Le général Nezzar au tribunal, mais pas encore du bon côté
Décidément, le général Khaled Nezzar aime bien les tribunaux et se rappelle à l'existence du droit lorsqu'il est chatouillé par des mots qui lui déplaisent. Il a un penchant tout à fait surprenant pour les procès en diffamation. Pourtant, dans sa profession, les procès n'étaient pas de coutume car réglés au prix de la vie ou du silence que suscite la terreur.
Le général Khaled Nezzar intente un procès en diffamation contre un quotidien algérien. L'affaire en elle-même est insignifiante s'il s'agissait d'un pays de droit et que la personne était un fonctionnaire comme les autres. Ce n'est pas cette affaire qui nous intéresse mais le souvenir que j'ai d'un autre procès, à Paris. Présent dans la salle, je peux presque le commenter en journaliste, ce que je ne suis pas. Mais cependant, j'avais publié une tribune sur cette affaire dans le journal français Libération sous le titre "Les dieux algériens ont peur".
C'est que dans cette affaire, nous assistions à un règlement de compte entre deux membres d'une même famille qui s’entre-déchirent. Mais comme le livre La sale guerre de l'ancien officier de l'armée algérienne, Habib Souaidia, était le premier témoignage de l'intérieur de cette grande maffia du crime, c'était pour nous une occasion tout à fait appropriée d'en compiler les documents historiques.
De tous les généraux, le général Nezzar est donc celui qui s'est le mieux préparé aux grands procès qui l'attendent, aux côtés de tous ses petits camarades. Il aura une grande expérience au moment venu, ce que n'avaient pas eu toutes les personnalités africaines qui se sont présentées récemment devant la Cour pénale internationale.
L'incriminé au procès s'était vengé dans un livre en mettant à nu la diabolique organisation militaire au service d'une dictature féroce. Le général Nezzar s'en était offusqué au nom de la patrie, des valeureux morts, du combat sacré de l'armée nationale, de la dignité de son nom et autres fadaises que ce régime nous débite depuis un demi siècle. Tout était mensonge et il allait le prouver devant un tribunal français.
Je me souviens avoir été l'un des premiers à entrer dans la salle d'audience avec mes amis politiques et membres des associations des droits de l'homme. L'individu semblait vieillissant, courbé et s'aidait d'une canne (ma mémoire n'en est plus certaine sur ce dernier point). Ce grand fauve dont le seul prononcé du nom faisait trembler qui l'approchait et à qui certains devaient une vie de martyr, lorsqu'ils avaient eu la chance de la garder, n'était en fait qu'un vieux monsieur dans l'apparence. Un de ceux qui donnent à manger aux pigeons au parc du Luxembourg, à quelques enjambées du Palais de justice et dont tous les petits enfants du monde auraient aimé avoir pour grand-père.
Ne vous y fiez pas, tous les avocats recommandent à leurs clients trop fougueux de prendre la posture humble de l'homme bafoué. Le général Nezzar est un grand acteur, nous en avions eu la preuve. Mais il ne s'attendait tout de même pas à une telle charge de l'avocat de l'accusé.
C'est que le général n'avait pas l'habitude qu'on lui tienne tête et surtout qu'on ose lui poser des questions, qu'on le bouscule et qu'on lui oppose systématiquement des arguments qui le font vaciller. Le plus souvent avec la rudesse que l'avocat peut légitimement avoir à l'égard de la partie adverse. Personnage très célèbre médiatiquement qui s'est fait connaître pour sa croisade contre tous les dictateurs au bénéfice des organisations de défense des droits de l'homme.
Il n'avait absolument que faire de la puissance supposée et antérieure de l'accusateur qu'il avait en face de lui. Il s'en est pris à des chefs d’État autrement plus sanguinaires que le «petit» général algérien (tout est relatif dans la grande histoire mondiale des dictatures militaires). C'est une situation tout à fait bizarre et j'aurais tellement souhaité que des millions d'algériens voient une scène aussi incroyable pour eux.
Ce jour là, j'ai bien vu que l'homme se demandait s'il avait bien fait de s'aventurer sur des terres inconnues des Dieux algériens, soit un palais de justice hors des frontières de la dictature qu'ils contrôlent. C'était imprudent de sa part car les seules coutumes qu'ils connaissent de ces contrées étrangères sont les lieux de villégiature et les chargés de clientèle bancaire.
Mais il est deux autres souvenirs que je souhaite partager avec les lecteurs. Le général Nezzar avait des «témoins de moralité» invités par la partie civile. Le premier était Sid-Ahmed Ghozali, venu défendre l'un de ceux qui l'ont façonné à leur image et à qui il doit tout.
A un moment, notre fameux avocat lui dit : "Je vais vous lire un texte". De mémoire, ce texte corroborait la thèse de l'accusé puisqu'il représentait un violent réquisitoire du régime algérien, liberticide et verrouillé. A la fin de la lecture, l'avocat pose le ton et lui lance à la figure :"Ce texte, c'est vous qui l'aviez écrit, monsieur Ghozali !". Là aussi, je souhaitais tellement que les Algériens puissent voir la tête de nos puissants lorsqu'ils sont au pied du mur de quelque chose qu'ils ignorent, la vraie justice.
La seconde personne qui est restée dans ma mémoire est Rachid Boudjedra, grand hurleur médiatique et, ce jour, "témoin de moralité d'un général algérien". Il restera pour moi, à vie, affublé de cette épitaphe qui conviendra le jour venu.
Finalement, le général Nezzar sollicite à tous moments une justice qu'il n'a cessé de bafouer. Il se passe vraiment quelque chose en Algérie, les généraux fréquentent la justice, certains se font chahuter pour un bout de terrain par la population et d'autres font la grève de la faim. Le chant du cygne approche, nous ne verserons aucune larme si ce n'est pour les citoyens assassinés et les pauvres bougres tyrannisés et pillés.
J'ai oublié de rappeler le verdict du tribunal : "Les éléments incriminés ne sont pas constitutifs d'un délit". Les juges ont tout simplement réaffirmé qu'accuser l'armée algérienne de dictature aux procédés inavouables était un fait relevant de l'évidence et du débat politique. Le général a dû penser qu'il a voyagé trop loin pour se confronter au droit, sur une autre planète que la sienne.
Sid Lakhdar Boumédiene
Enseignant
Commentaires (5) | Réagir ?
En plus qui est il pour nous dire, qui parmi nous, est apte à être president.
Que fait il de la souveraineté et légitimité populaire
S' il était honnête, le genéral fort et puissant qu' il était, aurait du aider le peuple à élire démocratiquement et sans fraude un Président qui aurait servi le pays au lieu de nous dire que, parmi les millions d' algériens que nous sommes, seul Boutef était le présidentiable le moins mauvais ce qui revient à dire que les autres présidentiables étaient plus mauvais. On l'a compris !!!