Gouvernance d’entreprises : cadres disciplinés mais les bouches ouvertes
Lors de l’interrogatoire de l’ex-président-directeur général, principal accusé dans l’affaire Sonatrach 01, il devait justifier à plusieurs reprises son attitude face aux instructions qui lui parvenaient de son ministre par la discipline.
Il a été de même pour tous les autres assignés en mettant en exergue le principe de la subordination/coordination comme une base canonique du mode gestion dans nos entreprises. Ils n’ont pas tord, car c’est semble-t-il la règle qui régit la relation de travail de haut en bas et dans tout le système de gouvernance en Algérie. Ceci a été le principal refrain des avocats de la défense qui invoquaient, voire justifiaient, le comportement de leur clients en parfaits "bêtes et disciplinés", comme s’il s’agissait d’un modèle que tous les cadres dirigeants devraient suivre et surtout ne pas s’en écarter.
Doit-on un jour instruire un cadre de vendre l’Algérie, il l’exécutera en s’appuyant sur la même règle. Elle a l’avantage du strict respect de l’unité de commandement pour laisser un seul chef apprécier le processus de la prise de décision. Pourtant, aucun d’eux n’explique les sommes d’argent qui sont virées ou l’appartement acheté pour son compte à travers sa famille ainsi que les autres avantages qu’ils tirent de leur position dans la hiérarchie. Cela voudra-t-il dire qu’il ne s’agit plus d’une discipline en application du principe Taylorien mais carrément un marchandage disciplinaire où chacun trouve son compte au détriment de l’éthique et de la déontologie patriotique. Cette situation, désormais, n’affranchit pas les responsables vis-à vis de leurs collaborateurs et spécialement dans le domaine de l’énergie principal pourvoyeur des capitaux pour le développement économique national. En effet, après le revirement spectaculaire de la loi sur les hydrocarbures en 2005 par une ordonnance en 2006, ce secteur aurait dû être tenu à l’œil. L’élargissement des prérogatives du ministre qui en avait la charge à l’époque serait-il une erreur ? De nombreux experts indépendants ont attiré l’attention du Président de la République sur le "charcutage" qu’opérait Chakib Khelil dans le secteur de l’énergie mais cette "confiance aveugle" a fait dire à`un chef de parti, en l’occurrence Louisa Hanoune, que ce responsable est "imposé à l’Algérie". Quelle est la genèse de ce modèle de gestion infligé à Sonatrach ? De quelle manière Chakib Khelil a pu contraindre ce mode de gestion ? Assume-t-il seul la responsabilité ? Ce modèle a-t-il laissé des séquelles ? Sonatrach pourra-t-elle s’en sortir de cette embrouille ?
Du retour de Chakib Khelil au secteur de l’Energie
Contrairement à ce qui est dit ici et là, Chakib Khelil n’est pas revenu en Algérie dans les bagages de Bouteflika lors de son voyage aux Etats-Unis mais non seulement il y était déjà et pourrait en être l’artisan principal dans la préparation de ce deuxième voyage d’un président algérien dans ce pays durant ce week end du début de juillet 2001. Pour rappel, à peine six mois après son investiture le 15 avril 1999, Bouteflika fait appel à Chakib Khelil d’abord comme conseiller le 1er novembre 1999 puis comme ministre de l’Energie et des mines moins d’un mois après. Il faut préciser que ce responsable prend sa retraite anticipée (01) de la Banque mondiale en octobre 1999 pour se présenter en Algérie le premier novembre de la même année. C’est la preuve par 9 que son retour dans le pays a été bien préparé et relève d’un choix.
Du passage très marqué de Khelil à Sonatrach
Son bref passage de plusieurs mois à Sonatrach en cumulant en même temps la fonction de ministre lui a largement suffit pour et, il n’est exagéré de le dire, procéder à un "viol" de la structure des valeurs de base que l’entreprise a développées depuis près de 40 ans et qui lui a permis de surmonter ses problèmes d’adaptation externe ou d’intégration interne. Il a acculturé l’entreprise pour avoir imposé des procédures ramenées d’ailleurs et pour lesquelles elle n’était pas encore prête à accepter. N’oublions pas que Sonatrach est la mamelle de tout le circuit économique et social. Elle a réussi jusqu’à son arrivée tant bien que mal à assumer les contradictions entre ses objectifs économiques et ceux politiques. En effet, Sonatrach agissant pour le compte de l’Etat pour mettre des moyens au service de développement national, acceptait difficilement la bourse de l’emploi, les brainstormings et les "R" qui marginalisent le code des marchés publics. Il voulait en faire d’un bien public, une entité qui obéissait au droit privé. Ayant déjà travaillé au secteur de l’énergie par le passé, il connaissait les points faibles de certains cadres et leur schème motivationnel et surtout le moteur de leurs prédispositions. Il a réussi à reproduire le schéma d’en haut à la perfection. Il est le seul membre du gouvernement à s’impliquer directement dans la politique et ouvertement dans la campagne électorale à travers des contributions personnelles et non en tant que ministre dans les journaux nationaux. La première au moment du déclenchement de la polémique sur la maladie de Bouteflika.
