Et si on laissait les armes aux vestiaires ?
Petites phrases, querelles, attaques personnelles, meublent la scène politique nationale, au moment même où l'horizon de notre pays tend à s'obscurcir, conséquemment à la chute brutale du prix du baril de pétrole et des agitations aux frontières.
Par Cherif Ali
Les hommes politiques algériens n'ont pas, finalement, attendu longtemps pour parler "dru et cru". Sous la pression des joutes oratoires, leurs mots refoulés sont, parfois, pleinement exposés, publiquement, notamment par les chaînes de TV privées. Ces dernières en veulent toujours plus et pour faire de l'audience ; elles créent et survendent, elles-mêmes, des événements, même si cela ne se justifie pas. Elles sont dans l'instantané, à la différence d'un «20 heures» qui peut se préparer tout au long de la journée et, elles usent les thèmes et les sujets, recherchent le scoop, le font tourner en boucle, sans prendre la peine d'en vérifier la source.
On se rappelle du mémorable "naâl bou limayhabnech !", lancé par Amara Benyounès qui le poursuit à ce jour. Ou encore le gros "juron" proféré par le secrétaire général de l’UGTA, mais vite absous pour ne pas nuire à la carrière de celui qui pouvait encore servir. Il y avait aussi le "ferme ta gueule" adressé par l'homme d'affaires Ali Haddad à Louisa Hanoune ! Il n'est pas à mettre dans le compte d'un quelconque dérapage, vulgaire, du débat politique. On est devant une sommation de se taire, faite par un représentant du business, qui l'affirme, politiquement, et affiche, clairement, ses ambitions !
Ces "indignations", des uns et des autres, qui s'expriment de manière aussi discourtoise que brutale, semblent plutôt convenir à certains qui pensent que la politique, c'est un sport de combat où tous les coups sont permis. Les paroles les plus blessantes, les plus insultantes, et parfois les plus amusantes sont, paradoxalement, bien accueillies par le peuple. Cela semble, désormais, s’ériger en doctrine, car en Algérie, nous sommes arrivés au stade où les ennemis de la liberté d'expression ont toute licence de s'exprimer et d’insulter qui ils veulent !
Les réseaux sociaux, ravis de l'aubaine, se sont, d'ailleurs, enflammés au lendemain de cette insulte proférée à l’encontre de la secrétaire générale du Parti des travailleurs. Il suffit, faut-il ajouter, que quelqu'un soit pris comme «tête de Turc» pour que tous les internautes lui tombent dessus. A la diabolisation de la victime, s'ajoute sa dévalorisation ; elle subit une moquerie cinglante et souvent obscène et le préjudice est énorme au moment même où le recours contre les méfaits de la toile reste insignifiant voire impossible.
Le discours de la classe politique algérienne n'est, décidément, plus ce qu'il était. Hier, fécond, révolutionnaire et progressiste, aujourd'hui, il est fait d'injures, d'invectives et de menaces. Ces passes d'armes entre politiciens, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, sont symptomatiques de la dérive langagière et comportementale de nos sociétés. Elles sont aussi révélatrices de l’absence de projets chez beaucoup de ceux qui ont fait de la politique leur métier.
Mais pourquoi tant de haine ? Les débats sérieux de fond sont relégués aux oubliettes ! On élève un écran de fumée dans le but de détourner l'attention des citoyens des questions gênantes. On est loin de l'ambiance du fameux "dégage" tunisien, lancé comme une insulte à Ben Ali et qui a précipité son départ du pouvoir. Largement déployé aux regards admiratifs, urbi et orbi, c'était à la fois une phrase, un mot et un message. Son succès a été planétaire et il vient de sa capacité à se décliner d'une infinité de manières. Puisé dans la langue de Molière, il a été traduit en "Irhal" en Egypte avec les résultats que l'on sait. Partie comme un cri de cœur, cette expression est devenue le mot d'ordre populaire, par excellence, le mieux partagé au Moyen-Orient et même ailleurs. C'est une sorte de «sms» politique, plus besoin de perspectives encore moins de prospectives, a dit le sociologue Driss Jebali et encore moins de plan ou de gosplan. Le slogan suffit ! Dégage, est devenu à lui tout seul, une sémantique politique, un mot «projectile», selon le sens qui lui a été donné par Alain Rey, l'un des plus grands spécialistes de la langue française. Nul besoin de jugement, nul besoin de présomption d'innocence. On sort du simple registre politique pour pénétrer dans celui de la revanche symbolique, du défoulement libérateur et, surtout, plus grave des règlements de compte. La rue Vs pouvoir. La rue contre le wali, le maire ou tel directeur d'entreprise détesté par les travailleurs. Mot d'ordre, il restera, incontestablement, dans l'imaginaire. Presque autant que le célèbre "no passaran !" associé à Dolorès Ibarru Gomez, et prononcé par les partisans de la seconde République en lutte contre les rebelles nationalistes commandés par Franco.
Génie du peuple ! Métier des journalistes, aussi ! Ces derniers sont à l’affût de toutes ces petites phrases prononcées, comme on dit «off the record», micro fermé, qui font que la relation entre journalistes et responsables publiques, peut paraître parfois, ambigüe. Certaines déclarations sont faites en toute intimité, mais la confiance est brisée quand le propos ou le mot, exprimé en aparté, souvent pour décontracter l'atmosphère, donc de manière non officielle, est rapporté et dévoilé au grand public.
