Le diplomate du déclin
Connaissez-vous Mehdi Nedjib. ?
Non.
Moi non plus.
C’est vrai qu’il ne chante pas, ne joue dans aucun feuilleton égyptien ni dans aucune grande équipe de football, n’a écrit aucun livre, n’a détourné aucun avion et n’a commis aucun attentat suicide.
Le parfait anonyme.
Mais nous avons tort de ne pas connaître Mehdi Nedjib.
Car de tous les anonymes d’Algérie, il en est sans doute l’un des plus illustres.
Mehdi Nedjib détient un secret : il est la preuve vivante que, neuf ans après, nous avons perdu tout prestige dans le monde.
Et que el izza oua el karama ne sont que des racontars.
Ne serait-ce que pour cette auguste qualité, qui en fait un acteur singulier de la vie politique algérienne, Mehdi Nedjib mériterait d’être connu.
* * *
Mehdi Nedjib est directeur de la communication au ministère algérien des Affaires étrangères.
C'est-à-dire un fonctionnaire comme il en existe tant dans l’administration algérienne. Rien de bien insolite si ce n’est que Mehdi Nedjib est, de par le monde, le seul directeur de la communication dans un ministère des Affaires étrangères à démentir son propre ministre !
Mehdi Nedjib est le censeur, le correcteur, l’exégète, le contempteur de son supérieur hiérarchique, le chef de la diplomatie algérienne, Mourad Medelci !
Et personne n’y trouve à redire !
Chaque fois que le pauvre Medelci, sur instruction de Bouteflika, « ose » exprimer « souverainement » une position de l’Algérie sur la scène internationale, et que cela provoque une colère des capitales étrangères ou de puissants lobbies, chaque fois que l’Algérie se rétracte, se désavoue, c’est Mehdi Nedjib qui est chargé de le faire savoir, armé de la même formule :
« Monsieur Medelci n’a pas voulu dire cela ! »
Et tout le monde comprend alors que l’Algérie se désavouait.
Une apparition de Mehdi Nedjib devant les journalistes signifie, désormais : « Nous avons cru pouvoir nous exprimer souverainement sur les choses de ce monde, mais nous n’en avons ni la puissance ni l’autorité. »
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Pour accomplir sa délicate mission, Mehdi Nedjib dispose d’une qualité indispensable : l’aplomb.
L’aplomb est, par définition, depuis Talleyrand, une vertu indispensable en diplomatie. Il sert à convaincre de l’impossible, à faire admettre l’inimaginable, à rendre crédible l’incroyable.
Chez notre directeur de la communication au ministère algérien des Affaires étrangères, il a cependant un rôle plus méritoire : dissimuler que nous avons perdu tout prestige dans le monde et convaincre qu’il nous reste quelques îlots intactes d’el izza oua el karama.
C’est admirable !
La toute récente démonstration du fabuleux culot de Mehdi Nedjib nous a été offerte la semaine passée. Il s’agissait, pour notre homme, de convaincre les Algériens qu’ils étaient sourds comme des pots !
L’enjeu, il est vrai, était de taille : masquer une humiliation nationale, Alger qui se rétracte et se désavoue à propos de l’affaire de la procédure engagée par la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar el-Béchir.
Tout le monde a entendu à la radio nationale, de la bouche du ministre algérien des Affaires étrangères Mourad Medelci, dans une interview diffusée mercredi par la chaîne nationale, que "l'Algérie et le Soudan envisagent de saisir le Conseil de sécurité de l'ONU en vue de geler la procédure engagée par la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar el-Béchir".
Mais voilà : le soir même, la France faisait savoir qu’elle s’opposait à l’initiative algérienne de saisir la Conseil de sécurité !
Interrogé sur l'annonce par l'Algérie de sa volonté de saisir le Conseil de sécurité en vue de geler la procédure engagée par le procureur de la CPI contre le président Béchir, le porte-parole adjoint du ministère français des Affaires étrangères, Frédéric Desagneaux, a été sec : «La France est attachée à ce que les procédures engagées devant la Cour pénale internationale suivent leur cours»
C’est clair : l’Algérie doit reculer. Oui, mais comment ?
Qui appelle-t-on dans un cas si urgent ? Mehdi Nedjib et son toupet, bien sûr !
