Le retour annoncé de Chakib Khelil (III)
On peut facilement identifier deux invariants dans la stratégie du régime algérien sous Bouteflika :
1. La poursuite de la vaste opération de déliquescence de l’école et de l’université algérienne qui est la pièce maîtresse du plan stratégique. L’objectif est de laisser l’école entre les mains des spécialistes des "valeurs arabo-islamiques" qui vont s’atteler à cultiver l’intolérance et l’obscurantisme pour préparer la plateforme idéologique du terrorisme religieux qui va endeuiller l’Algérie. Leur but est d’anesthésier le peuple pour le dominer plus facilement et préparer les ingrédients du printemps algérien.
2. La déstructuration du secteur de l’énergie pour, à la fois étouffer le moteur du développement économique et, piller les richesses non renouvelables sans prévoir de transition énergétique. Cette stratégie repose sur la mise à l’écart des cadres intègres et la nomination à la tête de Sonatrach d’une association de ripoux. Bouhafs, le seul PDG de Sonatrach à la hauteur n’a tenu que deux ans car Chakib Khelil a décidé en 2001 de cumuler les fonctions de ministre de l’Energie et de PDG. En mai 2003, il fait nommer Khène qui se soignait pour un cancer en phase terminale. Il décédera trois mois plus tard à Paris. Le poste de PDG restera vacant jusqu’en septembre 2003 avec la nomination de Meziane qui sera coaché par le repris de justice Hemche. En 2010, Hemche est exfiltré alors que Meziane tombe avec ses deux enfants après le scandale de corruption qui a éclaboussé l’ensemble des cadres dirigeants de Sonatrach. La valse continue après le départ de Chakib Khelil. Un navire sans commandant, attaqué de toutes parts par les siens ne peut que sombrer.
Il faut noter que cette stratégie de déstabilisation a été appliquée avec succès à l’Egypte qui est obligée aujourd’hui d’importer du gaz naturel pour satisfaire ses besoins domestiques. Elle est réduite à accepter les subventions des pays alliés de l’Empire pour maintenir la paix sociale.
Chadli Bendjedid nous a livré un aperçu de l’idéologie du cabinet noir dans l’interview accordée en 2008 L’Algérie, son système, sa crise politique et son identité selon Chadli Bendjedid : "..L’Algérie était au début de la Révolution en harmonie avec ses traditions, ses principes et son authenticité. C’est-à-dire son appartenance civilisationnelle à la Nation arabe et islamique avec tout ce qu’elle représente comme civilisation, histoire, en plus de son appartenance spirituelle…". Il ne faut pas oublier que Chadli est allé jusqu’à recruter le chef spirituel du mouvement intégriste, l’égyptien Cheikh El Ghazali pour endoctriner les algériens obligés de regarder la tribune de la télévision unique algérienne.
L’objectif de changement de mentalité pour tenter de transformer l’amazigh algérien en citoyen ignorant et docile reste un objectif important pour le cabinet noir. C’est un moyen de conserver le pouvoir et d’éloigner les conditions d’instauration d’une démocratie. A la limite, certains pencheraient pour un califat.
Malgré le recul, l’analyste a du mal à comprendre pourquoi la destruction de l’école a été confiée à l’indéboulonnable "russe" Benbouzid (17 ans de règne sans partage) et celle du secteur de l’énergie au tout puissant "américain" Chakib Khelil (qui a l’oreille du Président depuis 16 ans). Ce choix de représentants de clans apparemment antinomiques conforte la thèse qu’il existe une alliance entre le Cabinet noir et Bouteflika. Il s’agit probablement d’un jeu de rôle. Le Cabinet noir qui a longtemps protégé Benbouzid est extrêmement qualifié sur les questions de manipulation mentale visant à la fabrique du consentement populaire. Alors que «l’assassin financier» Chakib Khelil a l’expertise nécessaire pour détruire le secteur des hydrocarbures.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que Benbouzid et Chakib Khelil ont un point commun : le sabotage de la formation. R. Reghis l’a bien illustré dans son papier (réf. séquelles Khelil) : "En matière de formation, de capitalisation, fertilisation du savoir et du savoir-faire pétrolier et gazier, l’institut Algérien du Pétrole (IAP) sensé atteindre cet objectif a été dévié de sa mission pour faire des formations de détente… /... Ces rassemblements qui se déroulaient à l’hôtel Sheraton d’Oran attiraient les cadres plus pour des vacances que le contenu de la formation."