Dans cette contribution, il vantait les mérites du président sous la forme d’une vraie précampagne dans laquelle il s’engage au point où de nombreux observateurs le donnaient comme le prochain chef du gouvernement. Dans la seconde, il livre un bilan perspectif de secteur de l’énergie et des mines. A le lire, il semblait très content que les hydrocarbures continuent de représenter 98% des recettes du pays. Il prétend avoir tiré les leçons de la crise asiatique pour "concevoir une politique nationale, notamment en matière d’hydrocarbures". Il retrace l’historique avec en tout petit la période 2005- 2006 pour certainement éviter de montrer son échec dans l’élaboration de la loi sur les hydrocarbures. Il donne les chiffres sur le paysage énergétique comme s’il en est l’auteur alors qu’il s’agit d’un programme amorcé quelques années après l’indépendance. Il passe en revue l’ensemble des lois qu’il a produit depuis celle de la maîtrise de l’énergie jusqu’au projet de loi sur le nucléaire. Il promet que l’Algérie réalisera des recettes de 55 milliards de dollars/an jusqu’à 2040 pourquoi spécialement 2040 ?
Enfin pour lui l’homme est la première et ultime richesse du pays et il en fait son credo. L’opinion publique n’était pas dupe, elle constate de visu que ce ministre s’implique plus dans l’opérationnel que le stratégique. Il a étouffé les deux grandes entreprises du secteur de l’énergie en s’ingérant directement dans leur gestion. Les énormes investissements à consentir par Sonatrach pour ramener les capacités de production du brut à 2 millions de baril / jour et le gaz à 85 milliard de m3 est contesté par de nombreux experts qui en voient un gaspillage des ressources naturelles, gage des générations futures contre des dollars qui font l’objet d’un recyclage dans le trésor américain. Il a donc, avec des cabinets étrangers, brillé dans la confection des lois, domaine dans lequel il excelle pour l’avoir appris et utilisé dans le cadre de sa mission d’expert à la banque mondiale. La loi sur l’électricité n’a non seulement attiré aucun investisseur mais plongé le pays dans le noir par le délestage fréquent. Quant à celle sur les hydrocarbures, tous les Algériens connaissent son cheminement. Si la mise en œuvre de ces deux lois n’a rien donné de concret, comment croire sur les projets futurs : projet de loi sur le nucléaire etc. ? Mais ce qu’il ne donne pas, c’est le bilan de la période de sa présidence de Sonatrach. Il semblerait selon les témoignages qu’il a fait de Sonatrach et Sonelgaz un vrai terrain de bataille. Profitant de la compagne électorale, il s’est débarrassé de tous les anciens PDG et cadres dirigeants qui contestaient sa politique de gestion. Il a procédé à un vrai noyautage de l’entreprise. Il nomme à Sonatrach ses collaborateurs au ministère pour avoir en 4 ans jugés de leur docilité et obéissance. D’abord, il désigne le secrétaire général de l’entreprise, ensuite le PDG de Sonatrach lequel fait monter son fils du simple magasinier au poste de cadre supérieur, aujourd’hui condamné par la justice dans l’affaire Sonatrach 01. Il confie la direction des ressources humaines et communication du groupe Sonatrach à son assistante, elle même cooptée de Sonelgaz. Il profite de l’accident survenu à Skikda pour limoger le vice président aval et nomme son ancien directeur des ressources humaines et communication et ainsi de suite.
Dans ce climat de noyautage total, le ministre règne en maître absolu. Il dirige mais n’encours aucune responsabilité. Dés qu’il y a un problème, les enquêtes n’aboutissent à aucun écrit de sa part et donc c’est les lampistes qui payent : cas BRC, dossier des pièces de rechange aval, affaire Sonatrach 01 et bien d’autres. Dans cette configuration de noyautage, de suspicion, de psychose et surtout d’injustice, les cadres fuient par centaines les deux entreprises et ceux qui obéissaient aveuglement ont été présentés et condamnés dernièrement en criant leur innocence à cause de leur discipline Pour couronner le tout et pendant que l’entreprise Sonatrach souffre de l’hémorragie de son encadrement, le ministre donne son accord, toujours verbal pour formaliser des mesures incitatives pour le départ volontaire des cadres chercheurs . L’encanaillement est son arme pour obtenir leur obéissance. C’est pratiquement seuls les très proches collaborateurs qui ont bénéficié des logements à Côte Rouge et dans la cité Chaabani et pour couronner le tout des primes de logement sont accordées pour certains d’entre eux pour faire face à l’emprunt en d’autres termes le "beurre et l’argent du beurre." Ce n’est certainement pas les cadres sur chantier qui ont en profité. Ceci a contribué grondement à démotiver le personnel par une injustice dans la distribution des salaires et n’à sûrement pas contribuer à la promotion de l’homme qui prétend en faire son credo.
Comment peut-on décrire la situation aujourd’hui ?
