Des crapules et des lâches en "Panamache" !
"Le monde est une mascarade où le succès va de préférence aux crapules", Bel-Ami, Guy de Maupassant.
Par Kacem Madani
Hallucinantes ! Atterrantes ! Désespérantes, que ces révélations de sociétés offshores et ces comptes détenus par des politiciens et des célébrités sensés donner les bons exemples d’éthique et de vertu aux petits peuples dont ils sont issus. De l’oseille provenant de sources douteuses, blanchie par des circuits sordides, pour se transformer en comptes bancaires lointains, des paradis fiscaux sur un territoire minuscule, coincé entre les océans atlantique et pacifique, à l’abri de tout regard indiscret, éloigné de toute prospection, y compris de celle des cieux ! Des comptes qui s’élèvent bien souvent à des dizaines ou centaines de millions d’euros, quand ce n’est pas tout simplement des milliards de dollars!
Mais noms de noms de tous les démons du ciel et de la Terre, que peut donc bien faire quelconque «humanus-mortemus», dont l’espérance de vie ne dépasse guère quelques malheureuses dizaines d’années, de ces sommes colossales, quand un calcul rapide vous fait réaliser qu’un million d’euros équivaut à 72 années de salaire minimum de croissance (1150 euros est le smic mensuel pour l’année 2016 en France) et que 20 millions représentent carrément 1440 années du même smic, l’équivalent de la durée intégrale des épopées et de l’Histoire du monde musulman ? Ya Ibad Allah, comment peut-on nous faire croire qu’un politicien qui jongle avec de telles sommes sans être pris du moindre tournis (ne parlons pas de remords) puisse prendre le recul nécessaire pour appréhender les problèmes du citoyen d’en bas et consacrer sa vie à façonner son destin avec attention, générosité et bienveillance, la rahma d’Allah coulant dans chacune de ses veines pour servir de fluide épurateur qui ne laisse couler que flux et reflux de protection et d’assistance? C’est à croire que cloitrés dans leurs tours d’ivoires, les politiciens et les hommes et femmes fortunés du monde, milieu sportif compris, avec ses Platini et ses Messi, vivent dans un monde parallèle, un monde qui empêche toute perception de la misère et des fins de mois difficiles dans lesquels se débat le citoyen honnête aux quatre coins de la planète ! Ces pratiques aux apparences de décadence extrême sont annonciatrices d’une déchéance apocalyptique irréversible. Elles rappellent étrangement une scène du «dernier empereur». Celle dans laquelle on empêchait le jeune Puyi de sortir de la cité interdite afin qu’il ne découvre pas l’indigence du peuple qu’il régente. Dénuement chronique qu’il finit néanmoins par percevoir, avec effroi, quand il réussit à s’échapper de l’enceinte de la forteresse impériale dans laquelle il fût élevé, dans le faste et la somptuosité, dès l’âge de trois ans, pendant que le petit peuple criait famine.
Descendez donc de vos citadelles Messieurs les politicards ! Mirez et côtoyez vos peuples au lieu d’en piller les fonds et d’en sucer le sang !
Pendant que des millions, peut-être biens des milliards, d’euros volés par les proches de Bouteflika voltigent entre comptes frauduleux et paradis fiscaux, l’opposition, à l’instar de Sofiane Djilali, s’évertue à composer des anathèmes chocs pour sortir le citoyen Algérien de sa torpeur, avec des insinuations qui ne prêtent à aucune confusion. Monsieur Djilali ne prévoit pas moins qu’une "explosion nationale si les Algériens ne refusent pas l’acte immoral du retour de Chakib Khelil aux affaires. Dans le cas où ils l’accepteraient, il faudra comprendre qu’ils ont déjà trahi leur nation. …nous saurons alors si les Algériens sont un peuple ou une simple peuplade…. Auquel cas, la descente aux enfers ne fait que commencer !»