Que d’années perdues pour la formation des cadres de Sonatrach ! Qu’en sera-t-il cette fois-ci pour l’Algérie depuis que l’ex-DG de l’IAP et organisateur des vacances au Sheraton a été rappelé de sa retraite pour faire partie du gouvernement ?
L’exécution de la feuille de route de Bouteflika est bien avancée avec le constat d’une baisse continue de la production d’hydrocarbures en l’absence d’une politique de renouvellement des réserves conventionnelles et ce, dans un environnement de gaspillage énergétique inouï et sans aucun investissement dans la transition énergétique. La crise énergétique est un sujet très sensible que certains experts algériens abordent très timidement. On a eu droit à un interlude pour tenter de nous rassurer sur l’existence d’importantes réserves de gaz non conventionnel. On a oublié de préciser que l’activité de fracturation décriée par la population est pratiquée en Algérie depuis des lustres et qu’elle ne peut en aucun cas constituer une solution viable dans une conjoncture de prix bas du pétrole.
Selon certains experts, la diminution rapide du niveau d’extraction du gisement de Hassi R’mel ne pourra plus être compensée par les nouvelles productions issues des champs en développement. En fait, l’Algérie n’a plus qu’une dizaine d’années pour éviter une crise énergétique majeure. C’est un défi pratiquement insurmontable pour un pays qui a choisi de saboter le secteur stratégique des hydrocarbures et d’ignorer la nécessité d’investir dans la transition énergétique.
Etant donné l’échéance rapprochée du point de rupture, la problématique de la sécurité énergétique et son corollaire, celui de la diversification des filières de production d’électricité (aujourd’hui produite exclusivement à partir du gaz) et de l’approvisionnement en pétrole des raffineries (non conçues pour traiter du pétrole importé) doivent impérativement être posées et solutionnées, mais on a choisi d’ignorer ce débat. Le Conseil de l’Energie ne s’est jamais réuni sous les règnes successifs de Bouteflika, ce qui démontre qu’il s’agit bien d’un complot contre la nation algérienne.
Et plus grave encore, on assiste à la mise en place, sur instruction présidentielle, d’un transfert de rente gazière à des sociétés privées étrangères à travers des projets pseudo industriels d’exportation (engrais, cimenteries). Le gaz cédé au secteur industriel privé à un prix inférieur à son coût de production a attiré les prédateurs. Personne ne s’étonne que des PME investissent dans des projets industriels fortement énergivores pour exporter des produits subventionnés à travers le prix dérisoire du gaz naturel (sucre, verre...).
Que nous préparent-ils ?
La baisse brutale et durable des prix du pétrole a créé un nouveau paradigme qui est en train d’ébranler ceux qui ont porté Bouteflika à bout de bras pendant 16 ans. C’est une situation qui n’était pas prévue par ceux qui ont coopté Bouteflika car ils pensaient que la baraka de Bouteflika, prodiguée sans garantie par les zaouïas qui ont accepté les riches offrandes, allait durer au moins jusqu’à la fin du 4e mandat.
Quant au clan présidentiel, la baisse des revenus à l’exportation l’a surpris au milieu d’une opération de nomination de nouvelles recrues, en vue de préparer une nouvelle razzia. Il s’agit notamment des fidèles qui ont mis la main à la poche pour collecter 100 milliards pour soutenir la quatrième campagne du candidat-président fantôme. Deux personnages, peu recommandables et sans empreintes numériques, ont rejoint le clan restreint du cercle de Said Bouteflika :
- Abdesslam Bouchouareb, dentiste de formation, voisin de palier à Paris (16eme arr.) de l’ex-ministre Rahmani est nommé au poste de ministre de l’Industrie et des mines.
- Ali Haddad, après un parcours de combattant laborieux, est promu au poste de Président du FCE.
