L’endettement de l’Algérie, tout le monde en parle !
L’emprunt n’est pas une hérésie quand celui qui en bénéficie fait preuve de bonne gestion ; il le devient quand l’argent ne sert, en définitive, qu’à alimenter des tubes digestifs !
Par Cherif Ali
Pour avoir longtemps sous-estimé les répercussions de la chute du prix du baril de pétrole sur la situation financière du pays, le gouvernement se retrouve, aujourd’hui, acculé à rechercher de "l’argent frais", ou de "l’argent qui dort" nécessaire au fonctionnement de l’économie. Selon les experts, le gouvernement paie, à présent, le prix de son imprévision depuis au moins deux années, convaincu qu’il était que la baisse du pétrole, et partant de ses recettes d’hydrocarbures ne durerait pas et encore moins, qu’elle atteindrait le niveau aussi dramatique qu’abyssal d’un cours du baril de brut à 30$.
Pour se rattraper, il a décidé d’aller vers la bancarisation de l’argent de l’informel. Amnistie fiscale, ont dit certains observateurs de la vie économique et tous ceux qui, dans l’opposition, se réjouissent des difficultés du gouvernement. Parmi ces derniers, il y a Mouloud Hamrouche, l’ancien chef du gouvernement, qui vient de déclarer à partir de Sétif : "Ce pouvoir ne peut produire du développement". L’homme tout en se défendant de poursuivre une ambition ou de prétendre jouer un quelconque rôle s’inscrit comme un recours possible !
Le ministère des Finances soutient, pour sa part, que ce projet constitue l’ultime chance pour les opérateurs économiques qui détiennent des fonds non déclarés, d’entrer dans la légalité moyennant l’acquittement d’une taxe de l’ordre de 7%. En même temps, il confirme qu’aucune sanction ne sera prononcée contre ceux qui choisissent de rester dans l’informel et ce, en plus du fait, que les dépositaires ne sont pas dans l’obligation de révéler l’origine de leurs dépôts.
Formule contre-productive, ont dit des experts économiques, elle ne présente aucun moyen de pression pour réellement résorber ou bancariser l’argent de l’informel. Elle ne servira qu’à ceux qui vont se précipiter aux guichets des banques pour blanchir leur argent. Pour d’autres, la formule n’est pas alléchante dans le sens où elle ne va pas bouleverser les procédures bancaires de gestion et de fluctuation de l’argent.
Les plus radicaux persistent à penser qu’il faut aller vers "le changement des billets" pour éponger tout l’argent de l’informel ! Rappelons que l’objectif fixé par Abderrahmane Benkhalfa consistait à réintégrer quelques 3700 milliards de dinars de l’argent de l’informel. Il avait même incité les PDG des banques à engager des "équipes volantes" pour aller sur le terrain, pour essayer de convaincre les personnes activant dans l’informel à régulariser leur situation vis-à-vis de l’administration fiscale. Si l’ensemble des agences bancaires ne se mobilisent pas pour la réussite de l’opération, nous serons vulnérables dès 2016, a-t-il averti.
Pour le bilan de l’opération, le ministre des finances s’est abstenu de tout commentaire. En revanche, on croit savoir que six agences bancaires de l’algérois, interrogées sur "le programme de conformité fiscale volontaire" en vue d’attirer l’argent informel vers les banques, parlent de résultats "faibles". Dans le Sud du pays, quelques opérations ont été enregistrées. Le nombre reste limité et très en deçà de ce qui était attendu !
Sur l’identité des rares déposants, peu de choses ont filtrées : «ce ne sont pas nos clients traditionnels», a lâché un banquier ; de manière générale, il s’agit de personnes qui n’avaient pas de comptes bancaires ; on ne sait pas d’où vient l’argent et accepter de payer une amende forfaitaire de 7% montre que l’argent provient, probablement, d’activités répréhensibles, surenchérit un autre employé de banque.
Peut-on, aujourd’hui, parler de réussite de l’opération de bancarisation de l’argent informel, telle que voulue par Abderrahmane Benkhalfa ? Ce dernier pourtant, n’a pas ménagé ses efforts à destination des riches commerçants, grossistes, mandataires et autres acteurs de la sphère économique de l’informel, allant jusqu’à leur dire : "Venez à la banque, purifiez votre argent, pour la modique taxe de 7% et devenez un citoyen respectable et au-dessus de tout soupçon ! Et ainsi, vous cesserez de vous angoisser pour l’argent caché dans le matelas qui peut brûler ou pire être volé". Selon les informations révélées par le DG des impôts Abderrahmane Raouia, seuls 250 opérateurs ont adhéré au dispositif depuis son lancement en août 2015, se gardant tout de même, de divulguer le montant global de l’argent informel bancarisé.
En chiffres, il resterait quelque 2500 milliards de dinars à recouvrer pour absorber cette masse énorme d’argent qui circule ou qui dort et qui ne profite pas au développement économique du pays.
L’opération de bancarisation n’a pas été appréhendée, correctement, selon les spécialistes de l’argent informel. Celui-ci n’est pas facilement captable par les banques pour la simple raison qu’il est soit investi dans l’immobilier, ou, carrément, échangé au noir, en devises étrangères, pour être transféré à l’étranger. D’où, les récentes flambées des principales monnaies étrangères, l’euro et le dollar notamment. Il y a aussi l’autre catégorie, celle des commerçants réfractaires, soucieux d’éviter le contrôle, qui préfèrent garder "sous la main", leurs fonds afin de pouvoir bénéficier de toute la souplesse nécessaire de disposer de leur argent dans le cadre de leurs transactions.
