Le 19 et ses paradoxes…
19. On peut en faire un chiffre magique et lui conférer, dès lors, des pouvoirs occultes.
Ainsi, nous eûmes le 19 mars 1962, annonciateur d’une indépendance elle-même porteuse de tant d’espoirs (même si ceux-ci furent pour la plupart détournés), mais aussi le 19 juin 1965, avec sa cohorte de ‘’révolutions’’, les 1000 villages socialistes, les souk el fellah, l’institution de l’infâme ‘’doigt trempé dans le miel’’ et de la non moins infâme autorisation de sortie. On peut aussi craindre pour ce que nous réservera l’année 19 de ce nouveau siècle. Nous avons opté, quand à nous, pour en faire un sujet de détente, une gageure par les temps qui courent. Essayons tout de même, mais disons tout de suite : honni soit qui mal y pense.
Récemment, nous avons eu nos 19 ; ils, ceux de l’autre côté de la Méditerranée, ont eu les leurs juste après. Chez nous, ce fut un collectif qui demanda …à voir le Président de la République ; là-bas, ce fut une autre action collective, celle-là destinée à porter la contradiction à un journaliste…de chez nous, mais qui n’écrit presque plus que chez eux (et qui réussit l’exploit de décrocher, après seulement une année, leur récompense de la meilleure plume). Misant sur l’émotionnel pour pallier l’inconsistance de leur initiative, et jurant devant les média avoir agi par seul amour du pays, nos 19 ont choisi une date symbolique, le 1er novembre, non pas pour déclencher l’insurrection qui balaierait l’ordre établi, mais au contraire pour se rendre en procession au chêne sous lequel ils auraient renouvelé leur allégeance au prince du moment ; les leurs, mus par la responsabilité intellectuelle qu’implique leur statut, ont rappelé à Icare, sans tambours ni trompettes, que la cire ne protège pas contre le soleil.
Mais que diable le créateur de ’’l’escargot entêté’’ est-il allé faire dans cette galère ? La question est légitime parce que la présence d’un écrivain de renom, de surcroît agrégé de philosophie et professeur d’université, au sein du groupe de nos 19, nous a emplis de perplexité. On a cependant peine à admettre qu’il se trouva là à l’insu de son plein gré ; c’est son droit après tout, le nôtre étant de ne nous en tenir qu’à la démarche de l’entité à laquelle il a adhéré. D’ailleurs, en politique, il ne faut s’étonner de rien ; engagements et revirements, sourires et frappes dans le dos, serments et parjures, sont des comportements ordinaires qui expliquent d’ailleurs la courte vie des alliances. Pour en revenir à notre sujet, il arriva que, conscients que leur mouvement était suicidaire, et souffrait terriblement de son incohérence, mais ne voulant pas perdre la face, nos protestataires commirent l’impardonnable sacrilège : ils menacèrent que s’il n’était pas donné satisfaction à leur requête, ils diraient et dévoileraient et envisageraient et…., puis comprirent ; alors, ils rentrèrent chez eux, penauds et la queue entre les pattes, dépités que le Président invite Mami, Zizou, Bachir Brahimi et Michelle Hidalgo, mais pas eux. Oh, l’injustice! En revanche, c’est leur socle commun qui a réuni les signataires du brûlot parisien: en majorité des chercheurs, c’est-à-dire, des hommes et des femmes de science, auteurs d’ouvrages; leur analyse du texte incriminé, selon les méthodologies de quatre disciplines différentes (anthropologie, sociologie, histoire, et journalisme), a convergé vers la conclusion que celui-ci, dans sa forme comme dans son fond, péchait par ses ‘’clichés éculés’’ et fournissait (fusse inconsciemment) du combustible à l’islamophobie. On peut estimer que leur intervention est tout à leur honneur, ou au contraire s’en indigner, c’est selon. On peut également subodorer chez les 19, les nôtres et les leurs, des intentions cachées dans leurs actions respectives, mais l’éthique recommande qu’une accusation, si elle n’est pas étayée par des preuves, devienne gratuite et automatiquement irrecevable ; l’occasion nous donne néanmoins matière à nous interroger sur l’intelligence de l’être humain, galvanisante lorsqu’elle défend un principe, une cause, révoltante quand elle tue le génie créateur et se dilue dans le clinquant de la vassalité.
