L’Académie berbère renaît de ses cendres
1966, pour beaucoup n’est qu’une année calendaire comme tant d’autres. Elle est, en revanche, singulièrement importante pour les Amazighs.
Par Madjid Boumekla
Cette année à Paris, bravant les pressions politiques croisées qu’exerçaient les pouvoirs algérien, marocain et libyen contre toutes les velléités d’organisation des Amazighs, un groupe de jeunes Kabyles militants de la cause amazighe reprennent le flambeau de la lutte transmis par les berbéro-nationalistes algériens des années 1940, en fondant une organisation politico-culturelle qui sera ancrée dans la mémoire collective amazighe sous l’appellation de l’Académie Berbère.
Les témoignages d’anciens adhérents et Bessaoud Mohand Arab, dans son écrit "De petites gens pour une grande cause", signalent que suite à plusieurs réunions de préparation dont une a eu lieu chez Taous Amrouche, la diva kabyle, une assemblée, regroupant environ 25 personnes, que l’on peut considérer constitutive s’est tenue à Levallois-Perret, dans la région parisienne. Lors de cette rencontre sont discutés et entérinés les statuts, la liste des personnes du conseil d’administration et celle du bureau. La future association sera parrainée par Jacques Bénet qui lui sera dévouée corps et âme.
Les dirigeants déclarent à la Préfecture de Police, par arrêté ministériel du 3 février 1967 l’association dénommée Académie Berbère d’Echanges de Recherches culturels -A.B.E.R.C.- sous le numéro 10285 P. La parution au journal officiel se fait quelques mois plus tard, le 12 mars 1967. La domiciliation est fixée au 6, rue de la Paix 75002 Paris.
La liste officielle des responsables accompagnant le dépôt des statuts fait défaut. Quant à celle constituant le premier bureau exécutif factuel elle se compose comme suit : président : Abdelkader Rahmani ; 1er vice-président : Amar Naroun ; 2e vice-président : Mohand Amokrane Khlifati ; 3e vice-président : Said Hanouz ; trésorier : Mohand Arab Bessaoud ; secrétaire : Djaffar Oulahbib.
Dès sa naissance, l’association connaîtra, dans sa situation, bien des vicissitudes dues aux appréhensions des adhérents et des tensions internes entre les responsables. Pour certains, elle doit être une académie d’intellectuels et d’universitaires qui s’occupera que de la recherche et de la publication. En ce sens pour les adeptes de cette option, quelques adhérents suffisent. En revanche, pour d’autres elle doit être populaire, ouverte aux différentes couches sociales. Elle devra, avant tout, transmettre des messages politiques. Un parti politique sans dire sans nom. Cette divergence d’options va cristalliser pendant un temps les tensions internes des dirigeants.
Au désordre interne viennent s’ajouter des intimidations et des pressions de tous genres, à l’égard des adhérents de la part du pouvoir algérien, par le biais de l’Amicale des Algériens en Europe, plutôt une institution policière. Comme un problème ne vient jamais seul, son siège social n’arrêtait pas de changer d’endroit.
Elle se stabilisera enfin pour un long moment le jour où Hanouz Mohand Said met, gracieusement à sa disposition, un local situé au 5, rue d’Uzès à Paris 2e et la dote d’une machine à écrire et d’un duplicateur. Il règle tout autant les dépenses liées à l’impression des cartes d’adhésion et à toutes celles relevant des achats de fournitures administratives (papier-en-tête, enveloppes, etc.). Au demeurant, il subvient aux besoins financiers et matériels de Bessaoud Mohand Arab, membre fondateur et l’une des personnes qui activaient le plus sur le terrain. Le réflexe de solidarité et d’entraide fonctionnait à merveille en ce temps-là. Tiwizi (entraide) n’était pas un leurre malgré tout !
Dans la foulée des réformes, des amendements aux statuts s’effectuent. Le nom de l’association devient "Académie – Agraw Imazighen". L’article.2 stipulait toujours que : "L’association a pour but de faire connaître au grand public l’histoire et la civilisation des Berbères dont elle entend également promouvoir la langue et la culture"
En ce temps-là, aucune loi ni même celle du 1er juillet 1901 ne permettaient aux ressortissants étrangers d’être responsables d’une association officiellement créée. Pour des raisons donc administratives les responsables étaient désignés selon leur avantage d’être porteurs d’une carte d’identité française. Ainsi les membres du bureau exécutif officiel sont désignés selon le critère de leur appartenance à la nationalité française. La nouvelle déclaration intervient le 2 mai 1969 avec un bureau se composant donc ainsi :
Président : Mohand Said Hanouz, professeur de pharmacologie et écrivain; Vice-président : Youssef Achour, ancien sénateur; Secrétaire général : Hamici Claude Chabane, speaker à l’O.R.T.F. sous son prénom kabyle Hamid, Il a été animateur de la chaîne de radio kabyle à Paris; Trésorière : Mme Minana Charlette, employée de bureau.
