La censure du livre de Benchicou vue par Kamel Daoud (Quotidien d'Oran) : "Brûler un livre vous réduit à de la cendre"

La censure du livre de Benchicou vue par Kamel Daoud (Quotidien d'Oran) : "Brûler un livre vous réduit à de la cendre"

Faire aboutir l'histoire d'un pays à l'usage des autodafés est une misère morale grave. L'Algérie n'en a pas besoin et un geste du genre à retirer des imprimeries un ouvrage quel qu'il soit, réduit le Roi à un roitelet, le pays à une propriété et l'histoire à une mégère apprivoisée. C'est le cas avec le second ouvrage de Benchicou stoppé à la hauteur de son accouchement et à quelques jours du Salon International du Livre, selon ce qu'il dit depuis des jours. Une vraie misère et les raisons sont évidentes : l'histoire dans ces cas-là ne retient pas la qualité de l'ouvrage, la moralité basse ou haute de son auteur, l'inculpation de diffamation ou celle d'opportunisme, mais seulement un geste : celui de brûler un livre. Car dans ce cas-là, deux erreurs fondamentales sont commises et endossées : celle de ne pas remarquer que lorsqu'on brûle un livre, cela prouve que ce sont les inquisiteurs qui sont réduits à de la cendre avant d'en venir à cette solution. Et celle de croire qu'on peut brûler un livre en mettant le feu à son papier. Dans le cas de l'ouvrage de Benchicou, on peut ne pas aimer sa façon de surfer sur ses propres vagues autobiographiques, de réduire l'exercice de l'opposition à de l'oppositionisme en feuilleton, de réduire le métier à sa personne ou de s'être converti à l'amour après avoir perdu la guerre, mais cela ne doit jamais mener à ce genre de procédés policiers qui nuisent énormément à l'image du pays et à ses valeurs, déjà malmenés par des décennies de machettes contre manchettes, de radicaux contre radicaux, de héros du jour contre héros de toujours, de barbus contre assimilés. On peut se répéter qu'on n'a pas besoin de Benchicou, mais on n'a pas besoin, surtout, de censurer ses livres et de recourir à ce genre de dictat de la matraque contre la galaxie de Gutenberg. Le procédé est trop vieux pour nous rajeunir. Il sent trop la caricature, la chicanerie et le grossier et cette bureaucratie mécanique qui rend les Etats tellement détestables.

On peine à même à l'imputer à l'épopée d'un retour du « Tout-Etat » et l'isoler de quelques fixations personnelles, entre deux personnes. Le pire est que cela arrive toujours au moment le plus risible et le plus dramatique de l'histoire présente. Souvenez-vous : durant le Salon International du Livre 2007, le premier livre de Benchicou a été censuré au beau milieu du scandale nationalo-nationaliste de fautes graves dans les manuels scolaires et d'amputations répétées de l'hymne national. Aujourd'hui, cela arrive entre deux inondations, au beau milieu d'une noce informelle avec l'Organisation de la Francophonie, avant le Salon International du Livre. Cela vous transforme l'Auteur en héros, ses opposants en hommes des cavernes et le livre en best-sellers même si personne ne va le lire. L'auteur y gagne en prestige, l'Autorité en autorité et le livre en publicité. Et l'histoire de l'Algérie depuis l'arrivée des Phéniciens ?

Kamel Daoud (Quotidien d'Oran)

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Commentaires (7) | Réagir ?

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hamziz

c est sur, il aurait pu etre croustillant, mais maintenant?

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Abed

C'est toujours un plaisir de vous lire Mr Kamel Daoud. Mais l'on doit ajouter que la noce informelle avec la Francophonie s'est transformée en honneurs qui font oublier au roitelet l'autodafé subi par le livre de Benchicou qui est certainement croustillant et que nous avons hate de lire.

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