1er mars 1956 : Le MNA contre les pouvoirs spéciaux
Le débat sur la déchéance de la nationalité pour les bi-nationaux et le spectre d’un effondrement du régime de Bouteflika, redonne soixante ans plus tard, un intérêt particulier sur le moment où le Parlement français a fait le choix d’engager le pays dans la guerre contre le peuple algérien.
La fin de l’Algérie du Statut de 1947
Le 20 août 1955, l’insurrection du Nord-Constantinois, lancée par Zighout Youssef et Ben Tobbal, avait été préparée avec Chihani Bachir par une conférence générale de cinq jours (25 juin- 1 er juillet) tenue à Zamane, regroupant une centaine de cadres de la zone 2. À l’issue de la réunion "à la fois assemblée délibérante et conseil de guerre", Zighout Youssef précise que l’insurrection sera en même temps qu’une action militaire, une action populaire. Les pertes seront lourdes mais "nous serons à l’origine d’un nouveau 1 er novembre". (1)
D’emblée, le soulèvement prend des aspects de révolution sociale, les actions militaires des unités de Djich Et Tahrir (ALN) : attaque des postes de commandement, gendarmeries, commissariats, mairies et gares dans les villes de Collo, Philippeville, Guelma, se conjuguant avec les attaques par les irréguliers de nombreux centres urbains et villages, des jacqueries, pillage de fermes et incendies, exprimant toute la haine des populations musulmanes envers le régime colonial.(2)
Le 20 août est un second 1er novembre, dix mois après celui lancé par Ben Boulaïd pour trois raisons : ● les méthodes de lutte employées : l’appel à l’initiative des masses, l’entrée dans la lutte des messalistes qui ont construit et structuré l’ALN dans la zone 2,(3) la généralisation d’un mouvement où le caractère social et anticolonialiste radical, se différencie des actions bricolées de la Toussaint, par les collaborateurs de Boudiaf ; ● l’intégration de la rébellion dans l’histoire sociale et politique du Constantinois, marquée par l’ampleur du mouvement des AML qui, à son Congrès de mars 1945, a plébiscité les thèses du PPA.
Il est significatif que les sigles du PPA (Algérie indépendante, Assemblée constituante), aient reparu sur les murs, que les insurgés aient brandi le drapeau vert et blanc et chanté l’hymne du PPA. ● le contenu social de l’action est affirmé, en même temps que l’objectif : l’indépendance et le mode d’édification de la nation algérienne, par la consultation et l’auto organisation des masses. La répression sera terrible des dizaines de douars rasés, 12 000 morts et disparus, des milliers d’arrestations (4) mais le fait majeur de cette journée, c’est l’effondrement de l’Algérie du Statut. Plusieurs faits l’établissent : l’accroissement des effectifs militaires passant de 80 000 hommes au 1er mai 1955 à 225 000 en janvier 1956, la motion des 61 élus musulmans de l’Assemblée algérienne demandant la reconnaissance par le Parlement d’une nationalité algérienne, la création à Alger d’un Comité d’action et de défense de l’Algérie française, le ralliement public de Ferhat Abbas au FLN et l’inscription, le 30 septembre de la question algérienne à l’ordre du jour de l’Assemblée Générale de l’ONU. L’action de Bouhafa Abed et de Moulay Merbah, porte-parole de Messali auprès du groupe afro-asiatique avait été déterminante. Le 2 décembre, le président du conseil Edgar Faure qui a succédé, le 5 février 1955, à Mendès France décrète la dissolution de l’Assemblée Nationale. Une nouvelle page s’ouvre.
L’Algérie problème prioritaire
La campagne électorale surtout axée sur le problème algérien, est passionnée. Après la victoire relative du Front républicain (socialistes, radicaux et républicains sociaux), le président René Coty sollicite le socialiste Guy Mollet pour former un gouvernement. Le 14-15 janvier, le congrès extraordinaire de la SFIO à Puteaux adopte une résolution générale qui se prononce pour une solution pacifique et démocratique du problème algérien, bien accueillie par Messali Hadj qui dans un message au peuple algérien demande aux militants d’agir avec ardeur et discipline en "faisant toujours preuve de compréhension à l’égard du peuple français qui, depuis l’époque de l’Étoile-NordAfricaine, est à nos côtés. Nous sommes sûrs qu’il y a des Français en Algérie qui désapprouvent le colonialisme et comprennent nos aspirations."