Le secteur de l’énergie n’arrête pas de faire l’objet d’un tripotage sans stratégie ni objectifs précis. Ceci a abouti à une importante entropie sociale. Aujourd’hui, on se trouve désormais en face d’une population active jeune et pleine d’énergie. Cette énergie est utilisée ailleurs que dans le sens de l’intérêt général qui devrait coïncider avec celui de la nation. Ce travailleur qu’on a rassuré pendant plus de 35 ans à qui on a demandé de contribuer pour bâtir une société juste qui lui assurerait salaire, logement et bien-être mais du jour au lendemain, on l’informe de ne compter que sur lui-même et souvent dans des conditions déloyales. Il se retrouve malheureusement face à une stratification sociale complètement "chamboulée". Parti après l’indépendance d’un même niveau, il se retrouve aujourd’hui en face d’une classe très riche qui menace l’existence même de l’Etat, en qui il a cru. Désorienté et totalement dérouté, ce travailleur a perdu confiance et semble avec le temps contraint d’opter pour l’absence sociale. Ce travailleur n’est pas loin de celui que décrit Jean Bothorel (02).Il est un citoyen pur. Il récuse les notions de l’Etat, d’intérêt général, de la morale sociale. Il est un citoyen Narcisse, c'est-à-dire ne recherche dans sa citoyenneté que les moyens de satisfaire son plaisir pur, son désir spontané sans cesse mouvant. Il est un travailleur – Narcisse, ne cherchant en permanence dans le travail que le plus grand plaisir personnel possible. Il préfère dés lors le non travail ou le travail facile, voire le gain facile à toute contrainte aussi légère soit-elle.
Cette situation a abouti à une rupture de confiance entre administrateurs/administrés. Les déceptions consécutives et la frustration qui en découlent ont amené ce citoyen travailleur à ne compter que sur lui-même. On se trouve en définitive en présence d’un dialogue de sourds et une fissure dans la cohésion sociale qui permet et permettra aux semblables de Khelil de manipuler la société comme ils veulent si d’ici là rien n’est entrepris. Il faut dire que pendant que de nombreux responsables restent profondément plongés dans leurs rêves d’une éventuelle relance économique qui tarde à venir, et d’une pseudo-représentativité entre les principaux acteurs du partenariat social, le climat des affaires pourrit, la corruption et le gain facile sont devenus l’essence même de la démarche économique. La " tchipa" est une pièce maîtresse de tout dossier économique. Aujourd’hui, on ne peut plus traverser un quartier des grandes villes du pays sans tomber sur les bazars de la contrefaçon. La fuite fiscale inquiète les pouvoirs publics. Est-ce là la compétitivité attendue ? La paupérisation gagne du terrain au sein des couches sociales. Depuis l’indépendance de l’Algérie, jamais le pouvoir d’achat n’a suscité autant d’inquiétude chez les spécialistes : sociologues, anthropologues, psychologues, économistes, médecins etc. les chiffres fallacieux et les discours creux n’arrivent plus à colmater les brèches d’une misère désormais visible à l’œil nu. L’endettement des ménages, ne suffit même plus à couvrir les besoins vitaux : nourriture, habillement, santé et logement. Pour le loisir, pourtant faisant partie du bien être, il n’est même pas opportun d’en discuter. Cette paupérisation pousse à la violence, la corruption et le suicide sous ses différentes formes (Kamikaze, Harraga, se donner la mort tout simplement). Même le citoyen soi-disant aisé, est acculé dans son quotidien par des mendiants, dans les parcs à la sortie de la poste, à la sortie des pôles commerciaux etc. Si ce phénomène suscite tant d’inquiétude c’est qu’il touche toute la stratification sociale du nanti au marginalisé en passant par le moyen qui tend à rejoindre la seconde.
Conclusion
Au vu de ce qui précède, on peut en déduire que l’homme reste au centre de toute démarche qu’on voudrait productive. Au lieu de rechercher la lune, essayer d’abord de canaliser l’énergie dissipée de la jeunesse pour la rendre utile à la nation. Les artifices pour cela ne manquent pas .il suffit de vouloir tout simplement
Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier
Notes de renvoi:
01- voir le CV de Chakib Khelil disponible sur Internet
02- Jean Bothorel "Le prince" édition Grasset 1981
Commentaires (5) | Réagir ?
merci
L’encadrement, formé par l’université ou en interne, est l’élite de l’entreprise. Par dérives successives cette élite est devenu une élite de « contrefaçon ». D’abord la mentalité G. S. E n’a pas quitté les esprits des gestionnaires du secteur public ; pour n’importe quelle réunion technique on n’oublie pas d’y associer le syndicaliste même analphabète alors qu’aucune loi en vigueur n’y oblige.
Cette élite de contrefaçon possède une échine tres souple. Elle ne s’oppose à aucune décision de la hiérarchie aussi antiéconomique soit-elle. On peut vérifier dans la presse qu’au moment ou les terroristes ont pris le chemin d’IN AMENAS via la Lybie, le P. D. G de l’entreprise finalisait les négociations pour acheter un club de football algérois.
Cette élite n’est responsable de rien. Tout vient d’en haut, dépend d’en haut et pour justifier sa passivité chacun a …son haut.