Rachid Tlemçani : "Le scénario du Venezuela est à nos portes..."
Rachid Tlemçani, enseignant et chercheur à l'Institut d'études politiques à Alger et auteur de nombreux ouvrages,, analyse à chaud les tenants et aboutissants du dernier conseil des ministres et donne un éclairage saisissant sur les pratiques du pouvoir.
Le Matindz. Il a fallu attendre cinq mois pour que le chef de l'Etat préside un deuxième conseil des ministres dans lequel il n'y a eu aucune orientation politique et économique majeure...
Rachid Tlemçani : Deux ans après la chute brutale des revenus extérieurs, le pouvoir n'a pas changé de cap. Il tourne autour du pot, comme si la profonde crise que traverse le pays pouvait encore attendre. Aucune décision stratégique n'a été prise jusqu'au jour d'aujourd'hui. Il semble que les scandales financiers révélés par Panama papers et les autres à venir le poussent à se recroqueviller sur lui-même et ses alliés extérieurs. La crise n’est pas évaluée à sa juste mesure. On pense qu’elle est passagère et éphémère. La stabilité du pétrole, à la hausse, serait atteinte du jour au lendemain. Il ne faut pas paniquer par conséquent, «la baraka» est de notre côté», tel est le message du discours officiel. La tendance haussière est en cours puisque le pétrole vient de dépasser les 50 dollars le baril ! Le dernier Conseil des ministres n’a pas présenté d’orientation particulière d’autant plus que la crise n’est pas perçue comme structurelle. Tout le modèle d’accumulation et de consommation est pourtant à revoir de fond en comble. Il n’y a pas de feu dans la baraque !
Le problème majeur n'est pas la crise, de type structurelle, mais la baisse du prix du pétrole et par conséquent l’état des caisses de l’Etat. Comment renflouer momentanément les caisses pour équilibrer le déficit commercial qui ne cesse de se creuser. On impose à la hussarde des mesures draconiennes sans consultation avec les partenaires sociaux comme sous le régime des pénuries. C’est le citoyen lambda qui a commencé à payer les effets dévastateurs de la chute de la valeur du dinar et de l’inflation. En dépit de cela, le pouvoir en place pense tenir le cap d'ici à la fin du 4e mandat. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a récemment déclaré à Tizi-Ouzou pour rassurer la population à la veille de Ramadhan qui s’annonce très difficile pour les Algériens que le pays pourrait tenir facilement 2 à 3 ans .... D’ici là, le prix du pétrole serait plus stable et varierait entre 60 à 80 dollars. En bref c’est l'immobilisme, toujours l'immobilisme, comme sortie de crise ! Une situation de fuite en avant que le scandale de Panama papers a renforcé, malheureusement.
Le Matindz : Le chef de l'Etat évoque la mise en place d'une instance de surveillance des élections. Ne répond-il pas par-là à une revendication de l'opposition ?
Rachid Tlemçani : C'est vrai que l'opposition a toujours revendiqué une instance de surveillance des élections. Serait-elle réellement indépendante, quelles sont ses prérogatives ? Qui nomme les membres de cette instance ?... Qui organise les scrutins, du début de l’opération jusqu’à la proclamation des résultats en passant par le fichier électoral ? Qui a élaboré la loi électorale, une assemblée constituante ou un cabinet noir ? A-t-on une administration citoyenne ? En réalité, les élections dans un régime autoritaire sont toujours entachées de fraude. La fraude électorale est enchâssée dans le système de prédation gouverné par des kleptomanes. Cette instance comme les précédentes ne servirait pas à grand-chose. Les résultats électoraux dans une telle configuration politique sont connus à l'avance.
Le Matindz : Comment expliquez-vous toute cette inflation d'organisme dits indépendants, quand on sait qu'en réalité il n'en est rien.
Rachid Tlemçani : Lorsque les libertés individuelles, collectives, de réunion, de manifester, ne sont pas respectées dans la vie de tous les jours, les nouvelles instances ne serviront que comme un paravent pour la communauté internationale. Le pouvoir ne peut plus se passer de la crédibilité internationale. Demain, pour se présenter aux bailleurs de fonds, il faut avoir au moins une tenue correcte. On risquerait autrement de ne pas avoir de quoi payer le blé et le lait.
