion du temps qui passe. Céline l’incontournable grand écrivain français est l’exemple de celui qui a réussi le ‘’mariage’’ entre la langue populaire et même argotique et la grande littérature. Céline n’a cessé de dire son dépit devant la mort de la langue de Rabelais au profit d’une langue française policée. On comprend aussi pourquoi Kateb Yacine a dit qu’il lui fallait ‘’violer’ la langue française pour rendre compte de ce que ressentent dans leurs langues nationales, les personnages de son œuvre face au sort de leur pays malmené par la colonisation.
Mais revenons à un alphabet, éventuel support de la langue amazigh. D’emblée je ne me situe pas dans un genre de polémiques de gens qui veulent rattacher le tifinagh à telle ou telle origine. Les à-priori idéologiques sont en général de mauvais conseillers. Nous avons des exemples où l’idéologie a cédé devant les nécessités de l’histoire. Ces exemples, nous les trouvons dans l’histoire des langues (et quelle langue !) qui ont utilisé un alphabet qui ne prend pas sa ‘’source’’ dans leur propre histoire. L’utilisation d’une découverte scientifique n’a jamais diminué ni complexé une société qui va chercher ‘’la science jusqu’en Chine’’. Il est donc utile de réfléchir et d’oser émettre des hypothèses sur les éventuels rapports que le tifinagh entretient avec les alphabets de l’antiquité. Par exemple l’alphabet égyptien (les hiérographies) ou bien l’alphabet phénicien qui a éclaté en plusieurs ‘’branches’’ (le grec, le latin, le cyrillique etc). Si une recherche scientifique arrive à la conclusion que le passage à l’écrit par le biais du tifinagh remplirait sa mission aussi bien dans la syntaxe que dans la musique de la langue amazigh, il n’y a aucune raison de le ranger comme simple témoin de l’histoire des langues. Les choses se compliquent quand s’invitent d’autres facteurs qui relèvent du politique et des contraintes liés à l’époque historique que le monde traverse. D’où la question, quel alphabet pour écrire la langue amazigh ? Plusieurs paramètres, affectifs, idéologiques et pragmatiques vont jouer leur rôle dans la décision de tel ou tel choix. Les trois alphabets en ‘’compétition’’, le tifinagh, l’arabe et le latin ( ne pas réduire le latin à la seule langue française) ont chacun un atout à faire valoir. L’alphabet comme la langue elle-même, n’est pas une simple technique. Il influe sur la syntaxe des langues, donc sur le rythme de la phrase mais aussi impose des images qui peuplent l'imaginaire des sociétés. Pensons aux lettres de l’alphabet arabe ou bien aux idéogrammes (chinois et japonais) qui dans le domaine de la peinture suggèrent un univers mystérieux, mystère difficile a ‘’inventer’’ à l’aide des seules lettres latines, figures ‘abstraites’’ qui par ailleurs ont d’autres atouts dans leur besace.
En fonction de tous ces paramètres, l’intérêt de la langue doit prévaloir en dépit des relations affectives que l’on entretient avec une langue. Si on additionne la relation affective et les autres considération d’autres politiques et historiques, on doit savoir que la tâche est titanesque. Oui elle l’est mais d’autres peuples ont surmonté ces douloureuses adaptations imposées par leur histoire. Les exemples ne manquent pas. La langue vietnamienne a fait cohabiter les idéogrammes chinois et l’alphabet latin et ce dernier a fini par devenir l’outil de la langue officielle. Le cas du Vietnam est intéressant à étudier car il comporte des analogies avec les langues populaires du Maghreb (l’arabe et l’amazigh). Au Vietnam, la diversité des langues parlées comme au Maghreb n’a pas été un obstacle dans le choix de l’alphabet latin.
Nous savons que dans le monde, il y a une foule d’alphabets qui servent de supports à une multitude de langues différentes. Ces repères historiques nous permettent d’aborder calmement et scientifiquement les problèmes de l’alphabet et des langues.
Dans l’histoire des pays, les pouvoirs politiques ont prêté une attention particulière au statut de ou des langues.
Le politique ne peut évidemment se désintéresser d’un tel ‘’arsenal’’ qui lui fournit une arme sans égale pour imposer une vision du monde, pour ‘’unifier’’ la société, pour gérer ‘’rationnellement’ la vie économique etc… Ceci dit, aujourd'hui ce même pouvoir a tout intérêt à être à l’écoute des langues populaires, de leur musique, de l'esthétique de leur alphabet et d’une façon générale de tous les signes qui décorent une langue et son alphabet.
En Algérie, au regard des erreurs (c'est un euphémisme) de l’arabisation précipitée et outrageusement idéologisée, on ne peut qu’être vigilant et patient pour que nos langues populaires ne fassent pas les frais de nos ignorances et impatiences…
Ali Akika, cinéaste
(*) Mouloud Mammeri et des linguistes ont exprimé leur point de vue sur la question du futur et possible alphabet pour l’Amazigh.
P.S. : je profite de l’occasion pour rendre un hommage à Rachid Aït Kaci, un artiste bon et talentueux dont l’œuvre nous a fait tant rire mais prévenu aussi contre les méfaits de l’ignorance.
Commentaires (12) | Réagir ?
greate article thank you for sharing
En prséservant l'estime pour notre langue on protège l 'estime et le respect de nous mêmes. Thifinagh c' est notre ame.