J’écrirai ton nom,…

L'imposture du pouvoir est d'avoir trahi l'idéal des chouhada tout en se réclamant de leur mémoire.
L'imposture du pouvoir est d'avoir trahi l'idéal des chouhada tout en se réclamant de leur mémoire.

J’écrirai ton nom. Partout. En lettres sonores pour réveiller les consciences de ceux dont tu as acheté le silence, et de ceux qui n’ont pas encore saisi l’ampleur du naufrage. Dans toutes les langues, et en braille pour les malvoyants.

Par Ahmed Bacha

De nuit, quand les jeunes se rassemblent pour fumer leur désespoir, de jour aussi, même si je sais que tes chiens me barreront le chemin. Je l’écrirai sur les murs, par le tract et le tag, le laser qui perce les nuages, et les faisceaux des phares qui illuminent la mer. Sur les troncs, les branches et les feuilles des arbres, les poteaux électriques et les mâts des bateaux. Sur les pierres de nos oueds desséchés, et les flancs de nos barrages envasés. Sur les cerfs-volants et les plumes des oiseaux. Sur le sable et les rochers, et le dos des poissons. Je creuserai la terre, et l’écrirai sur les racines afin que les générations futures l’identifient à la trahison. Sur les sachets qui défigurent les paysages, mais préserveront le message un siècle avant de se décomposer.

Sur les trains et les autobus des transports collectifs. Sur les panneaux de l’autoroute crevassée qui conduit jusqu’aux portes du Maroc, et sur la crête du futur minaret de la Grande Mosquée d’Alger censé ouvrir, crois-tu, les portes du Ciel. J’écrirai ton nom où que je serai, où que tu seras ; je te pourchasserai en le criant jusque dans le trou de Tikrit, la zaouïa de Djelfa ou celle de Mascara, et même au Panama ; je ne t’accorderai aucun répit, et pour te le prouver, je twitterai ta photo jusqu’à ce que le monde entier te reconnaisse, te déteste et s’écarte avec dégoût sur ton passage. Je ferai imprimer ton nom sur des tee-shirts que je distribuerai à tous vents afin que tu sois reconnaissable de loin, pour te faire perdre le sommeil par crainte de l’émeute. Je l’écrirai parce que je n’en peux plus de le taire, et je vais le faire sans tarder, dès aujourd’hui, car le temps presse et le péril imminent. Quelqu’un doit commencer, et je veux être celui-là. Je suis déterminé à écrire, seul s’il le faut, jusqu’à convaincre de me suivre. Et quand je serai fatigué de l’écrire par les mots, je le hurlerai par le mégaphone, ou l’épellerai en clignant des yeux si on m’empêche de parler.

J’écrirai pour te dénoncer, toi qui nous as séduits de ta flûte enchantée et bercés de ton charme pour asseoir ton règne, puis floués de tes mensonges. Que n’as-tu pas fait ? Tu as revêtu la toge du parler vrai et celle de l’amour de la patrie, clamé et déclamé ton passé à l’envi, et nous avons cru qu’enfin nous allions redresser la tête, mais voilà, tous les masques dont tu as usé sont tombés, et tu le sais. Tu as trahi les chouhada et les générations à venir, béni les assassins, couvert les voleurs et blessé nos âmes, et tu oses maintenant quémander notre pitié. Jamais, entends-tu, jamais nous ne t’accorderons notre pardon. Je suis indigné, vois-tu, révolté de nos illusions déçues, et de nos angoisses devenues insupportables par ta faute. Regarde autour de toi, tu as tout brûlé, pillé, saccagé, jusqu’à ne nous laisser que la mer devant nous et la menace des dunes derrière. Pourquoi ? Tu n’avais pas le droit. Non, tu n’avais pas le droit de nous raconter des fables, de te moquer de nos attentes. Alors, j’ai décidé de t’interpeler par ton nom parce que je suis en colère, parce que je n’apprécie pas d’avoir, par ta langue fourchue, été berné. Tu aurais pu tout avoir, notre admiration et notre fierté en sus, mais tu as choisi la vilenie et préféré notre mépris. T’emmurer dans le silence ou la distance, dans la folie ou la maladie, ne te sauvera ni de notre réprobation, ni de l’enfer au jour du Jugement Dernier.

C’est la fin de ton parcours, ta fin, elle est affligeante mais elle me réjouit, et je veux même la précipiter en l’annonçant sur les portes, zenga zenga. Je suis le premier à te jeter la pierre pour te lapider, les autres suivront avec la consigne de ne pas t’achever, car tu ne dois pas mourir. D’ailleurs Dieu lui-même semble avoir opté, devant la ferveur de nos prières, pour t’octroyer l’immortalité afin que tes jours ne soient qu’une longue et douloureuse souffrance. Il n’y a rien de plus dramatique que d’être là, dans un état second où la vie et la mort se disputent ton corps et ton cerveau, sans qu’il te soit autorisé l’euthanasie qui soulage. Quel triste sort que de subir les affres de la solitude, de la tourmente de l’âme, et de la peur de la sanction irrévocable de l’Histoire dont les tablettes ont figé ton véritable nom: imposture.

A. B.

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Commentaires (3) | Réagir ?

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chawki fali

Le journal nous aide beaucoup

Les sujets sont précieux et distinctifs

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Ahmed Bacha

Moh arwal, c'est moi qui te remercie, mon frère, de m'avoir lu avec ton coeur!

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