Cependant, contrairement à ce que tu dis, la panoplie d'instances et d'organes que le pouvoir va créer dans le cadre de l'application de la nouvelle constitution servirent à beaucoup de choses. Le pouvoir tente d'intégrer une large section de l'élite qui est restée en marge du 3e et 4e mandat. Il va faire de telle sorte de récupérer ceux qui ont refusé de prendre le train en marche en leur offrant une dernière chance, un poste dans ces instances, une rente. Au niveau idéologique, ces éléments ne seront plus en mesure de développer des voix discordantes; ils porteront la voix du prince. Ces intellectuels sous d'autres cieux encadrent le mouvement social qui tente d’imposer un nouveau modèle de développement face au néo-libéralisme. Chez nous, le mouvement social sans direction et leadership est livré à lui-même face à l’Etat sécuritaire.
Le Matindz : L'armée s'est lancée dans une vaste opération de modernisation et d'acquisitions à un moment où l'Algérie la crise économique frappe à la porte. Quelle lecture faites-vous de celle-ci ?
Rachid Tlemçani : Rappelons que le budget militaire et sécuritaire est de 33%, il est égal aux budgets de 14 ministères mais cette lancinante question n'a pas été soulevée par les économistes médiatiques qui se gargarisent de chiffres, macro-data et graphes. La crise sécuritaire contrairement à la thèse militariste, représente une menace soft, elle n'est pas hard. Par contre, c'est la crise socio-économique qui reste la plus brûlante et la plus déstabilisatrice. Le scénario du Venezuela est à nos portes...
Le Matindz : L'affaire du rachat du groupe El Khabar révèle la volonté du pouvoir de ne laisser aucune brèche pour tout force qui lui est étrangère. Comment voyez-vous son développement ?
Rachid Tlemçani : L'affaire du groupe de presse El Khabar est très sérieuse. Elle dépasse de loin l’acte commercial de la reprise du groupe par un oligarque. Elle pose la question de la liberté de la presse, tant publique que privée. Dans cette relation triangulaire, presse privée – gouvernement - argent, l’acteur pivotal, qui est le lecteur, est malheureusement absent de l’échiquier médiatique. A la veille de toute échéance électorale, on tente de manipuler par tous les moyens les électeurs… C’est de bonne guerre. Mais que font les acteurs contestant l’ordre dominant ? Après une aventure de liberté de ton de la presse, unique dans son genre, il est opportun, après un quart de siècle d’existence, de faire un bilan, de définir les véritables enjeux. Autrement dit, les quelques espaces de liberté qui restent disparaîtront à tout jamais. Le verrouillage systématique de la sphère publique en marche depuis la promulgation de «la profonde réforme politique» atteindra un point de non-retour. Une information crédible, fiable et indépendante des pouvoirs institutionnels et occultes s’impose donc aujourd’hui plus qu’hier. Sans la liberté de la presse, il serait très difficile de mettre sur rails un ordre sociétal prospère et plus équitable. Il y va de l’avenir du pays en tant qu’Etat et nation.
Entretien réalisé par Hamid Arab
Commentaires (5) | Réagir ?
Deux personnes a tenir coupables de la situation actuelle:- 1-Mourad Medelci; en qualité de President du Conseil constitutionnel
2- Ahmed Ouyahia; en qualité de "cuisinier" de la Constitution.
La multiplication de mandats presidentiels anti-constitutionnels, la deformation de la Constitution l'abus des pouvoirs, mais aussi l'etat chronique de la vacance du Pouvoir official de l'Etat-Nation, ont contributé a l'etat actuel des choses qui ont fait de l'Algerie cette barque (TAFLOUKT, de Bouteflika!) du pecheur solitaire perdu en haute mer et a bout de ressources..... Le pire est a l'horizon alors que plusieurs requins affamés sont montés en surface et prets a attaquer coire detruire la barque des le coucher du soleil....... du pecheur solitaire Bouteflika.
Le rendez-vous ne s'apprete certainement pas a etre conseillé aux ames sensibles amoureuses et jalouses de leur Algerie.