Poursuivons. Les nôtres se sont donc dispersés, en désordre, et n’ont pas livré la mère des batailles qu’ils promettaient ; ceux au-delà des Pyrénées sont restés imperturbables, confiants en leur appréciation, et ont refusé d’alimenter la polémique, malgré la pique gravissime du philosophe français Michel Onfray qui leur reprocha d’avoir émis une deuxième ‘’fatwa’’ (Hamadèche va certainement adresser de chaleureux remerciements à ce dernier): c’est dire que la force des convictions n’est pas la même chez les uns et chez les autres. Il est tout de même remarquable que dans les deux cas, c’est un seul homme qui a engendré la formation de 19 personnes en groupe, un Président silencieux dans l’un, un écrivain particulièrement remuant et bruyant dans l’autre. Renversant, non !
Pleurons donc, rions jaune (ou oublions vite), que la grotesque initiative de nos valeureux 19 n’ait suscité rien d’autre que la dérision (conséquence prévisible depuis le début, et c’est cela le plus stupéfiant de la part de personnes aguerries à la politique), et réjouissons-nous que celle des 19 chercheurs ait provoqué des passions des deux côtés de Mare Nostrum, ce qui démolit la sentence du journaliste Michel Guérin (Le monde.fr) qui évoque bizarrement une ‘’défaite du débat’’. Nous aurions évidemment souhaité que quelques unes de nos voix qui portent se fassent entendre, et contribuent à éclairer l’opinion publique sur ce sujet si sensible, mais nous pensons qu’elles ont dû être dissuadées par cette fâcheuse tendance émotionnelle chez nous à scander ‘’m’ak yal khadra’’, slogan partisan malheureux qui biaise toute réflexion et dissuade de participer. A l’image de nos réactions lors des caricatures de Charlie. Pourtant, le temps de la Pensée Unique, qui a fait tellement de mal, est révolu. Définitivement, et il serait malheureux, et même intolérable, qu’un personnage, aussi célèbre fût-il, ou son club d’admirateurs, soit tenté de nous y faire retourner.
Alors, juste pour rester dans l’hilarité de cette conceptualisation autour du nombre 19, pourquoi ne pas envisager, par honnêteté intellectuelle, que des universitaires de chez nous se regroupent en conclave à Ouargla, Tikjda ou Mascara, à 19 eux aussi, autour d’un couscous, et nous rédigent un manifeste savant, enfin quelque chose comme une démonstration de leur existence, contre l’islamophobie, ou pour au moins modérer cette saga brésilienne de l’arabe défait par sa "misère sexuelle", immorale d’abord parce que rémunérée, qui finira par déprimer, voire démoraliser, nos jeunes et les pousser à se faire hara-kiri ou devenir bouddhiste. Pourquoi cette idée ? Parce que, à voir comment vont les choses, par 19 et chroniques interposées, ce sont les non musulmans, les pseudo-musulmans, les ex-musulmans et les antimusulmans, qui sont en train d’en parler le plus, et pas forcément le mieux. En conclusion, nous suggérons, dans l’espoir d’ancrer chez nous une tradition de débat, que les gens se mettent dorénavant toujours à 19, ou par groupes de 19, dans tout ce qu’ils entreprendront, pour organiser par exemple une marche ou un sit-in, prendre le bus, nettoyer les cités et les plages, ‘’manger le carême’’ ou brûler des pneus. C’est plus facile à gérer, et ça fait tendance.
Bacha Ahmed,
Universitaire, 2 mars 2016
Commentaires (1) | Réagir ?
Vous avez oublié d'évoquer la symbolique du nombre 19 dans le Coran qui aurait peut-être pu vous permettre de trouver des explications à cette attirance du nombre 19.