De l’avis des experts, il faut passer à autre chose et admettre l’échec de la tentative de bancarisation de l’argent informel. C’était d’ailleurs prévisible. La sacro-sainte confiance du peuple, toutes couches sociales confondues est une base fondamentale pour un choix économique de cette envergure. On se demande, écrivait Abdou Benabbou, par quelle magie bénéfique, un pan démesuré d’une économie informelle puisse, en un claquement de doigt, se transformer et intégrer un circuit formel et réglementé ?
Refroidi, le gouvernement a décidé d’aller vers l’émission d’un "emprunt obligataire", comme vient de le décider le premier ministre Abdelmalek Sellal. Pour palier une insuffisance financière que provoquerait un tarissement, plus vite que prévu des avoirs stockés dans le Fond de Régulation des recettes (FRR), alimenté, rappelons-le, par les excédents dégagés des recettes d’hydrocarbures ; près de 35 milliards de dollars ont été dépensés en 2015.
Selon les experts, le pari de l’emprunt obligataire, "hallal" s’est laissé à dire Abderrahmane Benkhalfa qui, faut-il le reconnaitre, ne ménage pas ses efforts, laisse entrevoir une lueur d’espoir, sauf s’il échoue, faute d’adhésion insuffisante des souscripteurs. Toutefois, il ne faut pas trop compter sur les banques algériennes qui, elles, connaissent un "rétrécissement"de leurs liquidités, selon certains observateurs de la sphère financière, ce qui ne leur permettrait pas d’acheter des actions en masse ! En revanche, d’autres économistes plus avertis, proposent d’ouvrir l’emprunt à la diaspora algérienne à l’étranger. Manière, peut-être de tester son engagement juste après la polémique qui a découlé du fameux article 51 de la constitution.
En attendant, la cacophonie ambiante et les déclarations ambivalentes et contradictoires des membres du gouvernement en charge des secteurs clés de l’économie, ne présagent rien de bon : quand les uns parlent de lever de fond en interne, d’autres préconisent des emprunts extérieurs. A ce stade de la réflexion, on est amené à croire qu’ils taperont dans les deux registres !
La mobilisation de l’épargne interne est la première étape pour faire face à la crise. Tout le monde en convient, il y a un potentiel énorme et un gisement d’épargne privée et publique dans notre pays, a dit Mustapha Mekidèche, mais il faut se préparer à un retour à l’endettement extérieur si le pétrole ne se redresse pas dans un délai de 3 ans.
Le ministre des finances, de passage à la radio Chaine III, a tenu à rassurer : "Les clignotants ne sont pas au rouge !". Le gouvernement, tout aussi optimiste, espère une reprise des cours à partir de 2020/2021, dès lors que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dit que le pétrole remontera à 80$ à cette date.
En clair, le pays pourra résister jusqu’à 2018/2019 grâce à ses réserves de change qui s’élèvent à 143 milliards de dollars. Pourra-t-il, pour autant, éviter le recours à l’endettement externe pour financer ses besoins ? Des entreprises comme Sonelgaz ou Sonatrach ont besoin d’investir : c’est avec des dollars et non pas des dinars qu’ils le feront ! Et les dénégations du ministre de l’Energie, imputant aux journalistes d’avoir déformé ses propos n’y changeront rien.
En définitive, la réponse a été donnée par le représentant du FMI en visite à Alger, Jean-François Dauphin qui a déclaré : "L’endettement de l’Algérie est non seulement souhaitable, mais aussi inévitable pour financer tous les défis qui l’attendent !". Le gouvernement le sait, en l’absence d’un relèvement miraculeux des cours du pétrole, il ne dispose plus que de deux options pour pouvoir disposer de ressources financières conséquentes :
- recourir à l’endettement intérieur (bancarisation de l’argent de l’informel et lancement de l’emprunt obligataire)
- faire le choix d’emprunter à nouveau le périlleux chemin de l’endettement extérieur
De ce qui précède, on relève que chacune des solutions économiques proposées ne suffit pas à elle seule ; d’ailleurs tous les économistes sont d’accord : il ne faut pas avoir peur de l’endettement extérieur lorsque les capitaux ramenés sont utilisés dans les équipements productifs qui génèrent des emplois et de la croissance en général. Ce qui serait contreproductif, voire dramatique, c’est d’utiliser ces mêmes capitaux pour combler les déficits budgétaires.
Au gouvernement d’agir ! Et aussi de poursuivre son effort de collecte de l’argent de l’informel, y compris par le biais de l’emprunt obligataire de 5% mais, penser, aussi, à changer son mode de gouvernance. En veillant, par exemple, à mieux répartir les rôles entre les centres de décision, les acteurs économiques et les régulateurs, comme viennent de le rappeler, judicieusement, les animateurs du collectif Nabni.
Le premier ministre, Abdelmalek Sellal, en est conscient lui qui, dans une déclaration en marge de la cérémonie d’ouverture de la session du printemps du Parlement, a parlé d’un "nouveau modèle économique" : que préconise-t-il, que prévoit-il ? Rien à filtrer pour l’instant, si ce n’est que la présentation dudit modèle économique est prévue pour le mois d’avril prochain. Juste après, c’est la tripartite de juin. Le temps, peut-être, pour le premier ministre d’affiner la liste de ses ministres pour s’assurer que, pour une fois, chacun sera à sa place.
C. A.
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merci
mercii