Le plagiaire, le col blanc et la délinquance
Le plagiat qui est un crime, une pratique délinquante menace tragiquement la propriété intellectuelle et gangrène gravement toutes les institutions universitaires, médiatiques et éditoriales.
Par Ahmed Cheniki
La blogueuse et l’essayiste, Djemila Benhabib, vient d’être accusée et "blâmée sévèrement" pour plagiat par le conseil de presse du Québec, rapporte la presse québécoise. La chroniqueuse reconnaît avoir repris des propos sans signaler la source et fait des "des raccourcis. Je suis capable de faire mon autocritique. Je suis capable de reconnaître un certain nombre d’erreurs involontaires que j’ai commises", a-t-elle déclaré dans une conférence de presse. Il y a quelques années, un professeur algérien a reçu le prix littéraire le plus prestigieux des Emirats, mais par la suite, le jury avait découvert qu’il s’agissait d’un simple plagiat. Le blâme sévère serait la sanction la plus grave attribuée par le conseil de presse du Québec.
Les accusations de plagiat marquent sérieusement le territoire de la culture de l’ordinaire. A Khenchela, à Constantine et ailleurs, on n’arrête pas de découvrir des cas aussi graves, vite étouffés. Un critique égyptien vient d’accuser un professeur algérien de plagiat. La chose mériterait d’être sérieusement vérifiée, d’autant plus que le plagiat est devenu une denrée plutôt fertile en Algérie et dans les pays arabes.
Qu’est-ce que le plagiat ? Quelle est la frontière entre plagiat et intertexte ? Ce type de vol caractérisé touche tous les secteurs de la vie nationale. A l’université, des enseignants et des étudiants sont devenus des maîtres en la matière. Des thèses de doctorat et de très nombreux mémoires de magister sont tout simplement une compilation de faits construits sous la forme du "copier-coller". Des argumentaires de colloques sont reproduits tels quels. Dans le monde du théâtre et de la culture, la chose est évidente. Des auteurs considérés comme des "cheikhs" de l’écriture dramatique n’arrêtent pas de jouer à cette confortable et paresseuse gymnastique. Les univers législatif et juridique restent marqués, par endroits, par ce fléau. Il y aurait des centaines de cas prêts à être rendus publics. Aujourd’hui, les logiciels anti-plagiat sont légion. Le statut de l’enseignant-chercheur promet des sanctions lourdes, mais jusqu’à présent, aucun universitaire n’a été poursuivi pour ce grave délit de corruption aussi condamnable que les cas de détournement à la Sonatrach, l’autoroute Est-Ouest ou le secteur de la culture.
Cette forfaiture qui est devenue un véritable sport national.
Il y va de l’avenir du pays mis à mal par ce type de pratiques extrêmement graves reflétant l’état lamentable de nos établissements d’enseignement supérieur et de nos structures culturelles. A l’université, les gens sont au courant de qui a plagié qui et savent que l’impunité touche cette catégorie d’universitaires, tous grades confondus (professeurs, maîtres de conférences, maîtres-assistants). Ce serait intéressant de relire tous les mémoires et les thèses et de les vérifier au moyen des logiciels anti-plagiat. Il y aurait d’énormes surprises. Le statut de l’enseignant-chercheur considère, en principe, le plagiat comme une faute du quatrième degré, mais ce texte reste encore non appliqué. Les textes d’application ne sont pas encore élaborés alors que le décret portant statut de l’enseignant chercheur date de mai 2008. Des enseignants reprennent tout simplement des cours directement d’Internet, sans citer la source. La chose est simple. Les «conseils scientifiques» n’ont souvent de «scientifique» que le nom, expression de l’absence tragique des universités algériennes dans les classements internationaux. Des cas de plagiat sont rendus publics ici et là : à Sidi Bel Abbès, trois professeurs de chimie ont reproduit des articles tirés d’une revue marocaine. Une affaire non encore élucidée au ministère de l’enseignement supérieur pose problème. Des universitaires de Annaba, Tlemcen, Constantine, Alger et ailleurs se sont nourris illicitement de cette reproduction facile et confortable des travaux des autres, en reproduisant parfois de longs passages, l’architecture d’une thèse, les éléments bibliographiques ou parfois en changeant le nom de l’auteur. Des institutions universitaires et des centres de recherche étrangers ont, à plusieurs reprises, alerté sur ce mal qui ronge les universités étrangères. Aujourd’hui, un lobby du plagiat semble avoir pris forme dans nos universités, empêchant tout examen ou sanction contre ces pratiques. Cette banalisation du mal est l’expression de la grave déliquescence des espaces universitaires et culturels algériens et de la mauvaise gestion d’une université fermée à tout mode de fonctionnement démocratique fondé sur le mode électif comme c’est le cas des universités étrangères sérieuses. Le plagiat devrait être considéré comme un crime devant mener son auteur à l’exclusion de l’université et au retrait des diplômes. Si on faisait le ménage à l’université, en partant de cette question éthique et de cette pratique délinquante, des enseignants seraient invités à quitter les lieux.
