Algérie : cherche désespérément un président normal
Lakhdar Brahimi, Abdemalek Sellal ou Ahmed Ouyahia ? C’est l’après-bouteflikien voulu par Bouteflika. On croyait qu’on enterrait le cadavre sans le coffre-fort sauf quand il s’agit d’un pharaon constructeur de pyramides, que dire quand on y ajoute un pays et ses 40 millions de mortels.
Apparemment, la Grande Mosquée ne suffit pas à se déconnecter de la Terre et se concentrer exclusivement à l’obtention du visa pour le Paradis. Si au moins le triangle appartenait aux Bermudes où l’on explore les profondeurs pour expliquer la malédiction. Le mahdi de l’Algérie est l’un des trois. Intox 1 : un test, le véritable larron est caché, il sortira au bon moment en nous chantant la surprise "… et Zorro est arrivé, le grand Zorro…" Intox 2 : une blague avec une Algérie bonne fille habituée à faire rire. Info, c’est plus inquiétant. C’est l’Agence américaine Stratfor qui donne le nom des trois sauveurs de l’Algérie. C’est la preuve que la fameuse "main de l’étranger" s’invite d’abord au Palais avant de contaminer ses bidonvilles.
Lakhdar Brahimi : Trop vieux dans un pays où plus de 70 % des humains auraient pu être ses petits-enfants. Si les grands-parents sont plus formidables c’est parce que le plus dur est déjà accompli avec les parents. Mais dans les hautes sphères de la politique, plus on vieillit plus on se bonifie. Le site Wikipédia nous informe que l’aïeul de 82 ans a reçu le titre de Docteur Honoris Causa de Sciences Po à Paris en 2016. Traduction, de la politique au propre et au figuré, l’homme gravite vraiment au sommet, côté relations : Bush, roi de Jordanie, etc. Et une progéniture abreuvée par la baraka paternelle à l’intérieur et à l’extérieur. Un vrai moudjahid bien récompensé par une Algérie décolonisée qui pardonne tout à ses chouchous même le harem des patries. S’il peut avoir de la sagesse, l’ancêtre ne peut se targuer d’avoir une once de chance à offrir à ceux qui en manquent. On se souvient de sa médiation dans le début du conflit syrien. Il semble plus doué à animer les cérémonies funèbres qu’à manier le bistouri du chirurgien. Plus apte à conduire le corbillard de l’assoiffé qu’à diriger la prière pour faire pleuvoir le ciel.
Abdemalek Sellal : 15 ans de moins, plus photogénique et surtout plus souriant. Un sourire qui aurait pu le rendre sympa s’il n’était si déroutant. Formé à l’ENA, l’école de ces fameux hauts fonctionnaires zélés de l’Etat. Bouteflika l’a trouvé prêt au service à portée de main. La maladie du sultan propulse l’énigmatique bouffon. Quel intérêt à faire rire un auditoire acquis en se moquant méchamment des Chaouis ? Mystère et boule de gomme. On ne peut que déplorer l’étroitesse d’esprit et la grave inculture quand on sait que le Pouvoir ne cesse de puiser sa légitimité dans la guerre de libération où les Aurès n’ont pas failli à leur devoir. Sétif pleurait encore ses morts quand il est né. Dans ses discours, on ne sait pas quand il cesse de plaisanter : "…sous une seule autorité, celle du Président de la République, Abdelaziz Bouteflika…il n’est pas question que le citoyen algérien connaisse à nouveau la moindre situation de paupérisation…créer de nouvelles opportunités…" S’il parle de lui, il est sérieux. Il ne doit pas compter ses fins du mois et la meilleure opportunité n’est-elle pas de se retrouver parmi les dauphins ? Vraiment pas doué pour la scène ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Pourquoi ce choix ? À moins, que le rire, n’importe quel rire, soit la nouvelle stratégie anesthésiante pour que le spectacle continue même avec l’absence de talent et une salle vide.
Ahmed Ouyahia : Il était là lui aussi au gouvernement, jurant fidélité au nouveau Dey. Même diplôme de l’ENA. Une école bien efficace qui ne ressemble pas à celle qu’on connait. Surnommé l’"homme des basses besognes" par une certaine presse qui ne perd rien pour attendre s’il s’accapare du trône. Son sourire-laser à mille facettes va d’un pic à un autre. L’homme est programmé en robot. On ne compte pas ses coups de pilon sur les petits crânes offerts. On lui doit les retenues automatiques sur les salaires, les cadres en prison, la division par 10 du nombre réel des victimes du terrorisme, la Constitution sur mesure pour le 3e mandat, l’arabisation forcée de la Kabylie etc. Il explique à moité la prophétie de Mouloud Feraoun dans son Journal : "J’ai appris avec stupeur la mort de Mokrane, exécuté en France par le FLN ou le MNA ou… Ah ! Les salauds, le jour où ils auront exécuté tous les Mokrane kabyles, ils pourront toujours chercher un honnête homme parmi eux…"
De nos jours, l’expression, "honnête homme", est aussi déclassée que celle de la "petite famille" d’un Tahar Djaout. Un homme malhonnête n’est pas forcément dangereux si on est prévenu et si on ne va pas jusqu’à lui livrer la clé de la maison. Nous sommes dans l’excessif d’un côté comme de l’autre. Match nul d’après Talleyrand, mais en politique, c’est du crime parfait. On ne se bat plus avec les mots. Exemple : Pour se débarrasser d’un journaliste qui passait son temps à le critiquer, Voltaire raconte qu’un jour ce dernier est parti se promener dans une forêt, une vipère l’a mordu. Elle en est morte.
