La politique, l’ascenseur social, les jeunes n’y croient pas !
Selon un rapport du CNES, les jeunes algériens font beaucoup plus confiance aux institutions religieuses et l’armée et se méfient des instances élues et des partis politiques.
Selon un autre rapport de l’enquête «Afrobarometer», rendu public le 12 août 2015, seulement 50% d’entre eux, âgés entre 18 et 29 ans, s’intéressent aux affaires publiques, alors qu’ils sont 55% au Maroc, 57% en Mauritanie et 71% en Tunisie. Plus d’un quart des jeunes algériens (26%) ne parle jamais de politique, 70% participent, occasionnellement à des débats ou des discussions sur des sujets politiques ; une très petite minorité, 5%, aborde fréquemment des thèmes politiques, selon le même rapport.
Les jeunes Algériens se retrouvent, en définitive, les plus dépolitisés au Maghreb, derrière les Tunisiens, les Marocains ou les Egyptiens. Dans un pays où l’abstentionnisme aux élections est en hausse régulière, il n’est pas surprenant de voir le rapport relever que 89% des jeunes algériens, de 18 à 29 ans, n’ont participé à aucune campagne électorale lors des dernières élections. Baltaguias exclus ! Des chiffres qui n’étonnent pas selon certains politologues qui sont arrivés à la conclusion que "ce ne sont pas les jeunes qui sont dépolitisés, c’est l’offre politique existante qui ne fonctionne et n’attire pas les citoyens". Pour ces mêmes politologues qui tiennent, tout de même, à nuancer leurs propos "le début d’engagement politique de la jeunesse algérienne, après les émeutes d’octobre 1988 a été, brutalement, interrompu par l’échec du processus démocratique et la plongée du pays dans la violence à partir de 1992".
Selon les constats de l’enquête menée par Afrobarometer, ce ne sont pas les signes d’une "dépolitisation", mais d’une "méfiance généralisée" à l’égard de la politique qui fait partie des "effets durables de la décennie noire". A l’égard aussi des mêmes têtes politiques qui n’ont pas changé depuis l’ouverture démocratique en 1989 et qui refusent l’alternance. Le rapport note, et c’est le fait le plus important, que 90% des jeunes Algériens interrogés sont "contre l’usage de la force en politique". C’est un enseignement positif qui semble avoir été tiré de la plongée dans les violences dans les années 90.
Mais ce sont peut-être les premières générations livrées à elles-mêmes sans autorités à affronter, encore moins de valeurs à contester. La solution à leurs avatars ne se réglera pas à la hussarde, ni par décret, encore moins par le biais d'un quelconque "Haut Conseil à la Jeunesse", qui ne servira, en fin de compte, qu’à caser quelques planqués de la République ! Et tous ceux qui pensent avoir trouvé l'angle parfait pour résoudre cette question des jeunes et de cette manière, font fausse route. D’ailleurs, et à la question qui leur est posée : «qu'est-ce que vous attendez en tant que jeunes ?». On vous répond : «nous n'attendons rien du tout, absolument rien !» Ça résonne comme une sentence de tribunal. Ça tombe comme le couperet de la guillotine.
Déjà pour certains, ils ont quitté prématurément l’école. Ils n’ont ni le savoir ni les clefs leur permettant d’entrer dans la vie active. Ils ont aussi rompu les amarres avec leurs parents, la fracture générationnelle est ainsi consommée. En grandissant, ils ont découvert les vertus de la rapine, de la force et de l’obédience ; ils ont perdu de vue l’effort, le civisme et la dignité. Et puis comme l’a écrit Kamel Daoud "l’effet baril de pétrole a enfanté toute une génération à morphologie reconnaissable de loin : cheveux taillés en aileron de requins, yeux petits et fureteurs, bras mous, sans os, corps glissant, sang froid comme celui du reptile veuf, la génération "Ibiza blanche" ; enfermée dans le maraudage, sans but que le petit instinct sous l’aisselle. Et ce n’est pas fini, la rente, l’Ansej et l’argent gratuit vont produire d’autres monstres flasques pour les prochaines décennies".
Une grande proportion des 16-20 ans n'est plus intégrée au système éducatif. Beaucoup d’entre eux étaient déjà peu enclins à faire des études, puisqu'ils étaient déjà en plein dans le marché et le commerce informels. D'autres, franchement, n'avaient ni les aptitudes ni l'envie de continuer leur scolarité au-delà du collège. Les 16 ans et plus, sont ceux ayant raté le B.E.M et l'entrée au lycée, non sans avoir au préalable, redoublés de quelques classes. Les 20 ans et plus constituent la tranche des recalés du B.A.C et de leurs congénères qui l'ont passé et repassé, en vain. Les stages, la formation professionnelle, très peu y pensent dès lors que les créneaux porteurs sont saturés. Donc, l'école, le lycée, ils les quittent qui forcés, qui usés, mais en tout les cas sans regrets, car ces jeunes là sont encore immatures et dans l'insouciance des lendemains. Mais le système éducatif a bonne conscience et s'en sort quitte. Il est certes décrié, mais il continue néanmoins à remplir l'objectif républicain qui lui est assigné, à savoir : «l'école obligatoire jusqu'à 16 ans». Le cap du primaire passé, le gros de la masse des élèves accède au collège, grâce aux cessions de rattrapage dès la 6éme pour un grand nombre qui, en prime, quittent le primaire avec une scoliose, pour cause de cartable trop lourd et de chaise cassée ou mal ajustée.
Au collège, le changement réside principalement dans l'infrastructure et les données restent les mêmes : enseignants au rabais, effectifs surchargés, programmes inadaptés, manque de professeurs de français, quand ce n'est pas ceux des mathématiques et cantines et ramassage scolaire inexistants, comme le chauffage d'ailleurs.