Imperturbable, Bouteflika sous-estime l’ampleur de la crise et déclare : "l’Algérie traversera sans difficultés majeures les graves perturbations du marché international des hydrocarbures". Il ajoute qu’il ne faut pas céder à la panique pour justifier l’immobilisme de son gouvernement. Il s’accorde une longue période de réflexion durant laquelle le prix du pétrole et le FFR continuent de dégringoler. Les bonnes paroles du gouvernement et l’annonce d’une nouvelle constitution n’ont pas rencontré un grand écho au niveau d’une population extrêmement préoccupée par les conséquences de la chute des prix du pétrole. La raison est simple, pour la première fois depuis plus de 10 ans, la balance commerciale de l'Algérie enregistre des milliards de dollars de déficit.
C’est à partir du deuxième trimestre 2015 que Bouteflika comprend qu’on n’est pas dans la situation de la crise financière de 2008 et que le prix du pétrole ne remontera pas avant longtemps. Il procède à des remaniements importants au niveau du gouvernement en mai 2015 et demande aux algériens de se préparer à faire face à la crise en faisant voter la loi de finances 2016.
Des voix s’élèvent de partout (acteurs politiques, économistes...) pour dénoncer cette loi. Même certains proches de Bouteflika se révoltent publiquement et s’exposent aux représailles. Il y a un climat de mutinerie au sein du sérail. Tout indique que l’ensemble des décisions prises pour gérer la crise a fait voler en éclats le climat de cohabitation qui régnait au niveau des partisans de Bouteflika. Tout est allé très vite. Plusieurs généraux sont mis en retraite et certains potentiellement dangereux ou trop critiques sont embastillés, le général Toufik quitte l’alliance.
C’est dans cette ambiance de mutinerie que l’Empire s’invite à Alger en décembre 2015, à travers la visite de Christiane Taubira, pour brandir à nouveau la menace du TPI dans le but de tempérer d’éventuelles réactions. Pourquoi toute cette agitation autour de cette loi de Finances ? Assistons-nous aujourd’hui à un retour à un environnement juridique plus permissif que celui qui prévalait avant la loi de finance de 2009 ?
C’est l’avis de nombreux experts qui pensent que l’objectif de ce nouveau cadre juridique est de permettre aux nouvelles recrues de Bouteflika de brader les biens fonciers et les entreprises publiques rentables sans aucune procédure transparente. Il n’est pas impossible que cette démarche soit à l’origine d’un conflit latent au niveau des partisans de Bouteflika.
En fait, certains acteurs politiques de l’opposition ont des raisons valables d’être inquiets. Ils se rappellent que, sous Temar et Chakib Khelil, le groupe espagnol Villar Mir est entré à 66% dans le capital d’Asmidal (plusieurs usines construites par Sonatrach) sans rien payer à l’Etat. On lui a demandé seulement d’investir environ 170 millions d'euros dans la rénovation des unités. La nouvelle loi de finances prévoit une entrée à 66% dans le capital des entreprises publiques et le rachat total des actions au bout de cinq ans sans préciser les modalités d’application. Villar Mir (et d’autres amis de Bouteflika) vont pouvoir acquérir les 34% restants en glissant la pièce. Vive Bouteflika, vive Bouchouareb !
Bouteflika oserait-il réitérer ce qu’il a déjà fait et ouvrir en gré à gré le capital des filiales de Sonatrach et de Sonelgaz ? Evoquant l’article de la LF 2016 tant contesté par l’opposition, Haddad affirme être "favorable à l’ouverture du capital de Sonatrach et Sonelgaz et des autres grandes sociétés". Bien entendu, on peut supposer que ce plan ne remporte pas l’adhésion de tous les membres du régime, d’où la nécessité de remanier encore une fois le gouvernement pour huiler parfaitement tous les rouages de l’opération.
Il est clair que l’affaiblissement du management du secteur de l’énergie est un prérequis au démantèlement des entreprises stratégiques en vue de la cession d’actifs publics au dinar symbolique. Haddad et Bouchouarab qui sont derrière ce processus "d’affaiblissement" du management de Sonatrach (lire : Louisa Hanoune accuse Haddad de vouloir imposer une nouvelle direction à la tête de Sonatrach ) vont-ils bientôt passer à table ? C’est probablement la suite logique prévue dans la feuille de route de la Triade et le prolongement des "affaires" El Hadjar, Asmidal, Orascom/Lafarge, Djezzy, CNAN etc. (la liste est longue).
