Ces voix debout !
Au royaume de la rapine, de la connivence et de l’impunité, il remplace le juge défaillant, l’enquêteur absent, l’opposant muet et l’intellectuel réfugié dans sa tour. Il irrite les gouverneurs-délinquants, les oblige aux piètres justifications, contredit leurs allégations et leur confisque ce privilège régalien : la domination du mensonge.
Par Mohamed Benchicou
Djilali Hadjadj est de ces hommes dont on peut dire qu’ils sauvent l’honneur d’une Nation : il est une voix qui brise un silence dégradant. Une petite voix, certes, une voix acculée au coin du ring, harcelée, parfois raillée, et raillée par ceux-là même qui ne répugnent pas à philosopher avec le corrupteur et le corrompu, une voix presque solitaire, mais une voix ferme et claire qui, dans les ténèbres du mensonge et du désenchantement qui nous sont familiers, entretient une lueur d’espoir et de justice et préserve les chances d’un renouveau.
Les Algériens sans voix, ont besoin d’espérer, ont besoin que tous ceux qui peuvent parler, relayer leur silence. Si tous se taisent, c’est la porte ouverte au désespoir général. Ils sont, heureusement, quelques-uns, Djilali Hadjadj, Amira Bouraoui, Hocine Malti, le regretté Abdelhai Beliardouh, pour ne citer que ceux-là, quelques esprits déterminés dans cette Algérie violée, à refuser que s’ajoute la honte à l’outrage, à empêcher que ne s’installe, insidieusement, l’image d’une patrie violée mais consentante.
Ils ne sont pas de ces intermittents du combat, tantôt en affaire avec le pouvoir, tantôt en colère contre lui. Eux se moquent de l’humeur du roi, ne prétendent à aucune de ses faveurs, mais seulement à la justice, à la vérité, à ce qui devrait être et qui ne l’est pas.
Djilali ne joue pas au héros, ni au justicier. Il ne veut être ni l’un ni l’autre. Il ne montre pas ses biceps de "Chaoui" comme d’autres, lui le fils de Khenchela, parce que sa bataille, il ne la mène ni en tant que Chaoui ni en prêtre moralisateur ni encore moins en chevalier rédempteur, mais seulement en tant qu’homme, un homme qui souffre, un homme en colère, un homme comme tous les hommes mais qui, habité par cette souffrance devant l’injustice et cette colère devant l’impunité, a choisi de renoncer aux privilèges de l’indifférence et de basculer dans le camp de ceux qui veulent vraiment quelque chose, et sont décidés à en payer le prix.
Le médecin de la clinique de Beau-Fraisier, l’ancien militant du PAGS, a choisi de devenir le continuateur d’un combat ancien : banaliser le progrès. Il marche sur les pas de ces travailleurs et intellectuels engagés qui, tout au long des siècles, ont donné une consistance à la liberté, l’ont imposée dans un monde inique, jusqu’à ce qu’elle devienne le principe même de notre pensée, l’oxygène indispensable, celui que nous respirons naturellement et qui nous fait suffoquer quand il vient à nous manquer.
Si, en ces moments à la fois pénibles mais décisifs, la liberté, la justice, l’équité, sont en recul en Algérie, laissant la "normalité" au népotisme et au règne des maquignons, c’est parce que leur utérus reproducteur, leur nid naturel, le mouvement révolutionnaire, a été laminé et que ses authentiques défenseurs, par lassitude ou par découragement, se sont détournés d’elles. Le combat, à contre-courant, de cette poignée d’hommes et de femmes qui disent non à la corruption, non au pouvoir absolu, non au règne des mafias, réinstalle la quête de liberté au sein de sa famille fondatrice.
La liberté, la démocratie, la vérité, la transparence, ne seront pas octroyés par le pouvoir comme elles ne sauraient être le combat des islamistes. L’islamisme comme le pouvoir sont les fossoyeurs de la liberté, quoi qu’en pensent certains, quoi qu’en pense M. Chirac pour qui le pain est plus indispensable que la démocratie. Un monde sans pain est un monde sans liberté, certes ; mais un monde sans liberté est un monde où le pain est menacé, parce que plus rien ne dépend de vous, seulement de vos maîtres.
Les hommes n’éradiqueront le spectre de la faim que lorsqu’ils neutraliseront leurs maîtres. J’y vois tout le sens du combat de Djilali Hadjadj : parce que nous avons abandonné l’initiative politique à nos seuls maîtres, ils ont généralisé la corruption et le pillage au point de mener le pays à la faillite et de rendre le pain hypothétique dans les années à venir.
Ces Algériens qui ont choisi de risquer plutôt que de se taire ou, pire, de louvoyer, resteront dans les mémoires comme des créatures déraisonnables qui auront su racheter le déshonneur qui était nôtre. Ils ne pourront certainement pas, à eux seuls, recréer la justice et la liberté. Mais leur déraison ne restera pas sans effet : ils ont esquissé les contours de ce qui doit être. Nous finirons par l’obtenir.
M. B.
Commentaires (10) | Réagir ?
Merci
Merci