Sous la houlette des deux responsables les plus actifs, en l’occurrence Bessaoud Mohand Arab et Hanouz Mohand Said, l’action cardinale de l’association se focalise essentiellement sur la cause politique amazighe. Elle se confine étroitement à dynamiser davantage le travail d’éveil et de conscientisation des peuples amazighs que les prédécesseurs des années 1940 ont entrepris.
Pour fédérer ces peuples, l’académie se déploie, dans un premier temps, sur le front culturel. Parmi les initiatives prises, la plus fondamentale à laquelle a contribué de près Monsieur Mahdjoub Ahardane, berbériste marocain, est celle allant dans le sens de standardiser un alphabet sur la base des tifinagh qui suivaient leurs cours dans les contrées amazighes. Un bulletin mensuel ainsi que des tracts écrits en tifinagh et en français seront ses supports de vulgarisation et de sensibilisation autour de la langue et de l’histoire amazighes. La forte pratique de communication orale en sera aussi un moyen de rapprochement, à travers des discussions directes au sein des milieux berbérophones dans l’immigration (cafés, marchés et autres).
Promptement l’académie verse dans le champ politique.
En introduisant l’appellation "Agraw Imazighen" dans la dénomination de l’académie, la tendance adepte de la politisation de l’association influe sur son orientation. Une sorte de partage implicite des activités s’est faite, à Hanouz le domaine de la culture avec son invention d’une grammaire berbère et à Bessaoud celui de la politique.
A l’instar de ses prédécesseurs des années 1940, le discours politique que l’organisation prône sera axé sur l’identité amazighe de l’Afrique du nord à contrecourant de celui avancé par les pouvoirs en place des Etats de la région, basé sur l’arabo islamisme. Il aura impacté fortement le milieu berbérophone, surtout en Kabylie. Il sera d’un grand apport à l’argumentaire de sensibilisation et de conscientisation de la militance du printemps berbère de 1980. Les discours ne suffisaient plus pour une sensibilisation massive. L’idée de créer des symboles forts qui marquent les esprits plane au-dessus des responsables et des militants de l’Académie.
En 1971, Monsieur Hocine Zekri, chaudronnier de profession, confectionne la lettre «Z» de l’alphabet Tifinagh sous forme de badge métallique. Par sa forme elle symbolisera l’homme libre, la signification même du mot "Amazigh". Elle servira par ailleurs de logo dans les documents de l’académie pour devenir à jamais un référent identitaire pour la nation amazighe.
L’idée du drapeau qui circulait dans l’association dès sa naissance refait surface. Elle se concrétise au courant de l’année 1970. A ses débuts, le drapeau était constitué de trois bandes horizontales de différentes couleurs qui rappellent les espaces géographiques formant la grande Berbérie (Tamazgha). Pour le bleu la mer Méditerranée et l’océan atlantique, pour le vert le tell avec ses montagnes verdoyantes et pour le jaune le désert (le Sahara). En 1972, Il fut estampillé en son milieu du symbole «Z». Définitivement formalisé sur papier, Bessaoud prenait discrètement le soin et la patience d’expliquer son sens aux anciens adhérents et à ceux qui venaient d’arriver.
Les premiers drapeaux confectionnés artisanalement en tissu sont distribués sous le manteau pour éviter les retombées répressives et l’échec de l’opération. Il fallait prendre toutes les précautions afin qu’il ne tombe dans les mains des partisans de l’Amicale des Algériens en Europe. Depuis des années, il subira une vie clandestine.
Suite aux événements du printemps berbère de 1980, le drapeau sort de son milieu confiné à certains initiés, pour prendre un essor populaire de dimension internationale. Avant qu’il occupe naturellement tout son espace qui lui revient de droit, on le voit apparaître, surtout dans la diaspora kabyle en France, au sein des manifestations culturelles associatives et lors de certaines rencontres festives dans les restaurants. En 1998, lors de son assemblée tenue Tafira (Las Palmas de Gran Canaria), dans les Îles Canaries, le C.M.A. (Congrès Mondial Amazigh) l’exhibe et depuis il en fait définitivement son étendard. Lors du soulèvement des libyens pour abattre Kaddafi, les Amazighs l’arborent massivement dans les rue de Tripoli qu’ils ont eux-mêmes libérée. Aujourd’hui, tous les Amazighs où ils se trouvent le montrent dignement et avec ostentation dans toutes leurs manifestations quelles qu’elles soient (rues, galas, stades, etc.). Il incarne l’identité de l’union des peuples amazighs qui transcendent les frontières géographiques des Etas officiels.