Mais plus que tout, il semble que c’est la politique d’endettement envisagée qui divise ceux qui ont soutenu Bouteflika. Cette LF 2016 prévoit en effet le financement de nouveaux investissements privés par des banques étrangères avec la garantie de l’Etat. Il existe déjà un précèdent : Bouteflika avait signé un décret présidentiel pour donner instruction aux banques publiques de financer à hauteur de 85% la réalisation des usines d’engrais qui vont permettre le transfert de la rente gazière aux heureux actionnaires majoritaires étrangers. Demain, il va offrir aux sociétés privées étrangères installées en Algérie la possibilité d’emprunter sur les marchés financiers internationaux avec la garantie de l’Etat algérien !
A ce sujet, on apprend la signature d’un protocole d’accord avec une société chinoise portant sur la réalisation en gré à gré d’un port en eau profonde à l’Ouest d’Alger. Cet investissement serait financé par des banques chinoises. Il est de l’intérêt des Chinois d’essayer de maintenir les 40.000 travailleurs qui résident en Algérie. Mais à quoi servirait cet investissement de 3.5 milliards de dollars s’il n’y a pas d’activités en dehors de "l’import-import" ? Le Maroc construit des ports en eau profonde pour exporter. Qu’avons-nous projeté d’exporter dans le cadre de la diversification de notre économie entièrement dépendante des hydrocarbures ?
Rappelez-vous, l’Algérie, qui avait des moyens financiers, avait inscrit en 2006 la réalisation d’une ligne TGV entre les grandes villes dans le cadre du développement du transport en commun. Ce projet a été abandonné par Bouteflika en novembre 2006, à son retour d’une visite effectuée en Chine alors que le Maroc va inaugurer en 2016 le premier TGV sur la ligne rapide Casablanca–Tanger.
La stratégie du régime de Bouteflika n’a pas changé. Même avec un déficit commercial important, il maintient sa politique d’importation sans discernement avec un passage préférentiel par la zone franche du Golfe. Les dépenses fastueuses et improductives, gonflées par une corruption généralisée et ostentatoire continuent à alimenter les réseaux d’exportation et de blanchiment de capitaux. Il envisage de continuer le travail de prédation en instruisant les banques nationales pour accorder des prêts non-remboursables à ses amis, en vendant les actifs rentables du pays et en contractant des dettes externes pour financer des investissements publics non rentables dans le seul but de toucher des rétrocommissions. Encore une fois, ce n’est pas de la mauvaise gouvernance, c’est de la haute trahison !
A ce rythme de dépenses, il a été établi qu’on devra prendre rendez-vous avec le FMI avant la fin du quatrième mandat.
Sid Kaci
Lire aussi :
- Le retour annoncé de Chakib Khelil (I)
Commentaires (4) | Réagir ?
merci bien pour les informations
Ce que vous decrivez n'est que l'execution/aplication d'une equation etablie, au lendemain de la guerre entre Messali et le FLN. Le rapport de force forcea donc, les UMA-istes Algeriens (l'uma arabe biensur), a se servir de lur tetes plus que de leurs gueules. De ces executions, il y en aura eut beaucoup. Celle de Bouteflika et ses lieutenants n'est que la derniere. Le probleme de l'Algerie n'est pas etranger du tout. C'est le cancer LACHETE' generalise', depuis avant1954, je dirais. Des la decouverte du Petrole. Ce n'est l'abpndance ou pas d'hydrocarbures qui sort les Peuples de la misere, mais la culture. En Algerie, c'est passe' du pire au catastrophique. Le reste, et bien le reste est le reste. Ce n'est pas que Bouteflika defense beaucoup qui est un probleme - c'est le prix relatif a la marchandise qui est exhorbitant. Cequ'il y avait lieu d'acheter, c'est des ecoles entieres batiments et surtout personnel - avec la condition: qui ignore l'arabe et rejette la religion islamique. c. a. d. des Femmes, beaucoup de Femmes. Des Allemandes auraient fait l'affaire.