Tant que la transparence est absente, les choses resteront en l’état, d’autant plus qu’il existe des jurys de complaisance, sans compter cette prime de 100000 dinars accordée à tout enseignant faisant soutenir son étudiant en thèse de doctorat en moins de quatre-cinq ans qui favorise cette pratique. Il faudrait repenser profondément les conditions de soutenance et le choix des membres des différents jurys. Comme cette triste réalité d’accepter des thèses réduites à un simple travail de compilation, c’est-à-dire poussant à l’élaboration de "thèse de thèses", la négation même du doctorat. Cette manière de faire est surtout présente en lettres et langues et dans les sciences sociales où sévit une manière de faire désormais systématique, scindant la thèse en deux parties, «théorique» (tout simplement une simple synthèse) et pratique. D’autres types de plagiat caractériseraient le territoire des sciences exactes et de la technologie.
L’université n’est pas la seule structure à user de ce type de pratiques, la presse, par exemple, est également le lieu de prédilection de ce sport qui touche tous les journaux algériens, sans exception. Les anciens d’El Moudjahid se souviennent bien de cette scène où une journaliste criant au scandale parce qu’elle aurait été plagiée par un collègue qui, en fin de compte, n’avait fait que reproduire un article d’Alger-Républicain que tous les deux ont tout simplement volés. Beaucoup de journaux d’après 1990 ont reproduit l’architecture et même parfois les titres de quotidiens étrangers, expression d’une absence manifeste d’imagination. La reprise bête et méchante des dépêches d’agences ou des communiqués de presse, usant de signatures maison, marque le quotidien de la presse algérienne. La presse est truffée d’articles volés ou repris tels quels d’Internet (copier-coller).
Les structures étatiques sont souvent une copie conforme des appareils institutionnels français. Cette manière de faire transparait d’ailleurs dans le discours de nombreux politiques algériens.
A l’étranger également, cette délinquance en cols blancs sévit dans de nombreux secteurs. Si en Allemagne ou dans d’autres pays comme la Grande Bretagne et les Etats-Unis, il est sévèrement réprimé, on se souvient de l’affaire du ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, en 2011, qui finit par se retirer de la vie politique, en France, les choses ne semblent pas beaucoup évoluer. Certes, à l’université, avec l’obligation de vérifier tout travail à l’aide du logiciel anti-plagiat, les choses semblent aller dans le bon sens, malgré quelques affaires souvent traduites au pénal (Christine Marchal-Sixou), mais, par contre, dans le monde éditorial et médiatique, des écrivains reconnus (Henri Troyat, Michel Houellebecq ?), des "intellectuels médiatiques" (Alain Minc), cinéastes (Luc Besson), journalistes (Patrick Poivre d’Arvor, Joseph Macé-Scaron) ou les politiques (Rama Yade) sont ménagés, alors qu’ils sont accusés de plagiat.
A. C.
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Le journal nous aide beaucoup
Les sujets sont précieux et distinctifs
"Le plagiat devrait être considéré comme un crime devant mener son auteur à l’exclusion de l’université et au retrait des diplômes. Si on faisait le ménage à l’université, en partant de cette question éthique et de cette pratique délinquante, des enseignants seraient invités à quitter les lieux. "
Monsieur Cheniki, vous vous étonnez de la banalisation du plagiat dans le milieu universitaire algérien. Il me semble que vous oubliez que la Recherche Scientifique est chapeautée depuis pas mal d'années par un certain Aourag Hafidh qui a été lui-même dénoncé comme copieur puisqu'il a ni plus ni moins que volé le programme national de la recherche français pensé et conçu par la brillante V. Pecresse, ministre français de l'enseignement supérieur à l'époque. Je dis bien "Volé" car il n'y manquait même pas une virgule dans la vulgate version Aourag. Ce monsieur est toujours Directeur général de la recherche !
Il n'y a pas de quoi s'étonner ni d'être outré quand la médiocrité et la rapine sont au service de la Médiocratie; c'est un ca (bis) qui remplace le cerveau dans la boite crânienne de ces soi-disant universitaires.