Et à toutes les étapes, les élèves "apprennent, beaucoup plus qu'ils ne comprennent". Le brevet d'enseignement moyen signifie, pour ceux qui ont redoublé de classe, l'élimination en cas d'échec. En tous les cas, les objectifs de l'école fondamentale sont saufs :
- la règle de l'école obligatoire a été respectée.
- aucun élève n'est exclu avant ses 16 ans et la réussite au B.E.M.
En l'absence d'amélioration des conditions de l'enseignement, c'est-à-dire la réforme de la réforme de Benbouzid, l'école fondamentale restera un échec pour beaucoup d'enfants et de parents. Sauf si madame Benghebrit, la ministre de l’éducation nationale, décide de "ne pas lâcher l’affaire" et surtout qu’elle ne soit pas débarquée du gouvernement comme l’exigent certains, oulémas inclus !
Pour ceux qui rentrent au lycée, ils ne visent qu'un seul objectif : le baccalauréat et l'entrée à l'université. Le diplôme acquis, les étudiants lauréats se retrouvent dans des campus "au service minimum" en matière d'amphis, de réfectoires, de chambres et de moyens de transport. Il faut faire avec, d'autant plus que beaucoup d'étudiants se contenteront d'un label «enseignement supérieur» peu significatif, au regard des lacunes qu'ils ont accumulé dans leur scolarité, dès le primaire, le collège et le lycée.
Dans ces conditions, à quelles connaissances et à quels sujets de réflexions, les étudiants peuvent-ils accéder par eux-mêmes ? Une infime minorité est familiarisée avec les livres et une majorité n'a jamais tenue entre ses mains un quelconque ouvrage ou simple roman. Tout comme une majorité de nos députés !
Pour les exposés, un seul salut pour les étudiants : le copié- collé ! Pour la majorité déjà, avoir simplement la moyenne demande des efforts titanesques. Ils ne sont pas découragés pour autant, car au bout du compte, ils sont gagnés par la certitude d'obtenir, quoiqu'il advienne, un diplôme à la valeur intellectuelle douteuse, mais socialement monnayable. Mais dans l'absolu, tous ces jeunes, nos jeunes s'accordent à dire que seul l'emploi peut les stabiliser dans leur vie de tous les jours. Lui seul leur permettra de s'épanouir, de tirer des plans sur la comète et de rêver d'avoir un logement et la cerise sur le gâteau, se marier.
Alors, posons-leur encore une fois la question : "avoir un logement, une fois que vous serez mariés ?" "Non, non ! Avant, sinon ce n’est pas possible, car avec la famille ça ne marchera pas". Tenez par exemple en matière d'habitat, n'est-il pas possible de leur trouver des formules selon leur désidérata : un petit deux pièces cuisine pour se marier et réduire les divorces de pas mal de jeunes couples débutant dans la vie ?
En fin de compte, la jeunesse serait bien un mythe dont la spécificité apparait très mal : rien ne lui est destiné en propre : "On a une vie programmée comme un âne qui va labourer le matin et revient le soir" disait un jeune. «Et s'il n'est pas nécessaire d'aller labourer, je reste au lit jusqu'à midi. Là, je me fais virer par ma mère, mais si on me laissait tranquille, je dormirais jusqu'à 16 heures». La société, la notre, se cherche encore pendant que «son armée inutile de jeunes», en errance, n'en finit pas de grossir !
Les jeunes disent qu'ils ne s'intéressent pas à la politique. Détrompez-vous, c'est en fait le verbiage politique et la langue de bois qu'ils rejettent. Quant à la liberté d'expression qui est un slogan qui revient souvent dans leurs propos, ils savent en user et même en abuser, notamment dans les stades qui sont pour l'instant, les seuls exutoires utilisés. Souvent ils ne savent pas quoi dire mais, pour les plus férus, ils l'expriment à travers les réseaux sociaux et autres forums les regroupant : pour passer le temps» disent-ils et aussi quelques messages qu'il nous appartiendra de décoder.
L’Etat a, certes, multiplié l'enseignement, construit des logements, des routes et des hôpitaux. C'est suffisant, ce n'est pas assez, le problème n'est pas là, car aujourd'hui, il est peut être victime de son succès ou de son omnipotence, et surtout confronté à une triple rébellion : du social tout d'abord, qui est dans le même temps soumis aux exigences économiques de profit, de rentabilité et corrélativement, de grèves et de conflits sociaux ; de l'enseignement ensuite, incapable de se mettre à niveau dès lors qu'il ne s'est préoccupé que du quantitatif au détriment du qualitatif ; des libertés, enfin, qui font partie des acquis et des réformes qu'il s'est engagé, en tant qu'Etat, à mener à terme.
Mais il y a surtout cette question de "l’ascenseur social" (existe-t-il ?) qui est restée au stade du discours ! Discrimination, piston sont des mots qui viennent à l’esprit des jeunes dès qu’on leur parle de "l’égalité des chances". Tout est dit : qu’ils soient blasés, pessimistes ou tout simplement réalistes, les jeunes, en toute certitude, ne croient pas ou plus en l’ascenseur social. Le pays doit s’organiser pour que chacun d’entre eux, en fonction de ses seuls mérites, puisse accéder aux positions les plus élevées. L’enjeu, pour les jeunes d’aujourd’hui, est d’obtenir un emploi supérieur à celui de leurs parents par le prestige et le revenu.
Mais force est de constater que la compétence n’est plus une addition d’un ensemble de savoirs, mais obéit, aujourd’hui, à la possibilité de se mouvoir dans une congestion de passe-droits que le pouvoir a installée et qu’il ne maitrise plus !
Ali Cherif
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merci