Entretien avec Anthony Bellanger : ''L'Algérie a payé un très lourd tribut pour la liberté de la presse''
À l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, organisée conjointement par le gouvernement finlandais et l'UNESCO, du 2 au 4 mai, à Helsinki, nous avons rencontré lors du panel de discussion: ''Renforcement de la dynamique de sécurité des journalistes'', M. Anthony Bellanger, Secrétaire général de la Fedération Internationale des journalistes (FIJ). À rappeler que ce jeune syndicaliste français, également historien, était le premier secrétaire du Syndicat national des journalistes (SNJ) en France, un mandat pendant lequel il s'est exprimé sur l'autorégulation déontologique des journalistes, les défis de la profession, notamment la polémique sur le "mur des cons", quand son syndicat a apporté son soutien au Syndicat de la magistrature en France.
Le Matindz : Comment évaluez-vous les ateliers de la journée mondiale de la liberté de la presse, organisés cette année à Helsinki ?
Anthony Bellanger : D'abord, il faut dire que c'est toujours bon de se rencontrer entre partenaires qui travaillent dans le même sens, alors c'est évident qu'on n'a pas forcément les même missions qui sont liées aux mêmes financeurs...etc. La Fedération internationale des journalistes représente aujourd'hui plus de 600 000 journalistes dans le monde, il est donc clair que nous, on travaille pour le nombre, et quand on intervient dans une telle occasion, on est là car nos confrères ont besoin de notre support et notre protection.
C'est donc toujours positif de parler entre nous de ce qui se passe, et surtout de faire un point sur ce qu'est la situation. D'autant plus, ces panels apportent éventuellement des nouvelles et surtout des solutions dont nos membres ont besoin. Il est justement évident qu'on a une grande responsabilité vis-à-vis de nos confrères qui sont aussi nombreux, et qui, eux aussi, permettent d'informer leur public en priorité.
Pendant le panel, vous avez évoqué l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes. Quel est votre plan avec la communauté internationale pour faire face à ce phénomène ?
Permettez-moi d'abord de rappeler que je suis à la direction de la FIJ depuis seulement sept mois, et puis j'ai été moi-même journaliste et à la tête de mon organisation syndicale pendant plusieurs années en France. Comme l'impunité met en danger les journalistes, j'estime donc que leur sécurité est un point extrêmement important, qui nous chagrine et nous inquiète toujours. Je note qu'il y a presque deux journalistes qui meurent chaque semaine dans le monde, ce qui est sérieusement énorme. Depuis 1990, il y a 2300 journalistes qui sont morts, et je cite à l'occasion, votre pays, l'Algérie, qui a payé pendant les années 1990s un très lourd tribut pour la liberté de la presse.
Notre mobilisation face à l'impunité est souvent basée sur les deux plans national et international. Sur le plan international, la FIJ est membre associé de l'UNESCO dont l'une de ses missions est la protection et la sécurité des journalistes. On travaille alors au quotidien dans un groupe de partenaires, en essayant de faire et lancer nos traveaux.
En outre, la FIJ a aussi un statut de membre de l'ONU, qui permet justement à son président ou son SG de donner régulièrement à l'ONU des avis et des propositions qui concernent l'intérêt de nos confrères.
D'autre part, nous collaborons directement avec des universitaires, des juristes et des chercheurs qui travaillent sur les lois internationales. Ces académciens nous apportent effectivement leurs visions par rapport aux mécanismes internationaux de la protection des journalistes. À cet égard, je cite qu'on est entrain de lancer un projet dans le monde arabe en collaboration avec les deux universités de Londre et Beirut. Je conclus donc que la FIJ travaille à plusieurs niveaux, et ses actions sont souvent basées sur le terrain, et la coopération avec des chercheurs en droit de l'université de Londres. Ces derniers nous apportent remarquablement beacoup d'informations et surtout la matière dont on a besoin. À mon avis, un journaliste a toujours besoin de tout le monde pour essayer d'avancer sur ce le terrain.
