L’Etoile nord-africaine et le MAK : deux mouvements, un terreau militant !
L’Étoile Nord-Africaine (ENA) a été créée par le PCF à Paris, en mars 1926.
Au Congrès de La Ligue contre l’oppression coloniale à Bruxelles (10-15 février 1927), son secrétaire général, Messali Hadj prononce un discours qui est l’acte fondateur du nationalisme algérien. L’Étoile qui comprend environ 4 000 militants, surtout des travailleurs kabyles syndiqués à la CGTU, diffuse l’Ikdam en Algérie. À cette date, la revue coloniale L’Afrique française considère l’Étoile comme une organisation communiste manipulant l’islam.
L’Étoile vit et combat
En désaccord avec le discours de Bruxelles, le PCF supprime le poste de permanent de Messali et celui de secrétaire général de l’Étoile, mais sans l’exclure du Parti communiste. Après une période difficile, Messali soutenu par le Comité directeur redresse l’Étoile. Elle mène campagne contre les Fêtes du Centenaire, le Congrès Eucharistique international de Carthage, l’encadrement des Algériens par les services de police de la rue Lecomte, la construction d’une mosquée officielle à Paris et l’Hôpital franco-musulman de Bobigny. Messali s’emploie à structurer l’Étoile sur le modèle communiste et il s’inspire du " Que faire ?" de Lénine (1) pour lancer un journal d’information, de propagande et d’organisation, analogue à l’Iskra. (2) Malgré les difficultés, El Ouma parait en octobre 1930.(3) Largement diffusé, de façon militante, dans les cafés, hôtels et les usines de la région parisienne, il est aussi expédié à Tlemcen, Oran, Alger et Sidi-Bel-Abbès. El Ouma fournit des informations sur l’Algérie, stigmatise le colonialisme, reproduit les analyses anti-impérialistes des partis ouvriers et réclame ouvertement l’indépendance. Elle dénonce la pacification du Maroc et le Dahir berbère. (4) Il n’est pas indifférent que «le berbérisme» soit combattu par les nationalistes marocains et par l’Étoile, où la majorité des cadres étaient des Kabyles. La lutte contre le Dahir berbère a constitué un facteur important dans la remontée de l’Étoile, car le PCF et le parti socialiste soutenaient la politique musulmane de la France qui voulait promouvoir dans les écoles l’enseignement du français au lieu de l’arabe. (5)
À son troisième numéro, El Ouma devient un cadre organisateur en regroupant les sympathisants dans des cercles, les Amis d’El Ouma chargés de soutenir financièrement le journal et d’assurer sa diffusion. Structure militante qui allège les tâches de la direction, fournit des revenus stables et permet d’échapper aux perquisitions et aux saisies. Le 28 mai 1933, l’Assemblée générale historique de l’Étoile adopte un programme en deux parties mais étroitement liées : les revendications immédiates (le programme démocratique) et les objectifs politiques (la Constituante et le Parlement algérien, l’abrogation du colonialisme, l’indépendance et l’unité des trois pays d’Afrique du Nord). L’Assemblée adopte de nouveaux statuts avec la suppression de la double appartenance communiste et étoiliste. Elle élit un comité central de 30 membres et un Bureau Directeur de cinq membres : Messali comme président et directeur de El Ouma, Amar Imache, secrétaire général et rédacteur en chef du journal, Radjef Belkacem, trésorier, Si Djilani et Banoune Akli.
La fièvre de Février 1934
L’année démarre avec un scandale financier : l’affaire Stavisky. Le 6 février, les ligues d’extrême droite et l’Union nationale des combattants décident de manifester devant la Chambre, le jour de l’investiture du radical Édouard Daladier. Place de la Concorde, elles se heurtent aux forces de l’ordre qui tirent : 15 morts, 900 blessés. Édouard Daladier, pourtant investi, préfère démissionner. Interprétant l’émeute comme un coup d’état fasciste, partis ouvriers et syndicats appellent à la grève générale, le 12 février. Mandaté par le Comité directeur pour suivre les évènements, Messali participe à la manifestation et il décrit, avec précision et chaleur, la rencontre des cortèges des partis communiste et socialiste et ceux de la CGT et CGTU ainsi que leur fusion aux cris de «Unité ! Unité !» et chants en commun de la Carmagnole et de l’Internationale. Comprenant l’importance de cette journée, il estime que : «notre place se trouvait aux côtés du peuple français et du socialisme démocratique. Certes, le socialisme français était loin de nos revendications nationales, à savoir l’indépendance de l’Afrique du Nord et de son unité, mais malgré cela, nous avons préféré être près du prolétariat, dans le combat pour les libertés démocratiques, le travail, le pain et la dignité.» (6) Le Comité directeur qui partage cette analyse est mobilisé en permanence jusqu’en avril pour tenir des réunions de formation de cadres à Paris et dans la banlieue parisienne. Pour déployer l’Étoile, il crée deux postes de permanents, l’un pour Messali, l’autre pour Imache.