La descente aux enfers pour qui Cheikh Djilali ? Le peuple ne peut pas descendre aux enfers puisqu’il y est déjà depuis cette invasion funeste de l’été 1962 ! «Seb3a’snine barakat (7 ans, ça suffit !)», vous égosilliez-vous à l’adresse de l’armée des frontières! Eh bien, voilà venu le temps de fredonner «Khamssine’sna ou mazal» (on en demande encore, après 50 ans!) à l'unisson.
Quant à trahir la nation, comment peut-on nous designer, nous la petite peuplade, de traitres quand nous n’avons été associés à aucune cause et que depuis la nuit des temps, on ne fait que nous incorporer de force à des «civilisations», des valeurs et des constantes qui ne sont pas les nôtres ? D’ailleurs, à propos de peuple et de peuplade, nous préférons, de loin, cette dernière dénomination, parce qu’elle est porteuse de paix et de sérénité, de quiétude et de fraternité, d’étés paisibles à l’ombre bleue des figuiers, loin des tumultes, des conquêtes et des guerres, souvent fratricides, que se livrent toutes sortes de crapules aux quatre coins de la Terre ; qui au nom des Dieux du ciel, qui au nom de ceux de la cagnotte et du miel (ashkoune yekhdem fi la3ssal ou ma idoukch avait postulé Boumediene en son temps! Sauf qu’il ne s’agit plus de gouter au miel mais d’ingurgiter des ruches entières, cocons et alvéoles quasi plénières !).
Le monde se porterait tellement mieux sans cette frénésie et ce rapport malsain à l’avoir. De l’argent à remplir toujours plus d’armoires. Cette fureur du gain facile, via des postes de pouvoir toujours plus corrompus, semble de plus en plus éloigner l’homme des préceptes fondamentaux de sa propre existence. Des préceptes que les anciens pourtant, dans leur infinie sagesse, ont bien su décoder pour nous les transmettre génération après génération, mais que l’homme dit moderne dilue à tarissement fatal dans un moule virtuel néfaste qui l’éloigne à vertigo de l’essentiel. Dans ces moments d’incompréhension et d’angoisse sur l‘insatiabilité des hommes, il me revient souvent en mémoire des souvenirs de ma grand-mère, et ceux d’une philosophie du terroir simple et humaine. Certains épisodes dont j’ai eu la chance d’être témoin m’ont donné la juste mesure, c'est-à-dire un zéro quasi absolu, de l’argent et des richesses de ce bas monde, surtout en ces moments inéluctables de recueillement qui se profilent à toute allure, l’œil rivé sur l’heure de la retraite qui se prépare à sonner la fin d’une activité que l’on croyait pouvoir renvoyer aux calendes grecques, pendant les années de jeunesse et d’insouciance qui dessinaient avec allégresse et enivrement les contours du royaume de l’éternité.
J’avais à peine 12-13 ans, en cet après midi de printemps où j’accompagnais cette grand-mère à la stature impérieuse sur les sentiers terreux de mon village natal, ma petite main droite bien blottie dans la sienne, une poigne de fer si réconfortante que d’y penser m’en fait ressentir les bienfaits. En cours de route, nous avions salué à un p’tit vieux, assis dos contre mur, la tête enfouie entre les genoux comme pour s’extraire, fut-il en illusion fugace, de ces moments sinistres où le monde qui l’entourait lui paraissait ingrat et hostile. Salutations auxquelles il ne daigne pas répondre! Nous avions avancé de quelques pas de plus à peine que, tout en m’entrainant avec elle, ma grand-mère virevolte avec fermeté et détermination pour apostropher le Vieux sur un ton quasi militaire, mais sans perdre le moindre iota de déférence :
- Dis-moi Amar-Hamou, je viens de te dire bonjour et tu n’as pas daigné me répondre ! Tu dois donc avoir un sacré problème, que se passe-t-il ?
- -moi tranquille Ouardia! grommelle-t-il.
- Non, je ne décamperais pas d’ici avant que tu ne m’expose ta peine et tes problèmes!
Il faut dire qu’elle avait de la trempe ma petite grand-mère. Une étoile tombée d’un ciel radieux pour amoindrir les tourments et les souffrances de nombreuses veuves et de nombreux orphelins !