Le 27, le meeting du Comité d’action des intellectuels, salle Wagram, où 4 000 travailleurs algériens acclament Moulay Merbah, crée une fracture au sein du mouvement des intellectuels, entre les partisans de la Constituante et ceux du FLN naissant. Le 31 janvier, dans sa déclaration d’investiture, Guy Mollet insiste sur l’urgence à régler le problème algérien qui se résume dans le triptyque : cessez-le-feu, élections négociations. Le 6 février, les Algérois, encadrés par l’Interfédérale des maires, les Anciens Combattants et le mouvement Poujade, insultent Guy Mollet devant le Monument aux morts et conspuent le général Catroux qui refuse son poste de Gouverneur de l’Algérie. La capitulation de Guy Mollet à Alger, le 6 février, crée une situation nouvelle dans un Maghreb en pleine évolution. En Tunisie, Bourguiba réclame l’indépendance totale de la Tunisie, pour ne pas être débordé par Salah ben Youssef, soutenu par Nasser. Au Maroc, le général Oufkir a intégré plusieurs unités de l’Armée de Libération (ALM) dans les forces royales (FAR) mais d’autres unités, rattachées à l’Istiqlal, dans le Rif et le Maroc central, soutiennent l’ALN algérienne qui a installé ses bases le long de la frontière algérienne, avec un poste central dirigé par Boussouf. Les pouvoirs spéciaux pour la guerre Le débat qui s’ouvre à l’Assemblée nationale, le 8 mars, se déroule dans un climat marqué par une large campagne alarmiste de la presse et de la hiérarchie militaire sur la gravité de la situation. Dans son intervention, Guy Mollet demande les pouvoirs spéciaux civils et militaires plutôt qu’un renforcement de l’état d’urgence. «La France reconnaît et respecte la personnalité algérienne. L’Algérie est et restera indissolublement liée à la France. Le statut définitif futur de l’Algérie ne sera, en aucun cas, fixé unilatéralement. Il résultera d’une libre discussion avec les représentants élus de la population algérienne. À la collectivité musulmane, le statut devra assurer la reconnaissance et le respect de son originalité et de ses droits. À la collectivité européenne, il assurera de la même façon sa part légitime." (5)
Dans son discours, Jacques Duclos rappelle la position du PCF exprimée dans la déclaration du 2 mars, de son bureau politique.(6) Il votera les pouvoirs spéciaux pour "faire obstacle à toutes les manœuvres de la réaction en développant l’unité d’action de la classe ouvrière et des masses populaires." Pour peser sur le débat, le MNA publie une lettre ouverte à tous les députés pour attirer leur attention sur l’importance de leur vote et pour affirmer que : "Les seules mesures susceptibles de ramener la paix en Algérie, celles que dictent le bon sens et la démocratie sont : 1/ la reconnaissance officielle de l’indépendance de l’Algérie. 2/ la libération de tous les Algériens emprisonnés pour leur lutte anti-impérialiste. 3/ le rétablissement de toutes les libertés démocratiques. Ces conditions remplies, des négociations pourront être ouvertes entre les représentants du peuple algérien et ceux de la République française afin de définir les futures relations entre les deux Etats libres et souverains." (7)
Dans le même temps, il annonce par tract la fondation de l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA), lance un Appel à la grève générale de tous les travailleurs algériens et à une manifestation à Paris contre les pouvoirs spéciaux. Le 9 mars, malgré l’obstruction du PCF, la grève est largement suivie dans la plupart des régions (Nord, Centre, Est, Lyon, Marseille) et dans les branches industrielles qui emploient la main-d’œuvre algérienne : les industries chimiques, la métallurgie, les ports, le bâtiment et les travaux publics, l’alimentation, les hydrocarbures, etc. À Boulogne-Billancourt, où 4 000 Algériens travaillent aux usines Renault, des départements entiers, comme les Fonderies, les Forges et les Presses sont presque arrêtées. (8)
À Paris, depuis le matin, les Algériens arrivent par petits groupes à la mosquée, fixée comme lieu de rassemblement. Mais d’autres lieux de regroupement existent aux portes de Paris : Levallois, Clichy, Nanterre. "À 14 h.40, le drapeau vert et blanc, frappé du croissant et de l’étoile rouge des fellagas, est brandi devant la porte de la mosquée de Paris par quelques jeunes gens et applaudi par près de trois mille Algériens. À 15 heures, les manifestants se constituent en cortège. Au nombre de plusieurs milliers, ils défilent silencieusement en occupant la chaussée. Ils empruntent la rue Geoffroy Saint Hilaire, le boulevard Saint Marcel et le Boulevard de l’Hôpital. Après avoir traversé la Seine, ils suivent le Boulevard Morland en direction du Palais Bourbon, dont les abords sont massivement occupés par les forces de l’ordre." (9)