«A aucun moment Mourad Medelci n'a déclaré envisager que l'Algérie saisisse le Conseil de sécurité de l'ONU. Ni l'Algérie, ni le Soudan ne sont d'ailleurs membres de ce Conseil», a déclaré à l'AFP le directeur de la communication du ministère des Affaires étrangères.
Un fonctionnaire des AE qui dément son propre ministre ! Et un ministre qu'on a entendu de vive voix ! Et dont les propos ont été rapportés par l'agence de presse gouvernementale APS !
Tout le monde avait pourtant entendu M. Medelci, cité par cette même agence algérienne APS, expliquer que cette procédure de gel "doit nous permettre de prendre toutes les assurances pour que la justice soit rétablie à l'endroit du Soudan, de son peuple et son président".
Tout le monde avait pourtant entendu notre chef de la diplomatie se lancer dans des explications techniques, précisant que les consultations entre les deux pays, ouvertes "depuis plusieurs mois", vont vers deux directions, dont "la saisine du Conseil de sécurité en vertu de l'article 16 du statut de la Cour pénale international".
Pourtant, jure M. Nedjib, "jamais M. Medelci n'a dit ça" ! Comment ne pas le croire et se fier à nos oreilles seulement ?
C’est dire le pitoyable état dans lequel se trouve, neuf ans après, "el izza oua al karama".
* * *
Ce n’est pas la première fois que Mehdi Nadjib eut à démentir son ministre. L’affaire commence le 21 novembre 2007. Ce jour-là, Bouteflika renouvelle publiquement son offre à Sarkozy : il renonce officiellement à la repentance de la France pour ses crimes coloniaux, en échange d’un appui de l’Élysée pour un troisième mandat. Le chef de la diplomatie Mourad Medelci, chargé de la besogne, annonce ainsi à Paris, lors d’une conférence de presse, que les excuses de la France, pour ses crimes de guerre, n’étaient plus une priorité : « Je pense que le plus sage est de laisser le temps agir en espérant que cette question trouvera une réponse un jour… Il faut savoir garder la porte ouverte à nos deux sociétés et à l’intelligence de nos deux peuples qui sont capables de suivre le bon chemin. »
C’était l’erreur de trop : dans sa hâte à vouloir forcer la décision de la France, Bouteflika avait surenchéri dans l’offrande et engagé unilatéralement l’accord du pays sur des dossiers de souveraineté nationale, sans disposer du consensus au sommet.
Comment, en effet, annoncer aux habitants du territoire le renoncement à la repentance de la France quand on les avait abreuvés du contraire pendant deux longues années ?
Aussi, contrairement à juillet où elle fut particulièrement discrète, la « famille révolutionnaire » réagit-elle avec véhémence.
Il fallait rectifier la gaffe. Et l’on fit alors appel au directeur de la communication des Affaires étrangères pour désavouer son propre ministre !
« Nous tenons toujours aux excuses de la France », tonne Mehdi Najib, promu pour l’occasion aux hautes fonctions de censeur de son propre chef !
Qui peut remplacer Mehdi Najib dans une république qui n’a plus de crédit ?
M.B.
Commentaires (13) | Réagir ?
M. Sidou, pour compléter votre poste pertinent, je me permets de citer, avec son aimable autorisation bien sûr, le commentaire qu'a effectué M. Mohand au sujet de mon article cité ci-dessous. En voici le texte intégral :"A chacun son métier et.........
Posté par Mohand le 07. 10. 2008
Pour avoir une idée précise des capacités d'analyse, trés limitées, de Mourad Médelci, Ministre des Affaires Etrangères, veuillez bien lire l'interview parue, le Samedi 04 Octobre 2008, dans le quotidien séoudien notoirement anti-algérien, Al Sharq Al Awsat. C'est un véritable chef d'oeuvre de bourdes diplomatiques.
A chacun son métier et les intérets du pays seront bien défendus. Bravo, vous avez vu juste, M. Benrabah. "
S'il existe en langue française, le mot "BOURDIER" résumerait bien la situation dans laquelle le pauvre Medelci, s'est une fois encore mis. Effectivement, Messieurs Sidou et Benrabah :"A chacun son métier et les maigres vaches algériennes seront bien gardées". Linda Chergui