Vaincu par tant de détermination, le petit vieux déverse quelques confidences relatives à de petites contrariétés familiales, essentiellement centrées sur le fait qu’on l’avait déplacé d’une grande pièce, au profit de son fils, pour lui octroyer une chambre plus petite, lui le patriarche !
Au terme de son récit, et contre toute attente, ma grand-mère s‘esclaffe de rire. Troublé, la mine renfrognée, le vieux la dévisage, les yeux teintés de consternation et d’égarement (mais qu’est-ce qu’elle a cette cinglée à ainsi rire de mes tourments, devait-il se dire ?) !
- Mais voyons Amar-Hamou, enchaine-t-elle, à ton âge, à Mon âge (70 ans, à peine), que nous reste-t-il de logis à occuper sinon celui qui nous attend là-bas, l’index pointé sur la colline où dominait le cimetière !
À ces mots, comme propulsé par la force d’un ressort de raideur ferme, le vieux se soulève et marmonne «Wallah tu as raison a Ouardia !». Il nous souhaite une bonne journée et s’en retourne gaiement rejoindre le foyer qu’il boudait depuis quelques jours déjà, avions-nous appris par la suite.
Le vieux Amar-Hamou est mort peu de temps après cette anecdote, et ma grand-mère le suivit 4 ou 5 années plus tard, il y a de cela plus de 45 ans !
Quand de tels souvenirs vous reviennent en mémoire, vous avez bien du mal à décoder les mécanismes à l’origine de ces turpitudes qui entrainent inexorablement l’espèce humaine vers la fin de son règne sur la Planète. Un homo-Sapiens devenu si vorace, si avide, si insatiable qu’il serait prêt à dévorer sa propre mère pour quelques bouchées de plus, assurées à son bien être et celui de sa descendance, oubliant souvent que ceux qui sont depuis bien longtemps sous terre vibraient aussi sur les tempos de rêves, d’illusions, de richesses, et d’opulence!
Le monde court à sa perte, à vitesse grand V ! Il est trop tard pour le sauver ! Les crapules sont aux commandes quasiment dans tous les pays, et trop de serviteurs veules et lâches leurs prêtent assistance et mains fortes pour les seconder dans cet ouvrage de destruction collectif irréversible et insensé auquel nous assistons tous en spectateurs, souvent impuissants, mais parfois en toute complicité, pour quelques miettes de rabiot dans nos assiettes!
Indignez-vous, nous lançait, du haut de ses 93 ans, Stéphane Heissel, il y a quelques années de cela ! Monsieur Heissel n’est déjà plus de ce monde pour nous communiquer sa révolte, mais l’indignation à elle seule suffit-elle pour ramener à la raison tant de crapules et de lâches pour dissiper ce sale temps et ces nuages de profit obscène qui s’abattent sur la planète ? Comment ne pas en douter ? Tant la machine du dernier souffle semble s’être emballée au point que nulle force, nulle sagesse n’est plus en mesure d’arrêter sa course folle vers le destin final, celui d’une auto-extinction dont nulle autre espèce animale ne peut se vanter depuis que les premiers balbutiements de vie sont apparus dans les océans et la Terre! Mais après tout, l’homo-sapiens n’est il pas le seul animal à avoir creusé sa propre tombe, en délimitant les enceintes de ses cimetières pour se mettre à l’abri des charognards, perturbant ainsi le cycle même de la vie, établi par dame nature il y a des millions et des milliards d’années ?
Tous les dieux, tous les saints, tous les anges, tous les prophètes qui ont ordonné à l’homme de tuer l’homme sont morts! L’homme leur a survécu ! Mais saura-t-il sacrifier son confort, étancher sa soif de richesses, et modérer son indigne appétence à l’opulence pour assurer sa pérennité ? Panama ne nous le dira pas, ni le clan Bouteflika! Dès lors, sachons nous contenter du bonheur d’avoir vécu pour contempler le ciel et les étoiles, écouter chanter les oiseaux, nous émerveiller du rire de nos enfants ! En guise d’ultime réconfort et de bénédiction, souhaitons leurs bons vents !
K. M.
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