J'ai lu dans la presse que vous entamiez la grève de la faim pour une fin de non-recevoir du juge d'instruction à votre demande.

J'en suis vraiment étonné car vous avez passé votre vie à nous persuader que le système judiciaire algérien était celui d'un régime démocratique, soucieux du droit et des bonnes procédures. Et vous nous en avez persuadés d'une manière si convaincante qu'il ne serait jamais venu à l'idée de quiconque de vous contredire. Très peu de personnes ont le courage suicidaire.

Alors, dans ces conditions, vous n'êtes pas recevable pour votre plainte car le juge d'instruction algérien est le plus indépendant au monde. Il ne répond à aucune pression ni menace du pouvoir politique, vous le savez mieux que quiconque. Votre vie entière aura été au service d'une pédagogie que nous avons retenu. J'espère que vous êtes fier de votre œuvre, nous avons fini par nous le faire entrer dans le crâne, la justice algérienne est libre et impartiale. Qu'avez-vous à craindre ?

Vous dites que vous êtes malade, c'est entendu, mais combien de malades avez-vous torturé avec vos petits camarades ? Combien de pères de familles ont laissé des enfants et une veuve derrière eux parce qu'ils ont été arrêtés et perdus dans le gouffre du système judiciaire qui les a rayés de l'état-civil ?

Vous écrivez au journaux pour vous plaindre. Mais combien de prisonniers politiques et de personnes torturées jusqu'à la mort ont eu à accéder aux médias, à un téléphone ou à leur famille ? Soyez tout de même patient et croyez en ce système judiciaire que vous avez défendu de toute votre âme.

Des millions d'algériens se sont mis à genoux et vous ont baisé les pieds, certains de trouille, d'autres en espérant un peu de miettes de la grosse part de gâteau que vous vous êtes arrogé avec vos amis de promotion. Tant d'amis, tant de gens à votre dévotion autour de vous et pas une âme charitable, pas une seule, pour vous arranger le coup auprès du petit juge d'instruction ?

Je n'en crois pas un mot. Que vous est-il arrivé, vous êtes puni par vos petits copains, vous avez fâché le frère du président ? Mais j'ai connu un temps où d'un seul coup de téléphone et une grosse colère, et voilà que nous étions convoqués pour élire un autre Président.

Vous n'en n'avez plus la santé ? Et le voyage en Suisse pour prendre l'air, les cures thermales et tout le reste, ce n'est plus possible ? Et tout l'argent que votre profession nous a demandé en assurance-vie, il est où ? Pas même quelques petits milliards pour corrompre un petit juge d'instruction ? Un de ceux qui n'osaient même pas se tenir droit lorsqu'il vous faisait face à la belle époque, c'est fini tout ça ?

Bon, je ne sais pas ce qui vous arrive ni comment vous vous êtes arrangé pour vous retrouver là mais je ne crois absolument pas à vos jérémiades. L'Algérie est un grand pays démocratique, ses institutions judiciaires tout à fait libres et nos dirigeants des plus honnêtes. C'est vous qui nous les avez imposés et ne venez pas nous dire aujourd'hui qu'ils sont malhonnêtes envers vous. Il faut savoir ce que vous voulez.

Aller, mon général, ne vous découragez pas. Pensez que lorsque tout cela sera terminé, la vie reprendra de plus belle. Un bon petit coup d'Etat par-ci, un rapide assassinat politique par-là, une petite rafle d'opposants et quelques frayeurs aux petits juges zélés, comme en quarante !

Bon sang, relevez-vous, où sont nos fiers hommes virils aux Ray-Ban accrochées au visage et cette belle prestance avec la quincaillerie sur les épaules qui brillait à deux kilomètres. Voyons, mon général, pensez à tous ces morts et ces hommes à genoux, ils vous regardent, ressaisissez-vous et arrêtez de donner ce spectacle.

Excusez-moi de ne pas venir vous rendre visite, je suis trop occupé à écrire des méchants mots à vos petits camarades qui ont été vilains avec vous. Vraiment très vilains !

Sid Lakhdar Boumédiene

Enseignant