Comme celui lâché par Abdelmalek Sellal à un sénateur-ami, lors de la dernière campagne électorale et qui lui a valu une «bronca» générale ; il est allé jusqu'à s'en excuser, mais rien n'y fît. Les journalistes et les réseaux sociaux ont en fait leurs «choux-gras». Les habitants de la wilaya de Batna l'ont déclaré «persona non grata»; heureusement pour lui, son adjoint de campagne d’alors, ancien wali de la région et ministre bien en vue dans l’actuel gouvernement, s'est déplacé sur les lieux, usant de tout son tact et de sa parfaite connaissance de la wilaya et de ses habitants pour tout d'abord, «recoller les morceaux» et ensuite, calmer les esprits.
Qu’est-ce que les algériens espèrent des politiciens d’aujourd’hui ? Ils veulent, tout d’abord, tout savoir des projets du gouvernement. Et aussi des intentions de l'opposition ! Ils veulent, désormais, qu'on parle à leur intelligence et non pas qu'on leur impose un langage de charretier, en guise de débat et de programme politique.
Malheureusement, la sécheresse politique a gagné tous les partis. L’heure n’est plus aux propositions et aux idées. C’est le temps des règlements de comptes, de l’invective et des menaces, à voir le spectacle donné par les chefs du FLN et du RND. Non convaincu de l’utilité du meeting du 30 mars prochain, Ouyahia flingue son rival estimant qu’il fait dans le «spectacle» ; il se dit, pour sa part, se consacrer aux «choses sérieuses», le plus important pour le RND qu’il préside, consiste à soutenir le président de la République et aussi expliquer tout ce qu’entreprend le gouvernement afin de susciter l’adhésion du peuple ! Il faut dire que le FLN et le RND, ne se gênent plus à exposer leurs divergences : Saâdani allant jusqu’à dire qu’il n’a pas confiance en Ouyahia. L’enjeu, le premier ministère. Voire plus !
Alors que l’Algérie est menacée dans ses frontières, le FLN continue de s’attaquer au RND, celui-ci torpille l’opposition et cette dernière s’entête à demander au pouvoir de partir. Et tout ce beau monde, à croire qu’il vit dans une bulle, s’est donné rendez-vous le 30 mars prochain. Pour en découdre ! Au même moment, le vice-ministre de la défense et Chef d’état-major de l’ANP alerte l’opinion nationale sur ce que "notre région vit, actuellement, comme troubles et aggravation de la situation sécuritaire, qui augurent sans doute, des issues défavorables sur la stabilité des pays concernés". Le président de la République, conscient de la gravité des risques planant aux frontières du pays, a convoqué et présidé en urgence un conseil de sécurité restreint à l’issue duquel trois décisions ont été prises en matière sécuritaire, humanitaire et diplomatique.
Bien sûr, d’aucuns ne manqueront pas de faire remarquer que le pouvoir, une fois encore, joue sur la peur, sur le péril externe pour éventuellement faire passer toutes les mesures et les décisions impopulaires. Pourtant le risque existe bel et bien. La Libye est complètement déstabilisée. La Tunisie et le Mali sont, totalement, vulnérables. Et la région est en état d’alerte car la menace est réelle ; elle a été rappelée par cette attaque d’un champ gazier d’In Salah et aussi par ces frappes terroristes qui ont touché le cœur de l’Europe, Bruxelles !
Aux uns et aux autres de prendre leurs responsabilités mais aussi et peut-être surtout réfléchir sur ce qui mine la politique et l’implication citoyenne, comme en témoignent la désaffection des urnes et la très mauvaise opinion des algériens sur les partis politiques.
On peut même parler de détestation. Pourquoi ?
- Selon un rapport du CNES, les citoyens font beaucoup plus confiance aux religieux qu’aux politiciens !
- Les personnalités politiques ont souvent menti sur leurs intentions en ne traduisant pas en actes leurs promesses ou en prenant des décisions, pourtant, non annoncées
- Les Algériens ont l’impression que les élus sont des profiteurs du système, qu’ils ont professionnalisé la politique au point de ne plus avoir pied dans la vie économique réelle
- Ils ont aussi l’impression de ne pas être consultés ni écoutés
Dans l’urgence d’aujourd’hui, on pourrait admettre qu’il existe des choses plus urgentes que celles consistant à arriver coûte que coûte au pouvoir, ou vouloir le conserver à tout prix.
Toutes les bonnes volontés, où qu’elles se trouvent doivent se mettre en synergie pour défendre le pays, même si personne n’imagine qu’on est conviés à se tenir la main, tendrement, les uns et les autres, pour le plus grand bonheur possible. Quoique ! Dans le temps présent, peut-on alors espérer des hommes politiques de tous bords, une pause dans leurs pugilats afin de permettre au pays de souffler et de s’organiser pour mieux se défendre. Et passer le plus dur, le jeu de massacre politique pourra recommencer. Bien entendu, ce n’est pas facile, car cela revient pour chacun des partis politiques à brutaliser son aile la plus conservatrice et la plus radicale. Dans l’intérêt de la nation.
Alors, que les armes restent aux vestiaires.
C. A.
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merci
merci pour le sujet