Pourquoi un tel choix ? Où est le facteur humain, le projet, l’avenir, le désir de changer, de ne plus collectionner les scandales, les farces, les mascarades, les campagnes bidons, les sourires vipérins, l’humour assassin envers ceux qu’on appelle en rigolant sec les "citoyens algériens" ? Pourquoi Bouteflika n’a-t-il pas eu le courage de mettre son frère aux commandes comme l’a fait Castro à Cuba ? Après tout, vaut mieux compter sur le frère du "dieu" que le frère de l’autre qui ne l’est point. Il faut écouter la sagesse des anciens qui affirme qu’il vaut mieux se méfier du riche qui s’appauvrit que du pauvre qui s’enrichit. En Occident, on est déjà en période post- démocratie et la Chine qui n’a jamais connu de démocratie ne connait pas non plus les roitelets fainéants boulimiques et déserteurs qui n’hésitent pas à écraser le dernier nouveau-né pour sauver leur vieille carcasse. Un père sévère, mais qui assume n’a rien à voir avec un père cool et démissionnaire. Encore moins un père tyrannique corrompu et démissionnaire.
En Europe, les pays les plus stables sont des monarchies. Il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné dans la République quand la France a coupé la tête de son roi pour aboutir à l’Empire de Napoléon. L’Egypte a eu le Pharaon et Nasser ; l’Algérie, Massinissa et Boumediene. Ce qui explique qu’on n’a pas des pyramides pour attirer les touristes encore moins une agriculture pour ne pas crever de faim. Massinissa a préféré faire la guerre au lieu de construire des édifices qui défieront le temps et Boumediene contrairement à Nasser, a préféré livrer les terres nourricières aux militaires non aux agronomes. Nous continuons à faire les choix qui défient le bon sens, qui deviennent de plus en plus suicidaires. Quand le déséquilibre atteint l’horloge naturelle forgée depuis des dizaines de milliers d’années, il n’y a que l’inné pur qui peut s’opposer à l’acquis pollué. L’humain "primitif" contre l’humain "civilisé". La naïveté des mots, le regard sincère d’un Boudiaf tendant la main en tournant le dos au rideau meurtrier a suffi à le faire aimer. À le reconnaitre aussi vulnérable que le plus démuni des gueux. Pourtant, il est mort avant de sauver le pays. Depuis 75 ans, Harvard poursuit une expérience sur des centaines d’individus de tous les milieux. Les chercheurs les ont suivis pas à pas durant tout ce temps pour définir ce qui pouvait rendre heureux l’être humain. Les résultats ont révélé que si plus de 80 % pensent que l’argent fait le bonheur et que 50 % c’est la célébrité, ces réponses ne tiennent pas plus d’une décennie. La relation avec l’autre détrône l’argent et la célébrité. Ils ont déduit, sans surprise, que pour être heureux, on a besoin, en cas de coup dur, de compter sur quelqu’un.
Le secret de Mohamed Boudiaf c’est la confiance qu’il inspirait aux Algériens, on pouvait compter sur lui. Il suffit d’écouter les experts expliquer la crise de 2008 qu’ils n’ont pas vu venir. Quelque part, un pion s’est mis à douter et tout l’édifice a fini par s’écrouler. On l’appelle l’"effet papillon". Le problème de l’Algérie c’est l’absence de la confiance verticale qui seule génère ou efface la confiance à l’horizontale. Si la sociologie affirme que tous les peuples se valent, la différence vient nécessairement de ceux qui les dirigent. Il suffit de constater comment les stratégies innées de la manipulation mises en place et perfectionnées depuis 1962 ont détruit durablement notre tissu social. Ne laissant subsister que le mépris de soi, la haine de l’autre et l’indifférence qui elle-même, dit-on, est le plus grand des mépris. Les Algériens ont fini par étonner leurs marionnettistes devenus des exemples à suivre en obtenant même des prix pour avoir transformé des êtres humains, jugés indomptables, en zombies. Sans avoir eu besoin de lire la psychologie des foules, ni eut vent des expériences faites sur des cobayes humains par des Universités américaines. Résultat, dans les caves de la pyramide, c’est la méfiance qui manque le moins. "Quand ils sont venus chercher les communistes. Je n’ai rien dit. Je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les juifs. Je n’ai pas protesté. Je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques. Je n’ai pas protesté. Je n’étais pas catholique. Mais ils sont venus me chercher. Il ne restait personne pour protester." (Internet)
Il a fallu plus d’un demi-siècle, les caprices d’un pétrole nourricier, un terrorisme de masse, une carte mondiale redessinée et une Kabylie menaçante pour que le Système admet du bout des lèvres que ceux qui ne se reconnaissent pas dans une origine arabe puissent puiser, si ça leur chante, leurs racines d’une berbérité fossilisée. Combien de temps faut-il attendre pour que le pays puisse avoir un Président normal comme les autres ? Pour enfin avoir les mêmes problèmes que les autres ? N’est-ce pas une occasion de mettre une personne, qui sans faire de miracle puisque au moins, à défaut de guérir la plaie, ne pas l’aggraver. Les Algériens sont fatigués d’une Algérie qui quand elle cesse de faire peur, devient une risée.
Mimi Massiva
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