Le 9 mars 1956, le MNA "complètement dépassé" selon Abane, a exprimé de façon massive, sa représentativité, la discipline et la vitalité de son organisation. Il a démontré, avec son appel à la grève générale des travailleurs algériens et la création de l’USTA, sa nature de parti ouvrier révolutionnaire. Il s’est aussi substitué aux organisations défaillantes du mouvement ouvrier français, pour organiser à Paris et en direction du Palais Bourbon, une contre manifestation à celle des factieux d’Alger, le 6 février. Sur sa lancée, le MNA célèbre, le 11 mars, avec éclat, le 19e anniversaire de la création du PPA et dans un Message à La Voix du Peuple, Messali rappelle le long combat mené depuis l’époque héroïque du Front populaire. Le 12 mars, l’Assemblée vote la confiance au gouvernement Mollet par 455 voix, dont celle du PCF, contre 76. Le vote acquis, la répression se déchaîne contre le MNA, à l’instant où Ferhat Abbas se rend au Caire avec un passeport français. Le 16 mars, Messali est interdit de recevoir des visites, puis il est déporté, le 29 mars à Belle-Isle, comme le fut Blanqui sous Napoléon III. Le MNA réagit en diffusant un tract de protestation et en organisant une grève générale de 24 heures qui sera largement suivie par tous les Algériens de France. Le ratissage de masse de la police et l’action menée par le PCF et la CGT pour isoler dans les usines les messalistes de leurs camarades français vont créer les conditions pour une large implantation du FLN en France qui va s’imposer en massacrant la direction de l’USTA et en caporalisant l’émigration ouvrière algérienne.
Soixante ans plus tard, il est regrettable que la Cité de l’immigration efface toute l’histoire du mouvement ouvrier algérien en France et ignore le combat glorieux des travailleurs algériens contre les pouvoirs spéciaux, pour privilégier la manifestation des Algériens du 17 octobre 1961, qui s’inscrivait dans la lutte pour le pouvoir entre les différentes fractions du FLN, à un moment où de Gaulle allait signer le 19 mars 1962 ˗ célébré maintenant par le repentant François Hollande ˗, un accord avec le GPRA, pour mettre fin à la guerre d’Algérie.
Jacques Simon
Notes
1. Zertouti (Y). «Les chefs de la wilaya 2», Historia Mag, n°13, 15 déc. 1971 ; Ali Kafi raconte ainsi le jour J : "Zighout était conscient que le peuple allait être placé face à une épreuve difficile et que, finalement, il prendra en charge l’opération, en particulier les militants, fils du PPA, très nombreux dans la zone 2 […] et qui attendaient impatiemment cette occasion, avec une foi solide, une conviction révolutionnaire ferme et la détermination de venger, par le sacrifice, la nation asservie." (Kafi Ali : "Du militant politique au dirigeant militaire, Mémoires, 1946-1962", Casbah, 2002, p.61.
2. Ageron (Ch-R). «L’insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois» in La guerre d’Algérie et les, 1954- 1962, pp.27-50.
3. "L’entrée dans les douars et les mechtas en elle-même une victoire pour l’ALN qui surmontait ainsi les hésitations et le doute, et gagnait en crédibilité par sa présence en plein jour. Il faut dire pour la vérité historique que ce travail considérable a été facilité par les militants de base du PPA-MTLD des campagnes. Ce sont eux qui ont constitué la structure et l’armature de l’armée de libération nationale et ont permis de distinguer ceux qui étaient gagnés à la cause de ceux qui lui étaient hostiles, tout en facilitant la mise en place de cellules, sur le modèle qui était celui du PPA-MTLD. L’organisation même de la zone 2, en vue du partage des missions entre les premiers cadres de l’ALN, est calquée sur ce modèle représenté par la Mechta, le Douar, la Kasma, la Nahia, la Mintaka et la Wilaya", Kafi, Ibid, p.59.
4. Vétillard (R). "20 août 1955 dans le Nord Constantinois", Riveneuve, 2012.
5. L’Année Politique, 1956, pp.191-192.
6. "Nous sommes pour l’existence et la permanence de liens politiques, économiques et culturels particuliers entre l’Algérie et la France. […] Mais le maintien des liens souhaitables […] n’est possible que si le peuple algérien peut en décider librement" in Alleg (Dir). Guerre d’Algérie, T.2, pp.40-41.
7. Lettre ouverte du 8 mars 1956.
8. Franc Tireur, Combat, Paris Presse, Les Échos, 10 mars 1956.
9. Le Monde 10 et 11 mars. Dans Alleg, Ibid, T.2 (la photo sur la manifestation des Algériens à Paris le 9 mars, parue dans Paris-Match est reproduite, mais sans dire qu’il s’agit du MNA.
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MERCI
Great info, good thanks.