En juillet, pour éviter que la dissolution de l’organisation, prise par le Tribunal de la Seine, ne devienne effective, il modifie le sigle de l’organisation : l’Étoile devient la Glorieuse Étoile Nord-Africaine (GENA). Le siège social, le programme, les statuts et la direction restent inchangés. La discussion sur l’orientation de la GENA en direction des partis ouvriers, des intellectuels et des organisations démocratiques est débattue au Comité directeur, puis en Assemblée générale. Un large accord intervient sur les propositions faites par Messali, élu membre du présidium du Comité Amsterdam-Pleyel, officiellement baptisé Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme. À partir de mai, la liaison de la GENA avec Ferrat, membre du Bureau politique du PCF et responsable de la section coloniale du comité central devient plus étroite. Elle l’est davantage avec la gauche socialiste et révolutionnaire, jusqu’à l’adhésion de l’Étoile au Front populaire.
Le témoignage de Daniel Guérin
Membre de la gauche socialiste, il relate ainsi l’action de Messali et de l’Étoile contre le fascisme : «…Je fais la connaissance de Messali à l’occasion de l’émeute fasciste du 6 février 1934, au siège de la fédération socialiste de la Seine, rue Feydeau, dont les secrétaires sont mes amis : Jean Zyromski et Marceau Pivert. Messali est alors un homme encore jeune, élancé, un peu osseux, vêtu à l’européenne et portant un soupçon de moustache noire, marié au surplus à une Française. Il emprunte son allure aux communistes français avec lesquels il a fait un bout de chemin. […] Messali s’est rendu chez les socialistes, au lendemain de l’émeute factieuse, pour leur proposer d’empêcher le recrutement des travailleurs nord-africains par les «ligues» d’extrême droite. Pressentant l’évènement, il a tenu, à l’avant-veille, un meeting au 48 de la rue Duhesme, dans le 18e arrondissement de Paris. Il y a recommandé à ses frères de repousser toutes les sollicitations réactionnaires, de rester aux côtés de la démocratie laborieuse française et, si besoin était, de descendre avec elle dans la rue. De fait, l’Etoile nord-africaine sera présente à toutes les manifestations antifascistes, à la place de la Nation, le 12 février 1934, au mur des Fédérés en mai 1934 et 1935, à celle du 14 juillet 1935 qui donne naissance au Rassemblement populaire, en février 1936 au défilé de protestation consécutif à l’attentat perpétré contre Léon Blum, et encore mieux à l’immense cortège du 14 juillet 1936, où plus de 35 000 ouvriers algériens marchent en rangs serrés, aux acclamations d’une mer humaine qui ne connaît pas ou a oublié le racisme.»(7)
Peut-on transposer les enseignements de cette mobilisation de l’Étoile, dont les militants et cadres étaient kabyles, à la situation politique actuelle ? Sans doute, à un moment où s’effectue la montée en puissance du MAK, au Canada, en Allemagne, en Suisse et aux USA, mettant en difficulté le pouvoir algérien. Ne peut-on pas souhaiter la formation d’une alliance étroite entre les démocrates français et les Kabyles pour engager un combat radical contre l’islamo-fascisme et la politique de Bouteflika, dont l’article 51 de la nouvelle Constitution exclut les bi-nationaux des hautes fonctions politiques, économiques et sécuritaires ?
Jacques Simon
Notes.
(1) "C’est encore une fois de plus, le Que faire ? de Lénine qui s’imposait à nous". Messali, Mémoires, Cahier original n°8, p. 2139.
(2) Lénine. Que faire ? (Ch.V- Plan d’un journal politique national : "le journal n’est pas seulement un propagandiste et un agitateur collectifs, mais aussi un organisateur collectif", p.221.
(3) Mensuel en langue française, intitulé : «organe de la défense des intérêts des Musulmans algériens, marocains et tunisiens». Messali en était le directeur et Imache Amar le gérant. Le journal était imprimé, rue de Bretagne, dans le local de la coopérative du parti communiste "la famille nouvelle". Il était tiré à 5 000 exemplaires.
(4) Le Pautremat Pascal. La politique musulmane de la France au XXe siècle, Maisonneuve et Larose, 2003 (p.263-266).
(5) Les intellectuels français furent peu nombreux à critiquer le dahir berbère. Parmi eux, Robert-Jean Longuet, Daniel Guérin et Émile Dermenghem. Lafuente Gilles. La politique berbère de la France et le nationalisme marocain. L’Harmattan, 1999 (pp. 257-261).
(6) Messali. Mémoires, Cahier original n°19, p. 3049.
(7) Daniel Guérin. Quand l’Algérie s’insurgeait, 1954-1962, La pensée sauvage, 1979, pp.26-27.
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MERCI
Great info, good thanks.