En cette année 1972, précisément au mois d’octobre, au sein de l’université de Paris VIII à Vincennes, dans le département des «Sciences politiques» un cours sur l’enseignement de la civilisation berbère fut introduit. A peine commencé, il soulève le courroux des étudiants de l’organisation des travailleurs de la gauche arabe, sous la férule des Tunisiens.
Cette initiative était à l’origine d’une rencontre des plus banales. Monsieur Edjekouane Belkacem, un militant acharné de l’Académie rencontre Monsieur Geoges Lapassat, Professeur de l’université populaire de Paris VIII, qui lui avait promis de s’occuper des démarches auprès de l’administration universitaire. Belkacem rejoint de Monsieur Bouneb Mustapha vont s’occuper de plus près de cette importante entreprise. Ils organisent un rendez-vous entre Monsieur Lapassat et Monsieur Bessaoud qui après réflexion souscrit à la proposition du groupe.
Sur conseil de Lapassat, le groupe initiateur, rejoint par Mohand Said Hemiche, rencontre lors d’un colloque sur l’anniversaire de la République du Rif, à la cité universitaire de Paris 14e, Monsieur Jean Lacouture, journaliste au journal «Le Monde». Ce dernier tenant sa parole de faire connaître l’initiative, a publié un article dans son quotidien.
Quelques temps plus tard, autour de ce cours assuré par Mebarek Redjal, s’aggloméraient des étudiants berbérisants pour former le Groupe d’Etude Berbère (G.E.B.)
Quand la prise de conscience et la volonté sont là, tout va !
Avec si peu de moyens en sa possession et en dépit des difficultés qu’elle endurait sans cesse, l’association a pu réaliser des actions dont les résultats étaient au-delà de ceux qu’elle escomptait. On peut l’affirmer sans aucun détour que la cause amazighe ne serait pas avancée à ce point si l’académie n’avait pas mené toutes les actions militantes qui étaient les siennes. Son impact politico-culturel auprès des peuples amazighs, surtout chez les kabyles, est tellement profond au point que le gouvernement algérien, sans cesse bousculé, exerçait des pressions sur les autorités françaises pour sa dissolution. Elles finiront par payer. Les retombées, non sans conséquences dramatiques, ont eu lieu. Mohand Arab Bessaoud et une de ses proches connaissances, Abdelaziz Saïbi, furent arrêtés le 22 mars 1978. Le lendemain, une perquisition du siège de l’association a suivi. Deux militants, Ali Louari et abdelwahab Slifi, assurant la permanence sont arrêtés.
Ces actes sont probablement les retombées des pressions du pouvoir algérien sur les autorités françaises, suite à la manifestation des supporters kabyles de leur équipe, la J.S.K (Jeunesse Sportive de Kabylie), lors de la finale de football de la coupe d’Algérie en 1977, dans les tribunes du stade et son prolongement dans les rues d’Alger. Lors de cette rencontre sportive, les Kabyles scandaient des cris hostiles à Boumediene, présent ce jour-là dans la tribune officielle, et sa politique d’arabisation. C’était «la goutte qui fait déborder le vase» pour le pouvoir algérienne. La réaction de ce dernier devait être dure et devait s’amplifier tous azimuts pour endiguer l’ampleur que prenait la lutte amazighe à laquelle l’Académie contribuait largement.
De nouveau, la spirale de l’instabilité s’installe tant au niveau des responsabilités que celui de la domiciliation.
Le 31 mars 1979, sur décision du bureau, la domiciliation de l’association est transférée à l’adresse du domicile de Monsieur Hanouz Said, toujours Président, sise dans le boulevard Voltaire au numéro 124, dans le 11e arrondissement parisien. La déclaration à la préfecture de police est effectuée le 13 juin 1979. Quelques mois plus tard, probablement dans le but d’un travail de recherche, l’A.B.E.R.C. d’antan refait officiellement surface, derrière la tendance des intellectuels et universitaires. Une déclaration à la Préfecture de Police de Paris est enregistrée le 19 mars 1980. Elle est signée le 6 mars 1980 par Abdelkader Rahmani comme Président et Djaffar Oulhbib comme Secrétaire Général sortant. Cette décision est entérinée en réunion du 14 février 1980. Aucune action concrète n’a été signalée au crédit de cette association.
