Après les femmes, c'est le tour des binationaux

Après les femmes, c'est le tour des binationaux

Réponse à Madame Baya Hassène-Benhassine.

Le cri de colère de notre compatriote Baya Si Hassene-Benhassine, binationale, publié dans la presse nationale, est tout à fait émouvant. Mais il faut lui rappeler qu'elle est déjà une sous-citoyenne en Algérie puisqu'elle est une femme, c'est bien écrit dans le code de la famille. Nous devons saluer et rassurer notre compatriote en lui rappelant que les articles 51 et 57 de cette constitution ne nous concernent pas.

Les articles 51 et 57 du projet constitutionnel seraient inquiétants si nous étions dans une situation normale, avec un dialogue serein entre démocrates. Ce n'est pas le cas et il faut prendre beaucoup de distances avec un texte qui n'a pas plus de sens que n'auront jamais aucune des constitutions des régimes autoritaires, surtout dans leur phase schizophrénique qui annonce leurs chutes.

Tout cela n'est pas nouveau et la seule critique amicale que nous pourrions adresser à madame Si Hassène-Benhassine est de vouloir à tout prix nous convaincre par un très bon argumentaire de situations comparées dans le monde. Le souci est qu'elle prêche à des convaincus, pas sûr qu'elle puisse atteindre le cœur, et encore moins la raison, de ceux qui proposent des chefs-d’œuvre de droit burlesque.

Nous retiendrons donc son cri de désespoir et son indignation car c'est cela qui est l'essentiel. Pour le reste, beaucoup d'entre nous sont épuisés d'avoir voulu expliquer, il y a très longtemps déjà, ce qui pourrait être la norme d'une civilisation intelligente et démocratique. C'est inutile et contre-productif au final de vouloir les convaincre de ce qui est incompréhensible pour eux. Ils sont dans un autre monde que nous, sans qu'il soit nécessaire d'avoir la distance géographique qui nous sépare.

Je ne connais pas ma compatriote Baya, ni son âge que nous nous permettrons pas de demander (son utilisation déclarée de Facebook pourrait nous renseigner, peut-être...) mais il y a beaucoup de raisons objectives pour qu'elle soit une sous-citoyenne de longue date. Elle est une femme, nous l'avons dit, et si sa colère est forte pour les deux articles de la constitution, c'est qu'elle n'a peut-être pas lu le code de la famille. Et si elle ne l'a pas fait, je le lui déconseille, car elle entrerait dans une fureur apocalyptique. A côté, les articles 51 et 57 sont de douces et bienveillantes taquineries.

Mais elle est également francophone, probablement a-t-elle su, que d'une manière ou d'une autre, ils ont subi un orage très violent qui avait voulu les frapper d'indignité citoyenne. Beaucoup semblent oublier cette tentative, au fond désespérée car le renoncement à cette idée folle était inévitable pour un pays qui ne peut exclure la moitié de la population et plus d'un siècle de pratique linguistique.

Peut-être n'a-t-elle pas entendu les cris des berbérophones qui ont, pendant plusieurs décennies, dénoncé leur statut de sous-citoyens. Ce mot n'est donc pas nouveau et les articles 51 et 57 sont dans une continuité des plus attendues. Et si nous forcions le trait, nous dirions que la fabrique de sous-citoyens économiques est une réalité quotidienne en Algérie.

Le statut de binational est certainement très dangereux pour un pouvoir qui en a peur. Laissons de côté les binationaux qui ont fait profession d'égorgeur et qui n'inquiètent pas plus l'Algérie à long terme que n'avaient inquiété (dans le sens de la prise de pouvoir) les égorgeurs nationaux, pourtant jamais sortis du territoire national et ne possédant qu'une seule nationalité. Et soyons sérieux, aucun de ces abrutis ne postule aux hautes fonctions administratives et politiques algériennes. Et s'il fallait écarter tous ceux qui ont des idées dangereuses et liberticides, c'est la moitié des parlementaires algériens qu'il faut écarter.

Traitons du binational qui n'est pas enfermé entre les quatre murs d'un régime sombre ou de son propre esprit torturé. Celui-là a toujours vu la lumière et sera toujours tenté entre le retour pour participer au renouveau, le retour pour se compromettre ou l'exil définitif. Nous voyons bien la dangerosité de la première catégorie.

A Baya, je dis que tout cela n'est donc pas nouveau et il ne faut pas s'en inquiéter. L'idée autocratique moribonde est en train d'éclater sous nos yeux. La jeunesse algérienne est internationale dans son champ de vison, c'est elle qui constitue la plus grande des menaces pour ceux qui créent à tour de bras des textes aussi inefficaces que provocateurs.

Il y a un très gros malentendu sur la binationalité. Ce n'est pas une chose étrange mais un état qui s'impose aux personnes dans la majorité des cas. Les enfants de seconde génération n'ont rien demandé à personne et ceux dont la vie les a menés à cette double nationalité ont été contraints par des circonstances de vie qu'ils n'avaient jamais prémédité au début de leur existence.

La double nationalité n'est que le rattachement juridique d'une personne à un État auquel il est soumis à des obligations et possède des droits à son égard. Beaucoup de hauts fonctionnaires et hommes politiques algériens ont trahi leur État, bien plus gravement que ne pourrait le faire un binational. Les idéaux bafoués, les droits détournés, la corruption, la police politique et bien d'autres faits témoignent que l'attachement à un pays n'est pas relatif au nombre de passeports détenus ni aux lieux ou se trouvent les comptes bancaires. Le rattachement à une patrie n'est pas dans un bout de papier mais profondément ancré dans chacun d'entre nous, sans risque de disparaître.

Le binational n'est pas toujours celui qui trouve l'herbe plus verte ailleurs, une accusation récurrente. La France veut également introduire une catégorie de sous-citoyens en reniant le droit du sol, séculaire dans la doctrine juridique française et particulièrement dans celle de la gauche historique.

Mais d'une part, la mauvaise route que prend un autre pays n'est jamais une excuse. D'autre part, la mesure n'atteint réellement qu'une poignée d'individus. Et enfin, ce n'est pas la moindre des différences, ces binationaux ont craché sur leur pays, assassiné leurs compatriotes et pris les armes contre ce pays dont ils ont la nationalité.

Les binationaux que les articles 51 et 57 visent ont pour seule arme leur plume et leur libre parole. A terme, c'est une arme de destruction massive contre un régime qui ne peut le supporter. Les binationaux en question n'ont absolument pas l'intention de prendre les armes contre qui que ce soit et certainement pas contre le pays qui les a vu naître et dont ils sont profondément attachés.

Ces binationaux, autant que la jeunesse algérienne présente sur le sol national, sont des atouts pour l'après-pétrole. S'en détacher est impossible car on ne déracine pas aussi facilement un individu de ses origines. Ce régime politique a des gros pouvoirs, il n'en aura pourtant jamais d'aussi puissants pour supprimer le lien avec la terre natale.

Que ma compatriote Baya se rassure. Elle a grandi au soleil et en a vu un autre, aux États-Unis, c'est absolument le même. Nous serons toujours réunis par notre lieu de naissance et aucun imbécile sur cette terre ne pourra rien y changer.

Sid Lakhdar Boumédiene

Enseignant

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