Quels sont les mécanismes de coordination avec vos organisations affiliées en ce qui concerne l’impunité pour les crimes contre les journalistes ?
Sur le plan national, on travaille avec nos affiliés pour former des journalistes locaux. Pendant les dernières années, on a pu former plus de 2500 journalistes. Je souligne également qu'au niveau de l'organisation internationale, il faut qu'il y ait du soutien et d'abord un vrai pouvoir. Quand à l’impunité, c'est bien beau de voter des lois et des résolutions, mais ce n'est pas du tout suffisant s'il y a de plus en plus des morts. Et pour qu'il y ait une véritable vision sur le terrain, il faut que les organisations internationales puissent avoir le pouvoir nécessaire pour faire pression sur les gouvernements et les états. Ceci pour avoir un système judiciaire fort, et un système policier correcte qui, les deux, puissent lancer des enquêtes pour arrêter les tueurs et les juger. S'il y a vraiment une politique juridique judiciaire qui est mise en place derrière un meurtre d'un journaliste, c'est évident que les assassins d'autres journalistes se posent d'autres questions. D'ailleurs, c'est le cas des grandes démocraties où tout un arsenal juridique se met en place, et les assassins sont souvent arrêtés. Enfin, pour renforcer les Etats, il faut les aider pour aiguiser tout cet arsenal juridique qu'il soit justement à la hauteur.
Cette Journée mondiale de la liberté de la presse nous rappelle aussi d'une sombre décennie en Algérie, d'abord que représente pour vous ce pays, et comment évaluez-vous la liberté de presse aujourd'hui en Algérie ?
(sourire) Je ne peux pas dire que je sois un spécialiste d'Algérie, mais c'est évident que c'est un pays dont on est trop proche. Si vous me demandez mon avis en tant que citoyen français, je dirais que votre pays est symboliquement très important, et qui, aussi, partage avec la France des héritages pas forcément beaux à voir. Pour moi, l'Algérie restera un grand pays, et quand j'entends parler de l'Algérie, je pense surtout à Albert Camus. Il fut un grand journaliste et écrivain.
Au sujet de la liberté de la presse dans ce pays, je pense qu'elle est mieux qu'ailleurs et s'est améliorée, mais il y a aussi un progrès à faire. En revanche, nos confrères algériens ont un peu de mal à travailler sur des sujets qui sont un peu compliqués et chauds, je parle surtout de la corruption. J'avoue que c'est toujours difficile et dangeureux de travailler sur des sujets sensibles notament en Algérie. D'autre part, il faut dire qu'il y a certains journalistes et syndicalistes algériens qui travaillent beaucoup pour que la presse puisse s'exprimer d'une façon vivante.
Il y avait dernièrement une chaude polémique autour du refus d’Alger d’octroyer des visas à un journaliste du Monde qui devait couvrir la visite officielle de Manuel Valls en Algérie. Un commentaire ?
Je pense que notre point de vue à la FIJ est clair par rapport à cela, et le syndicat français a aussi dénoncé ce refus puisque il y avait un ministre français qui était concerné. Il est évident que c'est absolument scandaleux de refuser l'accès à des journalistes en leur refusant un visa.
De mon côté, j'espère aller un jour en Algérie pour parler de la liberté de la presse dans le monde, ou bien pour parler de l'engagement des journalistes en Algérie, j'espère donc qu'on me refusera pas de rentrer (sourire). Ceci dit que l'Algérie est un grand pays, et les journalistes algériens ont besoin des journalistes étrangers pour qu'ils puissent y avoir un miroir de ce qui se passe chez eux. Je rappelle enfin que la Fedération internationale des journalistes est la première organisation dans le monde à soutenir les journalistes en Algérie.
Entretien réalisé à Helsinki par Hamza Amarouche
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