Les arrestations des membres de l’"Académie – Agraw Imazighen" sème le doute chez les adhérents qui se dispersent. D’aucuns militent toujours en son nom sans aucune concertation.
Aux moult pressions politiques exercées sur elle, l’ouverture en 1982 de la loi 1901 aux responsabilités des étrangers dans les associations vient l’éroder davantage. Des adhérents l’ont définitivement abandonnée. Pour certains ont préféré rejoindre les associations naissantes.
En rangs dispersés, les plus fervents des militants continuent d’activer. C’est dans ce cadre qu’Amar Negadi, alias Amar Achaoui, a eu l’idée d’arrêter une date de référence au début d’un calendrier berbère. Celle choisie est l’année où le roi berbère Chachnaq, à la tête de la 22e dynastie qu’il avait lui-même fondée, prit le pouvoir en Egypte pharaonique en 947 avant J.C. Pour la question de commodité calendaire cette date est ramenée à 950 avant J.C. Au demeurant, Le début de l’année du calendrier berbère arrêté est celui du calendrier julien d’origine (45 avant J.C) au moment de la réforme grégorienne de 1582 qui a suivi celle du Concile de Nicée en l’an 325, à savoir environ 13 jours de décalage. Yennayer, premier mois d’un cycle dans le calendrier agraire berbère fut synchronisé avec le Janvier julien. Le diner de communion «Imensi n Yennayer» de ce mois festif dans la culture amazighe d’antan sort de sa sphère domestique, occupé depuis des siècles, pour investir le domaine commercial des restaurants parisiens. Il occupera bien plus tard une place prépondérante dans les activités culturelles du réseau associatif amazigh.
Yennayer, aujourd’hui premier mois calendaire de l’année berbère devient un repère parmi les plus fondamentaux de l’identité amazighe. Ce mois dont le premier jour est fixé au 13 janvier dans le calendrier grégorien, se fête massivement dans tout l’univers amazigh, des Iles canaries à l’Ile de Siwa en passant par les régions subsahariennes.
Des actions louables de relancer "l’Académie – Agraw Imazighen" sont tentées. Elles étaient restées, hélas, sans grand résultats, malgré la volonté et l’engouement de ses adhérents.
Une assemblée générale tenue le 24 novembre 1999 décide de transférer le siège au 85, rue Buzenval 75020 Paris et nomme aux responsabilités, Monsieur Messaoudi Amar Président, Monsieur Haïfi Ramdane Vice-Président et Monsieur Berkouk Ahmed, trésorier. La déclaration à la préfecture interviendra le 28 janvier 2000.
Une autre modification le 17 août 2006 intervient au terme d’une assemblée générale tenue le 30 juillet 2006. Les responsabilités sont limitées aux deux personnes, M.Haïfi Ramdane Président et M.Belkacem Mohand Amokrane vice-président. Le génie du peuple amazigh a conduit l’académie à mener des petites actions à impact considérable. Elle qui tenait, des années durant, le haut du pavé voyait ses activités déclinaient inexorablement jusqu’à son extinction.
Le 21 novembre 2015 à Paris 12e dans la brasserie "Le Milord", pour rendre hommage à l’académie et reprendre le flambeau de la lutte qu’elle a transmis, un groupe de ses anciens militants fonde une association qu’ils dénomment "Les Ami(e)s de l’Académie Berbère". Hebib Youcef et Bounab Mustapha sont respectivement désignés président et trésorier.
L’association s’attellera aux actions liées à l’objet suivant :
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Réhabiliter la mémoire des militants de l’académie berbère (amazighe) ;
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Préserver et vulgariser les œuvres de l’académie berbère (amazighe) ;
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Célébrer et promouvoir tout ce qui est attrait à la culture berbère (amazighe) : dates symboliques, fêtes, rites, etc. ;
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Agir pour l’introduction de la langue berbère (amazighe) dans l’enseignement en France et en Europe ;
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Faire des actions de solidarité et de soutien en direction de la communauté berbère (amazighe) de par le monde ;
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Accompagner l’immigration berbère (amazighe) dans son intégration en France et en Europe.
Elle est déclarée à la Préfecture de police de Paris le 21 décembre 2015 et parue au journal officiel du 02 janvier 2016 dans l’annonce nN°874.
Dans le but de glaner des informations sur l’académie berbère éteinte et pour tous autres renseignements, un appel est lancé aux personnes qui ont été adhérentes et celles qui l’ont approchée de près ou de loin d’écrire ou de prendre attache avec les responsables de l’association nouvellement créée dont les coordonnées sont ci-dessous citées.
M. B.
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oui